L’Huileux
Cela fait plus d’une année déjà qu’un vélo cargo arpente de temps en temps les rues de Bucarest. Faisant figure à part dans le trafic fou de la capitale roumaine, ce véhicule ne passe pas inaperçu: il intrigue, attire les regards et provoque souvent un concert de klaxons de la part des passionnés de quatre roues. N’empêche: Marian Scafaru se dit un conducteur heureux. Il pédale à travers la ville avec un objectif bien précis: collecter et recycler des huiles alimentaires usagées.
România Internațional, 21.09.2014, 13:00
Cela fait plus d’une année déjà qu’un vélo cargo arpente de temps en temps les rues de Bucarest. Faisant figure à part dans le trafic fou de la capitale roumaine, ce véhicule ne passe pas inaperçu: il intrigue, attire les regards et provoque souvent un concert de klaxons de la part des passionnés de quatre roues. N’empêche: Marian Scafaru se dit un conducteur heureux. Il pédale à travers la ville avec un objectif bien précis: collecter et recycler des huiles alimentaires usagées.
D’où cette drôle d’idée lui est-elle venue? Marian Scafaru: « J’ai travaillé pas mal d’années dans des multinationales. Je suis donc un ancien corporatiste qui, poussé par le désir d’évader de son petit bureau et désireux d’entrer en contact avec les autres, a décidé un beau jour de se consacrer entièrement à un projet qu’il aime et auquel il fait confiance. L’idée m’est venue suite à une annonce mise en ligne qui disait nous, on rembourse les huiles”. Plus exactement, on offrait 1,5 lei par litre dans le cadre d’un programme s’adressant aux particuliers. J’ai voulu en apprendre davantage et je me suis donc présenté au centre de collecte pour découvrir que l’initiative n’avait pas de succès. Selon les estimations, 99% des usagers domestiques versent les huiles alimentaires dans l’évier, les WC ou encore dans le caniveau. La raison en est des plus simples: bien qu’ils existent des services de collecte sur place, ils fonctionnent seulement pour des quantités de plus de 30 litres ce qui dépassent souvent les possibilité des usagers ménagers. Ou bien, ils pourront le faire seulement en s’organisant au sein des associations de propriétaires. En attendant qu’ils prennent l’initiative, j’ai avancé ma solution à moi. J’ai mis sur pieds le projet l’Huileux. Il m’a fallu bien réfléchir avant de m’y lancer et je l’ai fait au moment où j’ai eu la certitude d’un soutien extérieur. Ce soutien, je l’ai reçu de la part de la communauté des cyclistes de Bucarest. Quant au projet, je l’ai entamé en l’absence de tout investissement de départ, mais à travers des partenariats qui m’ont permis de faire la promotion, d’utiliser un vélo cargo, de faire un site et de la publicité. »
Le vélo cargo de Marian Scafaru permet le transport d’une charge maximum de 80 kilos, d’où la possibilité de collecter des quantités d’huile usagée moins importantes. Toute personne ayant ramassé au moins deux litres de vieille huile de friture peut accéder au site Uleiosul.com, compléter un formulaire avant de se faire contacter par Marian et fixer ensemble le jour et l’heure de la collecte.
Très peu d’entre nous connaissent les effets nocifs des huiles usagées tant sur l’environnement que sur notre santé, raconte Marian Scafaru. Ces huiles corrodent les tuyaux, détruisent la canalisation et les stations d’épuration, en entraînant à la fin une majoration des coûts de maintenance qui se retrouvent dans nos factures. On estime qu’un litre d’huile usagée peut entraîner la pollution d’un million de litres d’eau. En plus, une fois dans la nature, ces huiles forment une pellicule à la surface des eaux qui bloque le transport de l’oxygène vers la flore et la faune aquatique. Par ailleurs, le sol imprégné d’huiles usagées nécessite bien des années pour se régénérer et redevenir fertile.
Depuis le lancement de son projet, en décembre 2013, Marian Scafaru a ramassé quelque 950 litres d’huile auprès de 150 Bucarestois: « Nous disposons d’une base de données qui compte jusqu’ici environ 300 personnes, dont certaines nous ont déjà donné de l’huile, même à deux reprises. Ça nous réjouit beaucoup et nous sommes sûrs que ce projet aura du succès, puisque nous essayons constamment de le promouvoir. Les gens sont très heureux de pouvoir nous donner l’huile qu’ils ont collectée. Certains ont ramassé 5 litres d’huile en deux ans, d’autres en 2 mois seulement. J’ai rencontré une personne qui avait collecté 40 litres d’huile pendant plusieurs années. Il ne savait quoi faire de toute cette quantité, et évidemment il connaissait les effets nuisibles de cette huile usagée. Il a été très heureux lorsque nous la lui avons reprise. Nous allons parler également aux gens qui travaillent dans la restauration, notamment aux patrons de petites unités. Nous nous sommes rendus compte que ceux-ci jettent l’huile usée parce qu’ils ne collectent pas plus de 30 litres par mois. Mais 20 litres est également une quantité significative. »
Que se passe-t-il avec l’huile usée après le voyage en vélo cargo ? Eh bien, sachez qu’il peut devenir une source d’énergie alternative. A partir d’un litre d’huile alimentaire usée, on peut produire 900 ml de biodiesel. Les produits secondaires, ceux qui résultent de la production de ce carburant, sont également utilisés dans la fabrication du savon et du décoffrant pour le béton, utilisé pour retirer plus facilement les coffrages. Le biodiesel est un carburant renouvelable utilisé par les gros moteurs, des camions ou des navires, par exemple.
Marian Scafaru compte inaugurer sa propre station de recyclage: « A l’heure actuelle, nous livrons l’huile à un centre de collecte, d’où elle est acheminée en Autriche, pour produire du biodiesel. Notre désir c’est de produire ce carburant, ici, en Roumanie. La technologie n’est pas trop compliquée. A partir du produit secondaire résultant de la transformation de l’huile usée en biodiesel on peut produire un savon que tout le monde peut utiliser. L’idée c’est de développer le projet partout à Bucarest, d’utiliser un vélo cargo dans chaque arrondissement de la capitale et de montrer que cette activité peut se dérouler aussi en l’absence d’une voiture. Après les vélos cargo, nous espérons investir dans la production du biodiesel et même du savon. Nous voulons offrir du savon comme récompense à ceux qui ont décidé de recycler l’huile. »
Les fournisseurs d’huile de Marian Scafaru apprécient beaucoup le projet « l’huileux » . Et les réactions positives des gens, qu’il ne recevait pas quand il travaillait dans la multinationale, sont celles qui le motivent à rêver au développement du projet à une plus grande échelle. Il a déjà inclus les batteries usées, les ampoules et les tubes fluorescents sur la liste des produits recyclables qu’il collecte. (trad.: Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)