Les préférences culturelles des Roumains
A première vue, une partie des données fournies par le dernier baromètre de consommation culturelle, rendu public par le ministère de la Culture, ne sont pas du tout flatteuses: près de 63% des Roumains ne vont jamais au théâtre, 39% dentre eux nont rien lu en 2014, tandis que 79% nont guère fréquenté les bibliothèques. Pourtant, aussi bien les auteurs du sondage, chercheurs à lInstitut national pour la recherche et la formation culturelle, que les experts indépendants considèrent que les données respectives doivent être interprétées sans prétentions élitistes et quil faut surtout les placer dans un contexte.
Christine Leșcu, 20.05.2015, 13:26
Andrei Crăciun, chef du service de recherche au sein de linstitut mentionné, affirme que tant les types de consommation spécifiques à la « haute culture », que ceux relevant de la « culture de masse » ont été pris en compte: « Les Roumains sont des consommateurs de culture, mais cela dépend de la définition que lon applique à cette dernière. Parfois, nous pensons aux éléments qui définissent la haute culture, tels les théâtres, les opéras, les musées. Toutefois, dans nos études, nous conférons à la culture un sens plus large, lui associant aussi des activités organisées en plein air et des genres musicaux dits populaires. Un autre critère est celui de lendroit pris en compte, à savoir le milieu rural ou la ville, mais, somme toute, on ne peut pas affirmer que les Roumains ne sont pas consommateurs de biens culturels».
Lhistorien et critique littéraire Ion Bogdan Lefter souligne, lui, le mélange des deux types de préférences – lun pour la « haute culture », lautre pour la « culture de masse », qui est à retrouver dans dautres sociétés aussi: « Si lon sattend à ce quun beau jour la consommation culturelle atteigne de hauts niveaux – en ce sens que tout le monde lise un livre par semaine, aille au théâtre ou fréquente souvent les musées – alors là, les sondages sont décevants. Pourtant, si nous considérons la normalité à travers le monde, le type occidental de sociétés dont nous faisons partie aussi, nous constatons que nous sommes tout à fait compatibles avec nos semblables. Les données pas forcément spectaculaires fournies par ces recherches font état dune société ordinaire, où il y a des gens très cultivés, grands consommateurs de culture, mais aussi des individus moins instruits, des personnes fortunées, mais aussi des démunis. Dans ces sociétés-là, la consommation de biens cultuels nest quun type de consommation parmi dautres ».
Une des conclusions de cette étude porte sur lapparition de ce que lon appelle la consommation culturelle de type omnivore et sur le développement de pratiques culturelles hybrides, qui combinent plusieurs types de loisirs. Aller au spectacle, au cinéma, écouter un concert, ce sont des activités associées aux sorties en ville ou au divertissement, estime Andrei Crăciun: « Les galeries marchandes sont très fréquentées, y compris pour la consommation de culture et le cinéma. Elles sont donc un espace de socialisation aussi. On commence même à faire du théâtre dans des espaces alternatifs, autres que ceux consacrés. Les jeunes surtout préfèrent ces derniers, car ils leur offrent plus dexpériences, dont la possibilité de passer du bon temps entre amis».
Ceci étant, on assiste à une légère hausse de la participation à des spectacles divers et du taux de fréquentation des musées. 63% des habitants de la capitale roumaine, par exemple, vont chaque mois au théâtre et 62% dentre eux ont visité un musée dhistoire cette dernière année. Il faut noter que les musées dhistoire figurent en tête de leurs préférences, devant les musées de sciences naturelles. Les festivals aussi sont très prisés. 48% des Roumains se rendent aux festivals de film et de musique, tandis que 43% préfèrent les spectacles de divertissement et de musique.
Depuis quelques années, le nombre des Roumains à sêtre rendus au moins une fois à un spectacle de théâtre, dopéra ou de musique classique est constamment à la hausse. Petit bémol, la majeure partie de ces spectateurs participe à un nombre très restreint de spectacles relevant dun seul genre culturel et ne manifeste pas dintérêt particulier pour lacte artistique. Nous assistons donc à un phénomène dalphabétisation culturelle et non pas de fidélisation des spectateurs à un certain type de haute culture.
Andrei Crăciun nous parle dautres préférences culturelles des Roumains: « Sur lensemble de la population, cest la musique folklorique qui est la favorite. Les autres genres musicaux, par ordre de préférence, sont la musique légère, la pop-dance et autres genres à fort impact médiatique. On a également constaté une légère tendance décroissante de la popularité des ‘manele, ce style musical né dans les périphéries des grandes villes, aux rythmes inspirés surtout de la musique tsigane, disco et orientale. Lengouement pour les manele, très manifeste dans les années 2007 – 2009, sest entre temps éteint. Enfin, les comédies figurent parmi les premières options en matière de productions théâtrales, aux côtés des spectacles multimédias ».
Quant à la lecture, elle semble régresser: en 2014, 39% des Roumains déclaraient navoir pas lu de livre, contre 18% qui avaient lu quotidiennement, 16% avaient lu une ou deux fois par mois, 13% une ou deux fois par semaine et 14% une ou deux fois par an. En faisant le calcul, on dirait que les lecteurs sont plus nombreux que ceux qui ne lisent pas. Les représentants des maisons dédition contestent cette conclusion, qui découlerait dune erreur dinterprétation.
Mihai Mitrică, directeur exécutif de la Fédération des éditeurs de Roumanie explique: « Cette étude contredit toutes les observations sociologiques antérieures, y compris lEurobaromètre publié lannée dernière. Par exemple, selon létude rendue publique par le ministère de la Culture, un Roumain sur deux lit un livre par mois. Or cest aberrant, vu quen 2014, le même nombre dindividus – environ une moitié de la population – lisait un livre par an. Un tel saut de la consommation de livres ne saurait sexpliquer que par une erreur dinterprétation des données. Le marché du livre stagne depuis plusieurs années aux environs de 100 millions deuros, chiffre qui comprend 60 millions deuros du marché traditionnel et 35 à 40 millions du marché des manuels scolaires et des volumes de kiosque ».
En outre, la diversification des options culturelles et la multiplication des modalités daccès à la culture, dont Internet et les technologies numériques, changent non seulement notre perception de la « haute culture » et de la « culture de masse », que la manière dont nous valorisions la lecture par le passé. (trad.: Mariana Tudose)