Les infections nosocomiales
Christine Leșcu, 29.06.2016, 13:41
L’enquête a révélé que plusieurs
désinfectants utilisés dans les hôpitaux roumains étaient dilués par la société
productrice elle-même et par conséquent inefficaces. Les investigations qui ont
suivi – y compris l’enquête pénale – ont découvert tout un réseau de corruption
actif depuis longtemps. L’on a identifié ainsi une des causes d’un grand
problème constaté, au fil du temps, par des patients et leurs familles. C’est
que pendant l’hospitalisation, beaucoup de personnes devenaient encore plus
malades qu’avant et certaines d’entre elles décédaient même. Ce fut aussi le
cas pour nombre de victimes de l’incendie du club « Colectiv », la
tragédie qui a frappé la Roumanie l’automne dernier. Stabilisées après les
brûlures dont elles souffraient, elles ont succombé aux infections contractées
pendant leur hospitalisation. Le problème date pourtant depuis un certain
temps.
Le président de l’Association
nationale pour la protection des patients, Vasile Barbu, explique : « Depuis 9 ans déjà, Association nationale pour la protection des
patients attire l’attention sur le fait que la prévention et le contrôle des
infections nosocomiales est un grand problème en Roumanie. Un problème ignoré.
On nous a dit, des responsables même nous ont dit que des infections
nosocomiales, il y en avait partout, y compris aux Etats-Unis et en Allemagne.
Nous avons accepté cette idée, puisque les bactéries font partie de la nature,
pourtant, dans les hôpitaux, on doit maîtriser ce problème. Nous avons signalé
cet aspect au ministre de la Santé de l’époque, pourtant rien n’a été fait.
Nous avons soumis la question à l’attention des ministres qui lui ont succédé.
Certains ont été investis à ces fonctions pendant très peu de temps et il leur
était pratiquement impossible de s’occuper de tous les problèmes du système de
Santé. Nous leur avons pourtant signalé – à tous – le risque d’infections
nosocomiales. »
Ce n’est qu’après le déclenchement
du scandale médiatique que les autorités ont procédé à des vérifications.
Celles-ci ont confirmé le fait que l’efficacité des désinfectants fournis par
la société respective dans une cinquantaine d’hôpitaux de Roumanie avait été
altérée. Toujours suite à ces révélations ont été rendus publics des documents
envoyés au Parlement par le ministère de la Santé, selon lesquels plus de 57
mille infections avaient été identifiées durant les 5 dernières années
seulement.
Depuis 2013, leur nombre a
augmenté, la capitale détenant le record en la matière. Le problème semble
avoir été archiconnu, mais à moitié reconnu. Le représentant de la Société
nationale de microbiologie déclarait, lui-même, que les infections nosocomiales
n’étaient pas rapportées en Roumanie, aussi, les cas de ce genre ne
représentent-il que 1% – selon les statistiques officielles – contre 5% dans
d’autres pays, chiffre beaucoup plus réaliste.
Cette déclaration était faite lors
du lancement du « Plan stratégique de prévention et de lutte contre les
infections nosocomiales pour 2016 – 2018 ». Du point de vue théorique, en Roumanie la
lutte contre ces infections ne serait pas un grand problème.
Vasile
Barbu : « La Roumanie dispose
de réglementations visant à prévenir et contrôler les infections nosocomiales.
Une commission consultative d’épidémiologie a été créée au sein du ministère de
la Santé et des solutions ont été avancées pour remédier à cette situation.
Malheureusement, la communication entre tous ces acteurs du système de Santé à
ce sujet laisse beaucoup à désirer. »
Au-delà
de la corruption et du labyrinthe bureaucratique il y a les histoires des gens,
beaucoup d’entre elles tragiques. Vasile Barbu a vécu un tel drame, son épouse
ayant été une des victimes de ces infections : « Ma femme, qui est
avocate, a compté parmi les personnes à l’initiative desquelles notre
association a été créée. En tant qu’avocats, nous avions beaucoup de dossiers
de mauvaises pratiques. Nous avions été saisis par les familles dont les
membres étaient décédés des suites d’une infection contractée pendant leur hospitalisation.
Alors nous avons pensé que nous devions faire quelque chose pour eux, vu que
l’Etat et le ministère de la Santé ne faisaient rien. Nous avons eu cette
initiative, ma femme et moi. Après tant d’efforts, elle a dû subir une
intervention chirurgicale. Elle a été infectée dans la section de soins
intensifs, dans le bloc opératoire, et elle est décédée. »
Otilia
apporte une nouvelle preuve du fait que le drame des infections nosocomiales
traîne depuis longtemps dans les hôpitaux de Roumanie. Otilia est la mère d’un
garçon de 15 ans qui peu après sa naissance est tombé malade toujours pendant
qu’il était à l’hôpital : « Notre drame a commencé, en fait, dès la maternité. A peine né, mon
garçon a attrapé un virus localisé à l’estomac. Par conséquent, il a eu, dès le
début, de gros problèmes d’alimentation. Un certain temps après, après le
vaccin contre la rougeole, il a eu la fièvre – 40° pendant plusieurs jours.
Nous avons appelé l’ambulance et j’ai commis l’erreur d’accepter
l’hospitalisation. Là-bas, il s’est vu administrer des antibiotiques très
puissants qui ont affecté la muqueuse de son estomac et il a contracté une
autre bactérie, toujours à l’hôpital. »
Aucun
médecin n’a jamais expliqué à Otilia la cause de la maladie : une
infection au bacille pyocyanique. D’ailleurs, aucun membre du personnel de
santé ne lui a rien dit à ce sujet, lorsque l’enfant est tombé malade – ni la
première, ni la deuxième fois. « Quand
il est tombé malade la deuxième fois, il avait 11 mois. J’ai demandé que mon
enfant soit transféré à un autre hôpital et quand on m’a remis sa fiche, j’ai
pu y lire qu’il avait contracté une bactérie pendant son hospitalisation. A la
maternité, personne ne m’a rien dit. J’ai pris l’initiative de faire des
analyses pour savoir pourquoi mon bébé ne mangeait pas, mais je n’ai pu obtenir
aucune information concrète. A peine quand nous avons été hospitalisés la
deuxième fois, on m’a dit que peut-être la bactérie localisée à l’estomac avait
été détruite par les antibiotiques administrés à l’enfant. Pour le reste, ils
n’ont rien assumé. J’ai quitté cet hôpital et j’ai eu la chance de tomber sur
un très bon médecin. Il était là, cette nuit, quand mon enfant s’est trouvé
pratiquement entre la vie et la mort. Cette fois-ci, nous avons eu une chambre
stérile. Enfin, des mesures strictes d’hygiène avaient été prises. Si on
l’avait fait dès le début, nous n’aurions pas vécu ce cauchemar. »
« Le scandale des désinfectants » a
entraîné la démission du ministre de la Santé de l’époque. Le nouveau ministre – Vlad
Voiculescu – a agi en faveur des patients alors qu’il ne remplissait aucune
fonction officielle et il a promis de clarifier les aspects restés sans
solution. Reste à voir s’il réussira à écarter les blocages au sein du système
à la tête duquel il se trouve à présent.
(Trad.: Dominique)