Qu’est ce qu’un whistleblower ?
L’équivalent roumain du mot anglais ‘whistleblower’ ou du français ‘lanceur d’alerte’ est une expression – « avertisseur d’intégrité » – dont la définition est à retrouver dans le texte d’une loi, 571, adoptée en 2004. Adopté dans le contexte de la conclusion des négociations d’adhésion de la Roumanie à l’UE, cet acte législatif repose sur le principe de protection des fonctionnaires publics qui dénoncent des irrégularités ou des illégalités produites dans une entreprise ou une agence gouvernementale.
Christine Leșcu, 07.09.2016, 13:05
Le conseiller juridique Codru Vrabie, membre de l’Association ‘Funky Citizens’, impliquée dans l’élaboration de la loi mentionnée, nous fournit une définition plus exacte. Qu’est-ce que, donc, un avertisseur d’intégrité ? : «C’est le salarié ou le fonctionnaire de bonne foi qui observe une mauvaise conduite là où il travaille et tire la sonnette d’alarme, sollicitant que la direction prenne les mesures nécessaires pour résoudre les déficiences. Si la personne en question ne fait pas confiance à sa hiérarchie, elle peut s’adresser à des instances extérieures. »
La Roumanie a donc réglementé la catégorie de « l’avertisseur d’intégrité » depuis une dizaine d’années. Récemment, l’Initiative régionale anti-corruption (composante du Pacte de stabilité en Europe du Sud-Est) a désigné la loi roumaine comme une des meilleures du monde en la matière. Reste à voir comment elle est appliquée et, surtout, si les fonctionnaires s’en servent. Codru Vrabie : «Moi, j’ai connaissance d’une 50e de cas et il y en d’autres, en province, qui en sont au courant d’autres situations. A mon avis, il devrait y avoir entre 300 et 500 avertisseurs d’intégrité, apparus ces 12 dernières années, mais je ne détiens pas de chiffres officiels. Les institutions publiques roumaines ne se sont pas dotées de procédures de protection de ces lanceurs d’alerte et ne rapportent donc pas de tels cas. Par ailleurs, en termes de jurisprudence, il est impossible de faire des recherches sur la base de la loi de 2004 dans le système informatique des cours de justice, parce que ce texte est invoqué uniquement par la défense, il ne constitue pas le sujet principal d’un procès. »
Des événements récents liés à l’activité de la Compagnie nationale des autoroutes et des routes nationales de Roumanie sont une bonne occasion de regarder de plus près l’application de cette loi. En 2013, lorsqu’il occupait la fonction de directeur commercial de la Compagnie, Liviu Costache a découvert des cas de vols dans plusieurs gares de péages. Il s’est mis à enquêter là-dessus, mais la direction de la Compagnie ne l’a pas soutenu dans sa démarche, ce qui a fini par le pousser à démissionner. Dans ce cas précis, la loi de l’avertisseur d’intégrité a été bel et bien ignorée.
Liviu Costache : « Ce qui est grave c’est que les autorités, et je pense à la Compagnie nationale des autoroutes et des routes nationales, tentent d’introduire, dans les règlements internes et même dans la convention collective, l’interdiction, pour les salariés, de parler de telles choses. Par exemple, on nous a collé un avertissement pour avoir raconté des choses inventées dans une émission de télévision ; mais nous avions dit la vérité, la preuve – l’ancien directeur général de la Compagnie est actuellement placé sous contrôle judiciaire. Plus grave encore. Il faut l’autorisation du directeur général pour parler publiquement. C’est une violation grave des articles de la Constitution qui garantissent la liberté d’expression. »
Et pourtant, Liviu Costache est optimiste quant aux procès qui reposent sur ses enquêtes. Entre temps, Narcis Neaga n’est plus directeur de la Compagnie nationale d’autoroutes et de routes nationales et il est enquêté sous contrôle judiciaire par la Direction nationale anticorruption. Cette situation est également due aux actions de deux dénonciateurs : Alin Goga, ancien directeur des investissements de la direction régionale des routes et des ponts de Craiova, et Claudiu Tutulan, chef de la Direction des ponts et des routes de Craiova également. Le premier a dévoilé dans une émission télévisée les problèmes survenus dans la construction d’un secteur de l’autoroute reliant les villes de Sibiu et d’Orastie. Le secteur en question été fermé pour des travaux de réparation, quelques mois seulement après son inauguration, mais Alin Goga n’est toujours pas content, surtout que la loi 571/2004 ne l’a pas aidé. Ecoutons-le : « Les choses vont très lentement. Toutes les personnes incriminées dans un rapport du corps de contrôle du ministre des Transports, et que nous avons aussi dénoncées, occupent les mêmes postes, à l’exception de Narcis Neaga. Et cela n’est pas du tout en règle. Nous avons agi conformément à un modèle hiérarchique et nous avons informé le directeur général de l’époque qui n’a pas voulu m’écouter et n’a pas pris des mesures. Après avoir présenté les faits à la presse, ils m’ont menacé de m’attaquer en justice. J’attends toujours qu’ils déposent des plaintes pénales contre moi. Je me sens protégé par Dieu et par mes amis, par ma famille, pour le reste, personne ne te protège en Roumanie. Cette loi est à mon avis inutile. Même si elle précise clairement qu’elle s’applique aux compagnies nationales, la direction de la Compagnie nationale des autoroutes et des routes nationales a ignoré ce fait parce que le directeur général avait tout simplement décrété que la loi sur les avertisseurs d’intégrité ne s’appliquait pas dans notre cas. »
Egalement à compter de 2013, Claudiu Tutulan a déposé de nombreuses saisines après avoir vérifié l’emplacement des centres commerciaux situés près des routes nationales et européennes, qui devraient payer des taxes à l’Etat. Même s’il avait constaté des manques à gagner très importants, de plusieurs millions d’euros, il n’a été non plus protégé contre les abus de la direction de la Compagnie nationale des autoroutes et des routes nationales. La loi de l’avertisseur d’intégrité ne l’a pas non plus aidé. Claudiu Tutulan : « En 2013, j’ai invoqué la loi 571/2004, la loi de l’avertisseur d’intégrité mais les responsables de la compagnie ont ouvert une enquête qui me visait et ont voulu me licencier. J’ai été sanctionné par deux avertissements, même si je leur ai dit que la loi de l’avertisseur d’intégrité les obligeaient à accepter l’investigation de la presse, à s’expliquer à la télévision. Mais ils ont continué à voler et ont tout simplement ignoré la loi. J’ai été envoyé en missions dans le territoire sans aucun per-diem et sans couverture des frais de transport. Mon salaire a également été diminué d’environ 220 euros. Malgré les difficultés financières personnelles, j’ai continué mon travail aux côtés de mes collègues. Ce n’est que récemment que M. Neaga a été placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d’un dossier instruit par le parquet anti-corruption. Le problème c’est que cette loi est complètement inutile si nous refusons de nous soulever contre ceux qui volent. Finalement, ce sont nos enfants qui auront à souffrir ! »
Les histoires des trois avertisseurs d’intégrité ont déjà été présentées au grand public par le biais d’une pièce de théâtre appelée «Gens ordinaires», écrite et mise en scène par Geanina Carbunariu. (trad. Ileana Taroi, Alex Diaconescu)