En kayak de Giurgiu à Venise
Lucian Ionescu, 49 ans, était, jusqu’il y a peu, le patron d’une petite compagnie de meubles de Bucarest. En 2011, il s’est mis à construire tout seul un kayak. Sportif de performance, du temps de sa jeunesse, il a redécouvert en 2005 le plaisir de ramer. Comme il n’a pas trouvé de kayak à sa taille, il a dû en construire un tout seul, ce qui, dit-il, n’est pas si difficile que ça. «Ce n’est pas très compliqué de construire un kayak, mais cela suppose beaucoup d’attention et de patience. On prend des baguettes de bois, très minces, qu’il faut ajuster une à une, minutieusement. Il n’y a pas de ligne droite dans un kayak, tout est incurvé. Ensuite, toute opération doit être exécutée avec précision. Puisque les trois sections doivent être parfaitement étanches, ça pose des problèmes de flexibilité, car les parois qui les séparent sont appelées à reprendre les petites déformations dues aux vagues ou aux chocs consécutifs à l’impact de la barque avec le fond de l’eau. Le kayak doit être recouvert, à l’intérieur comme à l’extérieur, d’une couche de fibres de verre. Je n’avais pas travaillé avant avec ce matériau. J’ai mis près de trois ans pour le construire, mais je m’y suis investi à chaque fois que j’en ai eu le temps et l’argent nécessaire. En réalité, les travaux ne durent pas plus de 6 mois»
România Internațional, 07.08.2014, 14:12
Son but était de pouvoir parcourir des distances plus longues, car il envisageait d’atteindre Venise en kayak, en partant de Giurgiu, ville port roumaine sur le Danube. Lucian Ionescu a ouvert une page sur Facebook, pour faire connaître ses plans, dans l’espoir de trouver des sponsors. Je naviguerai sur le Danube jusqu’au Bras Sf. Gheorghe. Je me dirigerai ensuite vers le sud, en Mer Noire, puis j’entrerai dans les eaux du Bosphore. A partir de là, ce sera la Mer Marmara et le détroit des Dardanelles, vers la Mer Egée. Je longerai les rives turques jusqu’à Marmaris, après quoi j’atteindrai Rhodes, en Grèce, puis Karpathos, au sud de la Crète, la Grèce continentale, plus précisément la côte de la Mer Ionienne, jusqu’à la frontière avec l’Albanie. Une fois là, si la météo est favorable, je tenterai la traversée vers l’Italie et je mettrai le cap sur Venise ou bien j’emprunterai un autre trajet, à savoir la Mer Adriatique, Lastovo, en Croatie, et enfin Venise.”
Le kayak prêt, Lucian est parti à la grande aventure en mai 2013, muni d’une tablette numérique et d’un portable. Il allait être de retour au mois de décembre, peu avant les fêtes de fin d’année, au bout de 7 mois et de près de 1.500 kilomètres. Ce parcours a également supposé une marche de 270 kilomètres, lors de laquelle pour transporter son embarcation, il a dû s’y atteler. S’il n’a pas eu d’ennui aux points de passage des frontières, il a en échange vécu maintes aventures, un peu partout, puisque les embarcations de moins de 7 mètres de long ne sont pas prévues de numéro d’immatriculation. Figurez-vous l’embarras des gardes-frontières qui ne pouvaient pas enregistrer le kayak de Lucian Ionescu! Il n’y a aucune solution, parce que c’est plutôt inhabituel que les embarcations de cette taille passent les frontières. Heureusement, ils ont été très ouverts et m’ont beaucoup aidé. Ils m’ont fait remplir un papier et y ont apposé une estampille. Où que je sois allé, on m’a dit vous êtes citoyen européen, par conséquent vous avez le droit de passer, c’est à nous de régler ce problème”. C’est en Turquie que j’ai eu quelques émotions, vu que ce pays n’est pas membre de l’UE. Le premier port d’entrée est situé à 170 km de Tarevo, en Bulgarie. La consigne que je dois respecter est de ne pas accoster avant d’atteindre un port d’entrée. J’ai donc pris contact avec les gardes – côtes turcs qui m’ont conseillé de ne faire halte que sur les plages, de ne pas passer la nuit dans les villes avant d’arriver à Istanbul et une fois là d’aller directement au bureau de la police des frontières pour les formalités. J’ai suivi ces conseils à la lettre et lorsque je me suis retrouvé devant le garde – frontière d’Istanbul, celui-ci a lâché un seul mot Go!” ”
Pendant ce temps, son épouse suivait depuis Bucarest le parcours de Lucian, gardait le contact avec les autorités et s’assurait que tout allait bien. Lucian Ionescu a, lui, rencontré que des gens prêts à lui donner un coup de main. Tel fut le cas à Thessalonique, où un groupe de Roumains lui a réservé un accueil chaleureux. «Monsieur le consul m’a reçu au consulat. Nous nous sommes fait prendre en photos. En plus, avant mon départ, il a organisé une petite festivité et m’a félicité. Les autorités roumaines se sont dites ravies de mon exploit et m’ont constamment appuyé tout au long du trajet, ce à quoi, franchement, je ne m’attendais guère. ”
Dans les pays qu’il a traversés, Lucian Ionescu a noué des amitiés et découvert des zones éloignées des itinéraires touristiques. Il compte désormais environ 2000 amis sur sa page Facebook, où il postait chaque jour des photos prises en cours de route. A Venise, il est resté une seule journée. Sa femme l’y attendait. Ils ont regagné le pays ensemble dans la voiture d’un ami dont Lucian avait fait la connaissance sur Internet. Sur Facebook, j’ai posé la question de savoir si quelqu’un pouvait venir m’emmener de Venise. J’aurais très bien pu rentrer en Roumanie par le train ou en voiture, mais dans ce cas je n’aurais pas pu ramener la barque. 2 ou 3 personnes m’ont offert leur aide. Le kayak lui seul, donc à vide, ne pèse pas plus de 30 kilos. J’ai donc mis l’équipement dans le coffre-fort de la voiture et le kayak en haut.”
Les 7 mois de voyage sont passés comme autant de secondes, affirme Lucian Ionescu. Cornelia, sa femme, qui est aussi son plus grand fan et principal coéquipier, parle déjà du prochain projet de voyage de Lucian. Il partira de la Mer Blanche pour atteindre la Mer Noire. Aussi longtemps qu’il fait ce qui lui plaît, je l’y aiderai. Je n’ai pas un instant pensé qu’il pourrait lui arriver quelque chose de mal. Je ne cessais de me dire que tout irait pour le mieux et que je n’avais pas à me faire des soucis.”
Nous avons demandé à Lucian Ionescu ce qu’il avait découvert durant ce merveilleux voyage. Ma plus grande découverte a été celle des gens. Auparavant, j’étais en passe de perdre confiance dans mes semblables. Il a donc fallu quitter le pays et écrire sur Facebook pour me faire des amis, même ici, à Bucarest. Ensuite, je me suis révélé à moi-même, j’ai appris jusqu’où je pouvais aller. Il n’est pas moins vrai que je me suis retrouvé dans des situations-limites aussi, mais je m’en suis sorti.”
Lucian Ionescu n’a pas encore les fonds nécessaires pour son prochain périple. N’empêche. Une réussite en garantit une autre, se dit-il. En attendant de mettre le cap sur la nouvelle destination, il écrit un livre sur ce premier voyage en kayak, qui l’a mené de Giurgiu à Venise.
(aut.: Mariana Tudose)