Le Club sportif des arts
Aujourdhui, nous vous invitons à nous accompagner dans un établissement culturel privé, ouvert en 2018 : le Musée dart récent de Bucarest (MARe). Depuis mai dernier, une exposition inédite y est présentée, et nous en avons parlé avec lhistorien de lart Erwin Kessler, directeur et fondateur du Musée dart récent. Cette exposition sappelle « Le Club sportif des arts » (« Le sport dans lart roumain de 1900 à nos jours »).
Ana-Maria Cononovici, 24.08.2021, 13:09
Aujourdhui, nous vous invitons à nous accompagner dans un établissement culturel privé, ouvert en 2018 : le Musée dart récent de Bucarest (MARe). Depuis mai dernier, une exposition inédite y est présentée, et nous en avons parlé avec lhistorien de lart Erwin Kessler, directeur et fondateur du Musée dart récent. Cette exposition sappelle « Le Club sportif des arts » (« Le sport dans lart roumain de 1900 à nos jours »).
Lexposition, qui retrace le paysage très diversifié de lintérêt artistique pour le sport et léducation physique dans la culture visuelle de notre pays, présente 53 œuvres dart (peinture, dessin, sculpture, photographie, vidéo, installation), réalisées par 48 artistes roumains, provenant des collections de 12 musées du pays (dont MARe), de neuf collections privées et de quatre galeries dart, nous dit Erwin Kessler :
Erwin Kessler : « Cest la plus ample collaboration que nous ayons eue à ce jour. Parmi les œuvres que nous exposons, il y a des œuvres du patrimoine national, voire des œuvres figurant au Trésor national, et les amener au Musée dart récent a été un effort considérable pour nous. Il sagit dune exposition couvrant une vaste période, de 1900 à 2021. Nous lavons préparée en 14 mois environ et jai réalisé à un moment donné quil y aurait un chevauchement cette année entre deux événements sportifs, les Jeux olympiques de lannée dernière et le Championnat dEurope de football. Et nous avons pensé que si de toute façon la Roumanie nest plus une force sportive, il était bien de montrer quels résultats la société roumaine a obtenus en sport au siècle précédent. »
Une association moins commune entre lart et le sport, donc.
Erwin Kessler : « Honnêtement, tout le monde a été surpris. Cela semble une contradiction – pourquoi soccuper du sport quand vous vous occupez de lart ? Eh bien, lart sest occupé du sport, et cela, nimporte qui peut le voir même sans venir à lexposition – parce que nous avons aussi fait un catalogue, un catalogue tout à fait spécial point de vue aspect. Cest un stade, où il ny a pas que des photos, mais aussi des introductions dans lhistoire de lart roumain qui sest rapporté au sport. Il est instructif sur tout un processus qui commence quelque part à la fin du XIXe siècle, au début du XXe siècle, lorsque, avec lart, élément essentiel de lessor de la société roumaine, les premiers clubs sportifs commencent à acquérir une visibilité sociale aussi. Lart et le sport sont dans le même bateau de la modernisation. Ce sont des vertus. »
Parmi les artistes célèbres qui ont reflété les domaines sportifs délite, Erwin Kessler a mentionné Ştefan Luchian, Nicolae Grigorescu, se référant à léquitation – mais aussi Victor Brauner ou Hans Mattis-Teutsch, en se référant à la boxe. Lexposition illustre également la seconde moitié du XXe siècle, pendant laquelle les artistes qui reflètent le sport dans lart sont plutôt tributaires à la propagande communiste. Ensuite, nous arrivons à lactualité.
Erwin Kessler : « Après 1989, les jeunes artistes en particulier, les artistes critiques, voient tout dun coup le sport sous un angle complètement différent, et cest ce que notre exposition montre. Une optique qui transforme le sport dune vertu en un vice, à la fois à lépoque communiste, qui manipule le sport – tout ce qui relève de la conscience aussi bien que des pratiques en matière déducation physique. La critique devient un levier entre les mains de jeunes artistes dans labolition des éléments positifs du sport. La deuxième aile de notre exposition, laile de laprès-1989, est éclairante à cet égard : des œuvres dures, qui montrent la commercialisation du sport. »
Nous avons demandé à Erwin Kessler de nous présenter quelques-uns des objets exposés les plus provocateurs : « Parmi les œuvres les plus provocatrices que nous présentons, je pourrais vous parler dune collection tout à fait exceptionnelle et, jusquà présent, inédite. Elle comporte toutes les cartes de légitimation du club de Gheorghe Dinu, anciennement Stephan Roll, qui a été un sportif de gauche, depuis la période de lentre-deux-guerres. Nous surprenons le parcours de cet avant-gardisme par les cartes de légitimation des clubs, qui sont des cartes bourgeoises – jusquaux cartes de légitimation des clubs communistes. Cela fait état dune certaine continuité idéologique : le sport prôné par les avant-gardistes est un sport qui prépare le corps de lartiste-athlète à la véritable confrontation, celle avec les forces de lordre, pour la mise en œuvre de la révolution. Tel est laspect essentiel de la préparation sportive de lavant-gardiste : la capacité de résister à la répression, de préparer un corps valide pour la révolution prolétarienne. Cest une pièce importante qui peut passer inaperçue – mais historiquement, cest très évocateur. »
Et Erwin Kessler dajouter : « Dans lart contemporain, je dirais que lune des pièces les plus fortes que nous ayons, cest le film dIon Grigorescu de 1977, qui sintitule « Boxe ». Un film dartiste, un film réalisé avec de léquipement en grande partie fabriqué par lartiste-même, un film extrêmement robuste, un film dans lequel lartiste est battu à plates coutures par sa propre ombre. Il sest filmé en deux hypostases en même temps, elles se superposent. Avant 1977, cette idée davoir peur de sa propre ombre était un phénomène généralisé pour la société communiste. De lart contemporain, je pense que ce qui mérite lattention, cest lune des toiles les plus intéressantes que nous présentons, appartenant à Ştefan Constantinescu, « Une salle de gymnastique », daprès une photo trouvée dans les années 80. Une salle de gym typiquement communiste, peinte dans les années 90, une salle comme une cathédrale dédiée à de nouvelles pratiques quasi-religieuses, dans laquelle les jeunes font du sport alignés comme par détachements. Et je parlerais encore dune œuvre très intéressante, tirée dune collection privée cette fois – un boxeur de Hans Mattis-Teutsch, une œuvre extraordinaire des années 50, du temps de la guerre, dans laquelle lartiste tente de réunir à la fois le caractère élitiste des sports de lentre-deux-guerres, et nous avons un boxeur avec un short presque empesé, avec les vertus prolétariennes. »
Lexposition reste ouverte jusquau 19 septembre. (Trad. : Ligia Mihaiescu)