Mobilité et changement dans les communautés rom
La communauté rom de Roumanie compte officiellement 621.200 membres – selon le recensement de 2011 – mais en réalité elle est beaucoup plus nombreuse et elle n’a pas fait l’objet de recherches sociologiques approfondies. Du moins c’est la conclusion des auteurs de l’étude « Aspects positifs de la migration. Les femmes roms en tant qu’agents de changement. » Cette étude, réalisée par la fondation « Eurocentrica » et financée par le biais du Mécanisme financier de l’Espace économique européen (EEA Grants) se proposait d’identifier les effets de la migration saisonnière à l’étranger sur les femmes roms et sur leur statut au sein de leurs communautés. Les chercheurs se donnaient également pour tâche de mettre en exergue une partie des relations sociales au sein de cette minorité méconnue et à laquelle on applique souvent des clichés – estime Gabriela Drăgan, directrice de l’Institut européen de Roumanie.
Christine Leșcu, 16.12.2015, 13:23
La communauté rom de Roumanie compte officiellement 621.200 membres – selon le recensement de 2011 – mais en réalité elle est beaucoup plus nombreuse et elle n’a pas fait l’objet de recherches sociologiques approfondies. Du moins c’est la conclusion des auteurs de l’étude « Aspects positifs de la migration. Les femmes roms en tant qu’agents de changement. » Cette étude, réalisée par la fondation « Eurocentrica » et financée par le biais du Mécanisme financier de l’Espace économique européen (EEA Grants) se proposait d’identifier les effets de la migration saisonnière à l’étranger sur les femmes roms et sur leur statut au sein de leurs communautés. Les chercheurs se donnaient également pour tâche de mettre en exergue une partie des relations sociales au sein de cette minorité méconnue et à laquelle on applique souvent des clichés – estime Gabriela Drăgan, directrice de l’Institut européen de Roumanie.
Gabriela Drăgan: « Nous avons affaire à un groupe qui se sent discriminé. Et il ne s’agit pas d’une perception sans fondement. J’ai consulté un Eurobaromètre réalisé en juin 2015, auquel ont participé 28.000 citoyens européens. Parmi les questions figuraient celle-ci : « A votre avis, la discrimination fondée sur l’origine ethnique est-elle répandue ? »64% des personnes interrogées ont estimé qu’elle était très répandue. La question sur l’origine ethnique concernait la population rom, mais aussi d’autres ethnies. Une autre question m’a pourtant paru encore plus intéressante. On leur demandait combien d’entre eux se sentiraient très mal à l’aise si leurs enfants avaient des relations avec des personnes d’une autre ethnie. 34% ont déclaré qu’ils se sentiraient très mal à l’aise si leurs enfants avaient des relations avec une personne d’ethnie rom. C’est le pourcentage le plus élevé exprimé de ce point de vue par les citoyens européens – à l’exception de leur réticence vis-à-vis des transsexuels. La réalité est là : il existe une telle perception vis-à-vis de ce groupe et cette perception s’explique sans doute par certains éléments indéniables. »
Pour échapper à la discrimination et sortir d’une situation économique plus que précaire, nombre de Roms circulent en Europe, en quête d’une vie meilleure. Certains d’entre eux se rendent en Norvège, où ils ont été accompagnés par les membres de la fondation « Eurocentrica ». Leur étude a été ciblée sur les femmes roms provenant de 3 communautés du département de Gorj, dans le sud de la Roumanie. C’est avec elles que les chercheurs se sont entretenus, aussi bien en Roumanie qu’en Norvège, où elles étaient arrivées après de longues pérégrinations à travers l’Europe.
Un des auteurs de l’étude, Liviu Iancu, explique: «Cette recherche nous a permis de constater quelques aspects très intéressants sur la manière dont les destinations migratoires des Roms se déplacent du sud au nord, en fonction des évolutions socio-économiques en Europe. Si, en 2000, les Roms travaillaient comme ouvriers agricoles au Portugal, après le déclenchement de la crise économique, ils ont changé de destination, se dirigeant vers les pays scandinaves. Pourtant là, les réglementations en vigueur les excluent du marché de l’emploi, aussi sont-ils obligés de recourir à la mendicité. Il y a aussi des exceptions et beaucoup d’entre eux souhaitent travailler, pourtant les barrières législatives, le fait qu’ils ne connaissent pas la langue et d’autres obstacles de ce genre ne les encouragent pas. »
A part la discrimination, la pauvreté et le manque d’éducation, les femmes roms sont confrontées à toute une série de problèmes qui leurs sont propres – reconnaît Cristina Tănase, membre de la communauté rom et manager de programmes au sein de la fondation « Sauvez les enfants » : « En effet, en général, la femme n’est pas l’égale de l’homme, mais en fonction de la branche roms à laquelle appartient la femme, cette inégalité est plus ou moins marquée. Par exemple, il ne lui est pas permis de s’asseoir à table avec son mari, pour le repas, il ne lui est pas permis de marcher aux côtés de son mari, c’est le mari qui marche devant sa femme. »
La migration semble modifier un petit peu le statut des femmes, peut-être pas nécessairement l’améliorer, mais plutôt y ajouter de nouvelles tâches. Liviu Iancu : « En ce qui concerne les femmes, groupe cible de cette étude, nous avons constaté que la migration entraînait certains changements dans leur statut. L’ambiance familiale était meilleure, vu que les ressources obtenues suite à l’immigration sont meilleures. L’immigration comportant certains risques, elles sont davantage consultées au sein de la famille. Lorsque les hommes ne peuvent plus jouer leur rôle traditionnel, à savoir subvenir aux besoins de la famille – qu’ils soient malades ou partis on ne sait où – les femmes sont obligées de renoncer aux restrictions sociales propres à leur communauté et prendre leur sort dans leurs propres mains: apporter de l’argent, prendre soin des parents malades et s’impliquer toutes seules dans le processus de migration. »
Pourtant, les résultats de l’étude peuvent être interprétés d’une autre manière. Gabriela Drăgan : « On a posé 26 questions, la plupart liées à leur statut : ce qu’elles faisaient en Norvège, comment elle gagnaient de l’argent. Plusieurs questions étaient susceptibles de mettre en évidence un changement du statut de la femme. « Quelque chose a changé dans votre famille depuis que vous allez en Norvège ? Qu’est-ce qui a changé ? Qui prend les décisions dans votre famille ? A la première question, plus de la moitié ont répondu « oui ». Il y avait des changements. Il fallait voir ce qui avait changé. C’est les revenus qui avaient changé, ils étaient plus grands, ce qui avait amélioré l’ambiance familiale. Quant à la façon dont les décisions étaient prises, pour 70% rien n’avait changé. Quant il s’agit de changer des modèles, les changements sont lents et très difficiles. L’hypothèse de l’étude était très intéressante, pourtant, de mon point de vue, les changements ne sont pas visibles. »
Selon Cristina Tănase, pour que les mentalités changent vraiment, il faut que l’expérience de la migration soit complétée par l’éducation: « L’éducation est déterminante. Si, dans d’autres pays, les Roms sont entrés en contact avec la population majoritaire, il est possible qu’ils s’éduquent eux-mêmes, en fonction de la culture où ils doivent s’intégrer. Moi, par exemple, j’ai emprunté des choses chez les majoritaires. C’est pourquoi l’association « Sauvez les enfants » met l’accent sur l’éducation. Nous sommes en train de développer des projets de formation pour les enseignants roms et non-roms, de sorte que la culture et la tradition de cette ethnie soient mieux connues et que les parents puissent être intégrés aux activités scolaires des enfants, afin qu’ils apprennent les uns des autres. »
A part cette recherche sociologique, le projet « Aspects positifs de la migration » a également comporté l’organisation en Norvège de deux festivals avec la participation d’artisans roms. ( Trad. : Dominique)