La meunerie traditionnelle. Une activité en voie de disparition
Il y a près d’un siècle, rien que dans le bassin supérieur de la rivière Mureş, on recensait 367 installations hydrauliques paysannes. Aujourd’hui, il n’en reste que trois, conservées dans les musées ethnographiques de Reghin et de Sibiu. Grâce au travail du chercheur Dorel Marc, spécialiste en ethnographie et en art traditionnel au Musée départemental de Mureş, on a récupéré non seulement des moulins, mais aussi scieries, meurtriers, foulons, batteuses, cardes à laine et bien d’autres objets. Les résultats de ses recherches, Dorel Marc les a réunis dans l’ouvrage intitulé « Civilisation technique traditionnelle et industries paysannes. Installations hydrauliques dans la région de Mureş, au milieu du XXe siècle ». Selon l’auteur, cette étude nous aide à découvrir le rôle complexe du meunier dans la vie du village :
Ana-Maria Cononovici, 01.02.2021, 13:29
« Ce savoir-faire, qui, au bout de plusieurs siècles de pratique, allait devenir une véritable industrie traditionnelle, on peut encore le voir dans les grands musées en plein air de Roumanie. Et là je me réfère au Musée Astra, de Sibiu, au Musée du village Dimitrie Gusti, de Bucarest, au Musée du Maramureş, de Sighetu Marmatiei. Dans le comté de Mureş, à Reghin, on peut admirer maints témoignages de la civilisation et de la culture traditionnelles. Malheureusement, les différentes installations hydrauliques, dont moulins, scieries, presses, foulons, tout cela c’est du passé, aujourd’hui. Un passé qui renvoie à nos grands-parents. Ces grandes réalisations de technique traditionnelle, qui témoignent de l’ingéniosité des paysans peuvent toujours inspirer les grands ingénieurs contemporains. »
Au tout début, il y avait les petits moulins à main. Ensuite, au Moyen Âge, l’homme a appris à se servir de la force des eaux pour mettre en marche des engrenages. Les moulins se sont beaucoup développés, d’abord sur les domaines des boyards. Avec le temps, les paysans ont également acquis le droit d’en posséder. Dorel Marc, qui a mené ses recherches notamment dans les contrées de Mureş et des Târnave, en Transylvanie, nous a fait part de quelques-uns de ses constats.
« En 1956, le Conseil d’Etat des Eaux de l’époque a dressé l’inventaire des moulins fonctionnels dans la zone. On en comptait 400, dont 236 à roue hydraulique. Parmi ces derniers, 55 avaient 2, 3 ou 5 roues. Mais au-delà de ces statistiques, il faut regarder la meunerie comme un phénomène non seulement économique, mais aussi social, le rôle du meunier étant très important dans la communauté rurale d’antan. (…) Dans de nombreux foyers paysans, il y avait de véritables ensembles d’installations techniques traditionnelles. Cela veut dire qu’un seul et même bief, qui amenait l’eau à la roue du moulin, servait aussi à actionner des scieries, où l’on coupait le bois nécessaire à la construction, mais aussi à mettre en marche les meurtriers, les foulons, les presses. Il faut dire que les presses à huile étaient nombreuses dans cette région. Donc, en plus du fait que le moulin fournissait la farine de blé et de maïs pour le pain quotidien ou la polenta, ces installations complexes avaient aussi d’autres utilisations dans les foyers paysans. »
Le mécanisme de broyage consiste en deux meules – l’une mobile, l’autre fixe. On les désigne aussi par les termes de courante et respectivement de gisante ou dormante. C’est la meule courante qui, en tournant, fait broyer les grains de blé ou de maïs. Comme la mouture diffère selon qu’il s’agit de blé ou de maïs, un séparateur ou une vis servait à soulever la pierre courante autant que nécessaire pour obtenir la granulation souhaitée. La force de l’eau, qui entraînait la grande roue en bois de l’extérieur, était transmise au mécanisme guidant la pierre mobile à l’aide de grandes courroies, fabriquées d’abord en cuir, et ensuite en caoutchouc.
Sous le communisme, les familles de meuniers ont eu un sort malheureux. Considérés comme étant des paysans aisés, les meuniers ont été persécutés, alors que leurs enfants se sont vu interdire l’accès dans les établissements d’enseignement supérieur. Dorel Marc, ethnologue au Musée départemental de Mureş, compte approfondir ses recherches :
« Il serait bon de poursuivre ces recherches liées au destin des meuniers, que l’on rencontrait jadis dans toutes les provinces historiques du pays, en Munténie, en Olténie, en Moldavie ou au Banat, partout où ce réseau hydraulique existait. Les meuniers ont toujours constitué une catégorie à part au sein des communautés. »
Dorel Marc souhaiterait même que ces éléments traditionnels soient mis en valeur en tant qu’attractions touristiques :
« Ce serait formidable si, grâce aux réseaux touristiques, les visiteurs pouvaient voir comment fonctionne un moulin, comment on pressait les graines pour en obtenir de l’huile. Ils pourraient également découvrir la technique ancienne des tourbillons, permettant de laver les tissus de laine ou la bure, à l’aide de la seule force centrifuge, sans détergents et sans polluer l’environnement. Qui sait, peut-être qu’à l’avenir il y aura une meilleure cooptation des ethnologues dans les actions visant à faire revivre certains métiers artisanaux. Heureusement qu’il existe encore des passionnés des traditions qui ont des initiatives en ce sens. Toutefois, il faudrait bien garder à l’esprit la nécessité de procéder de manière scientifique, pour éviter le risque de s’éloigner de l’authenticité. »
Au fil du temps et au gré des changements, les moulins et le métier de meunier se sont adaptés. Après 1990, des moulins électriques mécanisés, utilisés auparavant par les coopératives de production agricole, ont fait leur apparition dans certaines communes. Pourtant, comme le pain fait maison devient de moins en moins courant, les villageois vont de moins en moins souvent chez le meunier. En plus, quand cela leur arrive, c’est moins pour la farine de blé ou de maïs qu’ils se rendent au moulin, mais plutôt pour se procurer des blés broyés servant à nourrir le bétail. (Trad. Mariana Tudose)