Le syndrome de l’absence des parents partis travailler à l’étranger
Depuis le début des années 2000, lorsque les Roumains ont été de plus en plus nombreux à se diriger vers les marchés de l’emploi européens, un phénomène social indésirable a fait son apparition en Roumanie: les enfants de ces gens partis à l’étranger son restés chez eux, élevés soit par l’autre parent soit par quelqu’un de la famille élargie. Les effets n’ont pas tardé, ayant été remarqués par les familles elles-mêmes, par les enseignants et les psychologues.
Christine Leșcu, 29.07.2015, 13:09
L’absence des parents se traduit par un double manque: celui de l’autorité parentale et celui émotionnel ressenti par les enfants, avec un impact visible sur leur comportement. Quelles en sont les conséquences? Le sociologue Florian Niţu: «Les études indiquent clairement, dans ce cas, une baisse des résultats scolaires des enfants et de leur intérêt pour l’étude. Les comportements à risque et les dépendances sont également à craindre — notamment la consommation d’alcool, de tabac et de drogues. Ces enfants se rapprochent souvent de groupes délinquants et risquent même de devenir victimes de groupes criminels. Pourtant, l’impact majeur est de nature psychologique, affectant la structure de la personnalité. On peut parler d’un « syndrome du parent absent » et ce phénomène n’est pas propre à la seule Roumanie, il apparaît partout et depuis toujours. On a constaté que l’absence d’un parent ou des deux entraîne un sentiment de culpabilité et des niveaux d’anxiété élevés. »
Tous les enfants laissés en Roumanie par des parents partis travailler à l’étranger ne présentent pas ce syndrome, pourtant ils sont tous vulnérables et ont besoin d’une attention particulière. La « Fondation pour une société ouverte » a démarré, il y a plusieurs années, un recensement de ces enfants. Victoria Cojocariu, membre de la Fondation explique: « Nous avons démarré le projet en 2007, par une première étude, et nous nous sommes rendu compte que nous devions tout d’abord connaître le nombre d’enfants restés à la maison seuls ou avec un des deux parents. Les chiffres officiels n’étaient pas fiables : depuis 2004, les statistiques font état de 80 mille enfants. Or, sachant que le nombre de Roumains ayant quitté le pays en quête d’un emploi a beaucoup fluctué au fil du temps, nous nous sommes proposé de découvrir si ce chiffre était exact. Nous avons donc réalisé une étude, publiée en 2009. L’organisation non gouvernementale « Sauvez les enfants », réalisait, de son côté, ses propres recherches. Nos résultats concordaient : en 2008, la Roumanie comptait 350 mille enfants dans cette situation — alors que la Direction générale pour la protection de l’enfant recensait un peu plus de 82 mille. Nous avons signalé cet écart important. Les statistiques officielles pour 2014 donnent toujours un chiffre autour de 80 mille. »
Dans le cadre du projet « Orizont_FemRural », financé de fonds européens et mis en oeuvre par l’Association pour la Promotion de la Femme de Roumanie, le sociologue Florian Nitu a eu l’occasion de discuter avec plusieurs enfants. Il a constaté que tous ceux touchés par ce phénomène, parents et enfants en égale mesure, ressentaient une rupture, que chacun gérait à sa manière. Florian Nitu : «Il existe différentes manières de gérer cette séparation traumatisante, tant chez les parents que chez les enfants. J’ai rencontré des enfants qui souffraient beaucoup à cause de l’absence des parents et d’autres qui s’y sont très bien adaptés. Je dois préciser qu’il s’agit d’une relation en évolution, qui traverse des moments dramatiques, mais aussi des moments où elle fonctionne bien. Il y a des périodes dans la vie d’un enfant où il a du mal à se séparer de ses parents, et des périodes où cela est plus facile. Des moments où l’enfant est très vulnérable, selon l’âge et la conjoncture, et des moments de normalité. Il ne faut pas généraliser les effets négatifs du départ des parents. »
Un des objectifs du projet « Orizont_FemRural » a été justement de contrecarrer ces effets négatifs, en identifiant les erreurs commises par les parents dans la gestion de la relation à distance avec leurs enfants. Florian Niţu précise: «Il paraît qu’une erreur fondamentale commise par les parents est celle de rendre l’enfant responsable de leur propre décision de partir travailler à l’étranger. Quand ils voient que leur enfant a du mal à les comprendre ou qu’il commence à pleurer, les parents lui disent qu’il partent pour lui. Cette expression «pour toi» signifie «à cause de toi» pour l’enfant : « si tu n’existais pas, je ne devrais pas partir», entend-il. La motivation « je pars pour toi » pèse lourd sur un enfant. Souvent cette explication s’accompagne de l’affirmation : « il est tellement difficile ici ». Alors, l’enfant se sent encore plus coupable : «maman et papa partent à cause de moi et là — bas ils se sentent encore pire». Lorsque ce n’est que la mère qui part, des tensions naissent souvent dans le couple qui finit par divorcer. C’est valable pour la moitié des mariages où la mère est celle qui travaille à l’étranger. Dans ce cas, l’enfant se sent coupable aussi de la séparation des parents.»
Souvent, les parents ne gardent de contact téléphonique régulier ni avec les enfants ni avec leurs enseignants. En plus, il tentent de compenser leur absence par des quantités de cadeaux. Les experts leur recommandent de communiquer aussi souvent que possible avec les petits, par tous les moyens. Rester en contact avec les personnes responsables de l’éducation des enfants est tout aussi important, surtout dans le nouveau contexte, apparu il y a quelques années. Victoria Cojocariu nous en dit davantage: « La crise économique a apporté beaucoup de changements dans la situation de ces enfants. Il y a désormais une nouvelle catégorie : les enfants revenus de l’étranger. Une situation signalée par le ministère de l’Education il y a une année et demie. Les inspections scolaires sont confrontées au fait que des dizaines, voire des centaines d’enfants se voient obligés à rentrer au pays parce que leurs parents ne peuvent plus les garder. Ces enfants réintègrent le système scolaire roumain après avoir passé plusieurs années dans un système étranger. Ils ont évidemment des lacunes et des difficultés. Certains sont accompagnés par leurs parents, d’autres rentrent seuls. Malheureusement nous ne disposons pas de données exactes en ce sens.»
Même si en général, la plupart des enfants finissent par se résigner au départ des parents, il y a aussi des cas isolés où les petits n’acceptent pas complètement la situation et arrivent à faire des gestes extrêmes, comme le suicide. Il est donc essentiel d’avoir des statistiques exactes et d’éduquer les parents à avoir une bonne relation à distance avec leurs enfants. (trad. Dominique, Valentina Beleavski)