Le « Dragobete » – la fête roumaine des amoureux
Ana-Maria Cononovici, 05.03.2019, 17:14
Depuis quelques années, les Roumains accordent de
plus en plus d’importance à la Saint Valentin. Et pourtant, nous avons notre propre
fête des amoureux. Elle s’appelle Dragobete et elle est célébrée le plus
souvent le 24 février, mais aussi, parfois, le 28 février ou le 1-er
mars. Son nom provient du mot « drag », qui signifie
« cher ». Dans la tradition roumaine, Dragobete est « un être moitié
homme, moitié ange, jeune, beau et immortel, qui parcourt le monde, mais que
les humains ne peuvent pas voir, car la terre a été souillée de crimes et de
jurons » – pour citer l’ethnologue Simeon Florea Marian. Ce personnage mythique
est connu à travers le pays. Au Maramureş, dans l’extrême nord de la Roumanie,
on l’appelle « Dragomir ». Il a toutes les caractéristiques du
Dragobete, à l’exception de sa double nature zoomorphe et anthropomorphe. A
l’extérieur de l’arc des Carpates, ce personnage a une tête humaine et des
pieds de bouc. C’est là une représentation très ancienne, d’origine thrace,
mais que l’on retrouve également dans d’autres mythologies du monde. Ce
jour-là, les jeunes des villages roumains s’habillaient de fête et cueillaient
des plantes magiques, qu’ils gardaient pendant toute l’année, leurs vertus
étant liées au mariage. Des groupes de jeunes hommes et de jeunes filles
faisaient également ce jour-là des serments et devenaient amis à la vie et à la
mort pour le reste de l’année.
Afin de contrebalancer la fête si médiatisée de
la Saint Valentin, les musées du village du pays ont célébré la fête
traditionnelle des amoureux – le Dragobete – l’expliquant et l’illustrant pour
ceux qui souhaitaient en savoir davantage. Le Musée national du Village
« Dimitrie Gusti » de Bucarest a offert à ses visiteurs un programme
spécial. L’acteur Alexandru Nicolae Mihai a raconté l’histoire de cette fête: « Le 24 février nous fêtons
le Dragobete, la fête roumaine des amoureux. Ce jour-là, les jeunes hommes et
les jeunes filles s’en allaient cueillir ensemble les premières fleurs du
printemps sorties après la fonte des neiges. Cette cueillette a la valeur d’un
sacrifice végétal assurant la sacralité et la pureté du temps à venir. Le
Dragobete marque également ce qu’on appelle « les fiançailles des
oiseaux ». On dit que l’oiseau qui n’a pas trouvé un ou une partenaire jusqu’à
la fête du Dragobete restera seul toute l’année. La période de solitude est
donc limitée, elle ne dure pas toute la vie, mais une année seulement. Transposé
dans le monde humain, ce principe veut dire : si vous n’avez pas réussi
cette année, ça ne fait rien, peut-être réussirez-vous l’année
prochaine. »
Narcisa Mihai parle d’un rituel magique spécifique à
cette fête : « Il y a de nombreuses traditions liées à
la fête de Dragobete. Pour se faire aimer des garçons qui leur plaisaient, les
jeunes filles devaient faire un rituel magique le mardi et le jeudi. Pour cela,
il leur fallait du sel, du miel et « l’eau des fées ». Du sel et du
miel, nous en avons tous chez nous, mais où trouver l’eau des fées ?
« L’eau des fées » est l’eau obtenue par la fonte des derniers restes
de neige qui se trouvent dans les forêts, sur les collines ou dans la cour. Cette
eau était gardée soigneusement, presque comme de l’eau bénite, spécialement
pour ce rituel. On mettait dans un récipient du sel et du miel, on les
chauffait on versait dessus cette eau des fées. Pour que l’amour soit durable,
la jeune fille qui voulait se soumettre à ce rituel devait se tenir dévêtue devant
l’icône, pour être arrosée, de la tête aux pieds, avec cette eau. La personne
qui accomplissait le rituel prononçait certaines paroles magiques. Si la jeune
fille gardait ses vêtements, l’amour risquait d’être passager. »
Ce rituel avait un effet magique, ajoute Narcisa
Mihai: « Ce rituel était censé
assurer aux jeunes filles, lors de la fête de Dragobete, la rencontre avec le
garçon qu’elles aimaient. Si la rencontre ne se produisait pas, on répétait le
rituel l’année suivante. Le plus souvent, lors de cette cueillette des fleurs,
des couples se formaient et les jeunes se mariaient avant l’automne. Une fois
devenues épouses, les filles n’étaient pas tout à fait tranquilles, pas plus
que celles qui cherchaient encore leur futur mari, car l’amour risque de
disparaître et pour le rendre stable et durable, chaque année, lors de la fête
de Dragobete, elles devaient respecter d’autres traditions – cette fois-ci
destinées aux femmes mariées. On dit que ce jour-là, les maris doivent bien se
garder de fâcher leurs femmes, sinon ils risquent d’avoir de la malchance toute
l’année. »
De leur côté, les femmes, pour avoir de la chance
toute l’année, devaient toucher un bel homme, autre que leur mari. Pour savoir
si les jeunes mariés allaient bien s’entendre, on mettait sur les charbons
ardents deux noix sur lesquelles étaient inscrits leurs noms. Si elles
brûlaient silencieusement, leurs relations allaient être harmonieuses. Si, par
contre, les noix craquaient et sautaient sur les charbons ardents, leur amour
allait être capricieux. (Trad. : Dominique)