SONG – une chanson 20 ans après
Lhistoire daujourdhui tourne autour d’un numéro magique: 20.
România Internațional, 13.03.2014, 14:07
Lhistoire daujourdhui tourne autour d’un numéro magique: 20.
20 comme 20 ans de voyages à travers le monde dun groupe de jeunes habillés en jeans et blouses traditionnelles roumaines en chantant des chansons que peu de gens ont eu le courage dinterpréter: du folklore roumain dans une nouvelle interprétation, du negro spiritual et des noëls dissimulés, de la musique internationale chantée en original au lieu du roumain. Tout cela entre les murs dune guerre froide qui isolait la Roumanie de « la décadence de lOccident ». En plus, 20 ans se sont écoulés depuis la disparition brutale du créateur et chef de direction de ce groupe de musiciens audacieux.
En 1974, Ioan Luchian Mihalea réunissait sous le nom SONG (‘chanson’ en anglais) des étudiants du Conservatoire de musique de Bucarest, rejoints plus tard par les étudiants en Langues germaniques de l’Université de Bucarest. Ils ont fait leurs débuts en chantant de la musique de la Renaissance et des chants médiévaux anglais, pour enchaîner avec tournées, émissions enregistrées, films, concerts sur la scène de la Grande Salle du Palais de la capitale ou encore voyages à létranger. Une vie difficile à imaginer pour le reste des Roumains qui suivaient ce groupe avec admiration et envie à la fois.
Raluca Alina Hurduca a fait partie du groupe Song pendant les années 80, la décennie la plus sombre de lhistoire récente de la Roumanie. Cette expérience a marqué non seulement sa jeunesse mais aussi tout son parcours ultérieur, avoue-t-elle: « A ce moment-là je ne réalisais pas toutes ses implications. Premièrement je pouvais faire quelque chose que jaimais aux côtés de jeunes considérés comme lélite des étudiants, car le groupe Song était formé uniquement délèves et détudiants. Cétait aussi un moyen déchapper à la réalité devenue un véritable cauchemar à la moitié des années 80. Cétait de la pure joie, comme une bulle dorée qui nous entourait. Et je suis persuadée que mes collègues seraient daccord avec moi. Certes, le style, lénergie et cet état desprit étaient transmis par notre chef de chorale. Sy ajoutait le fait dêtre une équipe jeune, car de nouveaux étudiants venaient en permanence nous rejoindre et cela marquait aussi la manière dont les chansons étaient interprétées. »
Le groupe Song était une grande famille, racontent ses anciens membres. Parmi eux, Carmen Săndulescu, aujourdhui journaliste à RRI, qui n’oubliera jamais les répétitions aux côtés des jeunes du Song: « Les répétitions étaient des moments tout à fait à part, qui se sont à jamais imprimés dans ma mémoire notamment parce quelles étaient très sévères. On samusait pendant une dizaine de minutes, comme si on était entre amis, ou en famille, puis on se mettait au travail. Un travail très dur. On répétait 3 notes à linfini, les entrées en scène, des choses qui se sont avérées très utiles aux enregistrements pour la télévision. Pour 3 chansons interprétées à la télé nous avons répété toute une nuit. Nous étions tellement absorbés par létude et par la musique. Nous nous rendions compte que nous étions différents parce que les autres nous le disaient. »
Raluca Alina Hurduc raconte comment se déroulaient les concerts de la chorale SONG dans le pays: «Nous chantions des chansons du folklore roumain, mais aussi des negro spirituals et même des cantiques de Noël dont les paroles avaient été changées. C’est que, de temps à autre, Mihalea bricolait des vers qui allaient avec la mélodie des cantiques et nous les chantions sur scène, dans les années ’80. Le public vibrait d’enthousiasme lorsqu’il reconnaissait les cantiques ainsi déguisées. Il chantait avec nous, il applaudissait. La chose la plus importante que nous avons comprise grâce à ces concerts, c’était que nous pouvions faire des choses et les partager avec les autres, que nous pouvions créer une communion et que cela nous rendait heureux. Ça valait la peine de consacrer du temps à ces choses-là et sortir du quotidien, pour être plus heureux. »
En pleine révolution culturelle communiste, lorsque les artistes n’avaient presque aucune liberté d’expression, comment quelque chose de si différent, comme le groupe SONG, a-t-il pu exister ? Par un « ballet » très subtil, dont très peu étaient conscients — affirme Carmen Săndulescu : « A ce que j’aie compris, dans les années ’80, lorsque les autorités communistes ont exigé une explication concernant le nom de la chorale, la réponse avait été la suivante : SONG ne venait pas du mot anglais qui signifie chanson, c’était un acronyme voulant dire « Suntem Oamenii Noii Generatii » (« nous sommes les gens de la nouvelle génération »). C’était donc une sorte de ballet entre ce qu’il y avait à l’intérieur du groupe et ce qu’il fallait voir de l’extérieur. Je ne sais pas si tous les membres de la chorale en étaient conscients. Je me suis rendu compte de la réalité extérieure au moment où s’est posé le problème de notre participation au festival de la Havane, à Cuba. Cette participation a explicité les choses, pour ainsi dire : sur les 40 dossiers avancés pour ce départ, 18 seulement ont reçu un avis positif. »
L’âme du groupe SONG, le chef de chorale Ioan Luchian Mihalea, adoré par tous ses jeunes chanteurs, fut sauvagement assassiné dans sa propre maison, en novembre 1993. Quelques semaines plus tard, la chorale a donné son dernier concert, à la mémoire de Ioan Luchian Mihalea. Début mars de cette année, 20 ans après, SONG s’est réuni de nouveau, pour un spectacle diffusé en direct par la télévision publique.
Selon Raluca Alina Hurduc, l’émotion s’est propagée bien au-delà du petit écran : « En moins d’un mois, nous avons réussi à nous mobiliser et à nous réunir de tous les coins du pays — et même de l’Europe. Nous avons pu faire une dizaine de répétitions, car cette émission est venue en quelque sorte d’en haut… Ce fut un réussite au-delà de toute attente. Nous nous sommes mobilisés et nous avons chanté comme jadis — certes, d’une manière pas nécessairement parfaite, mais c’était inespéré, très beau. Le fait d’être de nouveau ensemble et de chanter nous a énormément réjouis et je pense que cette joie est passée au-delà du petit écran, si l’on juge d’après les impressions recueillies après le concert et les appels téléphoniques que nous avons reçus. »
Le groupe SONG s’est réuni sous la baguette d’un chef de chorale jeune, Daniel Jinga : « J’avais entendu parler d’eux, j’ai grandi avec cette chorale et à présent je suis heureux que cette rencontre ait eu lieu. Nous avons chanté ensemble, nous nous sommes réjouis. Tout a été empreint d’allégresse et de nostalgie. On m’a demandé à plusieurs reprises, ces dernières années, de créer une chorale similaire. Le fait que certaines personnes, qui perçoivent le désire du public, m’ont demandé de mettre sur pied ce genre de projet prouve que les gens souhaitaient réécouter la chorale SONG. Et ce n’est guère surprenant, des générations entières ont écouté cette musique, qui sera certainement aimée par la jeune génération actuelle. »
La chorale SONG chantera-t-elle de nouveau ? Seul le temps pourra nous donner une réponse. (trad. : Valentina Beleavski, Dominique)