L’esprit civique dans les quartiers bucarestois
Parmi les bâtiments de 4, 8 ou 10 étages, ont fait leur apparition des écoles, des maternelles, des dispensaires et même une salle de cinéma, ouverte dans un ensemble de constructions où se trouvaient aussi une pâtisserie, un magasin dit « universel » où l’on vendait des produits en tout genre, un atelier photo et un salon de coiffure pour hommes.
Christine Leșcu, 15.10.2014, 14:47
Au beau milieu de ce périmètre se trouvait un petit marché et une petite esplanade qui servait de lieu de rendez-vous et de rencontres pour les jeunes — et les moins jeunes. Le quartier s’est ainsi doté d’un centre, autour duquel les gens pouvaient jeter les bases d’une communauté. Pourtant, depuis 17 ans, le cinoche « Favorit » reste fermé et la zone commerciale a été entièrement changée — au grand regret de nombreux habitants de la zone, qui se sont d’ailleurs réunis pour constituer un comité d’initiative. Dans quel but? Une de ses membres, Marilena Trică, explique. « L’initiative « Favorit » est un groupe d’amis, de voisins et de citoyens qui souhaitent la même chose : faire revivre le cinéma « Favorit » et la zone qui s’étend tout autour. Nous avons créé ce groupe en mai 2010, avec le concours du Centre de ressources pour la participation publique. A ce moment-là, les représentants du Centre sont allés frapper aux portes de 120 appartements pour inviter leurs habitants à un débat sur les problèmes auxquels ils sont confrontés. La mobilisation a dépassé les attentes : la moitié des familles invitées ont répondu à l’appel. Les participants ont été priés de noter sur un bout de papier les changements qu’ils souhaitaient pour la zone où ils habitaient. En centralisant les réponses, on a constaté, avec surprise, que les gens souhaitaient, presque tous, une nouvelle vie pour a salle de cinéma « Favorit ». C’est ainsi qu’est né le groupe d’initiative. Il compte une dizaine de membres actifs, qui se réunissent régulièrement, et 300 membres au total.
Ce que ces personnes souhaitent, ce n’est pas tout simplement de réouverture de la salle, mais que tout l’ensemble devienne un centre culturel où l’on organise des spectacles de théâtre et des concerts, où les retraités puissent socialiser et les jeunes trouver un loisir, où les enfants puissent participer à des ateliers, à des cours ou à des activités éducatives, bref, qu’il redevienne « le cœur d’une communauté », comme l’appelle le sociologue Mircea Kivu. « Les quartiers d’une ville n’ont pas uniquement besoin de services communaux. De ce point de vue-là, le quartier Drumul Taberei ne manque de rien, il dispose de salles de cinéma dans ses galeries commerciales et d’espaces commerciaux à profusion. Pourtant, les quartiers ont aussi besoin de ce que j’appellerais « des repères symboliques », c’est-à-dire d’endroits où les gens puissent se rencontrer, où ils puissent avoir une vie communautaire. Il est donc nécessaire que ces quartiers se développent en tant que communautés et non pas comme simples « agglomérations humaines », si je puis dire. »
Le régime communiste a détruit l’esprit associatif, ça c’est vrai. Et pourtant, depuis quelque temps, dans différents quartiers ou dans différentes villes, de petits groupes commencent à se constituer et à agir comme une communauté. Le quartier « Drumul Taberei » compte même plusieurs groupes d’initiatives — le groupe « Callatis Drumul Taberei » et l’initiative Tudor Vladimirescu.
Dans un autre quartier de la capitale a été créé le groupe « Lacul Tei ». Lorsque le gens sentent appartenir à une communauté, l’esprit civique commence à s’éveiller. Le sociologue Mircea Kivu connaît des initiatives similaires dans d’autres villes du pays. « En effet, à Iaşi, dans l’est de la Roumanie, s’est récemment constituée l’initiative de ceux qui s’opposent à la décision d’abattre les tilleuls du centre ville. Une autre belle initiative à mentionner est celle de la ville d’Oradea, dans le nord-ouest du pays. Il s’agit d’un groupe qui s’est constitué pour faire reconstruire un passage commercial et le transformer en centre communautaire. On voit surgir un peu partout des actions de ce genre, les gens commencent à s’organiser eux-mêmes. En l’absence de telles initiatives, les autorités ne feront qu’à leur tête. »
Pour en revenir au groupe d’initiative « Favorit », ce qu’il a obtenu des autorités, c’est à Marilena Trică de nous l’expliquer. « Nous avons rédigé et déposé un tas de pétitions, nous sommes intervenus lors des réunions du conseil local de la mairie de l’arrondissement, nous avons diffusé des communiqués de presse. Nous nous sommes même disputés avec les responsables. Et voici ce que nous avons obtenu : en 2011, les fonds destinés au projet « Favorit » ont été approuvés et l’étude de faisabilité a été réalisée. En 2012 nous avons obtenu des fonds du budget local et réalisé le projet technique. En 2013, à notre grande joie, nous nous sommes vu allouer 2,6 millions d’euros pour la mise en œuvre du projet. Malheureusement, les travaux n’ont pas encore commencé, car le bâtiment qui abrite le cinéma n’appartient pas à la mairie, mais au ministère de la Culture, par le biais de la Régie autonome de distribution et d’exploitation des films România Film. Nous nous battons donc pour que la mairie du 6e arrondissement de la capitale entre en possession de ce bâtiment et puisse réaliser l’investissement. Aussi, poursuivons-nous la série des pétitions. »
Pour l’instant, le projet est donc bloqué, à cause de la bureaucratie, entre la Régie autonome de distribution et d’exploitation des films România Film, qui a abandonné le bâtiment abritant la salle de cinéma, et la mairie du 6e arrondissement, qui ne peut pas en devenir propriétaire.
Cependant, Marilena Trică et les autres membres du groupe d’initiative envoient aux autorités des cartes postales où ils expriment leurs requêtes — d’une façon plutôt inhabituelle. « En voici un exemple : une carte postale envoyée au ministère de la Culture, porte le texte suivant : « Messieurs, je suis citoyen américain résidant au quartier Drumul Taberei depuis 20 ans. J’aime notre quartier, mais il y a là une triste ruine : le cinéma « Favorit » et nous souhaitons qu’il soit transformé en centre commercial. Je ne comprend pas à 100% le problème, mais je pense que le ministère peut aider ce groupe. » Et puis, nous avons adressé une demande à la mairie du 6e arrondissement dans les termes suivants : «Nous ne voulons pas de petites fleurs et de nouvelles bordures de trottoir dans le 6e arrondissement. Nous voulons de l’argent, de la bonne volonté et de l’éducation pour le cinéma « Favorit ».
Pour prouver que les actions civiques portent leurs fruits, le 26 septembre, à l’occasion des « Journées du Quartier », les membres du groupe d’initiative ont réussi à convaincre les autorités à ouvrir les portes du cinéma «Favorit». Deux courts métrages ont été présentés dans le hall du bâtiment et le grand nombre de spectateurs les ont fait espérer qu’ensemble, ils finiront par atteindre leur but.
(Aut.: Christine Leşcu ; Trad. : Dominique)