Le sang artificiel – la découverte du siècle
România Internațional, 21.11.2013, 14:23
Qu’est-ce que le sang artificiel? Le chef de l’équipe de chercheurs, Radu Silaghi-Dumitrescu, qui travaille sur ce projet depuis 2007, l’explique pour RRI. « C’est un liquide qui peut être utilisé quand le patient a perdu brusquement une quantité importante de sang. Lors des accidents ou dans les salles d’opération, les médecins utilisent à présent soit du sang provenant de donneurs — dont on n’en dispose qu’en très petite quantité — soit des liquides dont l’unique rôle est de maintenir un volume constant dans les vaisseaux sanguins, afin que le cœur ait quoi pomper. Pourtant, dans ce dernier cas, il y a risque d’asphyxie. Ce que nous apportons, nous, c’est la possibilité de l’organisme de s’oxygéner. C’est un produit artificiel qui pourrait être utilisé, faute de sang, pendant un période allant de plusieurs heures à un jour ou deux, pour éviter l’asphyxie, quand on est confronté à une perte soudaine de sang. »
D’autres équipes de chercheurs tâchent de trouver une solution à ce problème, en utilisant, en tant que matière première, le sang de différents animaux, comme les vaches, par exemple, dont l’organisme est plus proche de l’organisme humain. L’équipe de Cluj a pourtant trouvé, elle, une recette reposant sur une composante présente dans très peu d’organismes : une certaine espèce de vers marins et quelques bactéries. C’est d’ailleurs pourquoi elle n’a pas bénéficié de l’attention des chercheurs. Radu Silaghi-Dumitrescu estime qu’il a eu, en quelque sorte, de la chance d’avoir connu les potentialités de cette protéine. « Cette protéine est connue depuis très longtemps. On savait qu’elle était là, dans les vers marins, dans les bactéries, mais c’est pour la première fois qu’elle est prise en compte comme éventuel substitut du sang humain. La raison pour laquelle nous l’avons choisie, c’est qu’elle est très résistante aux agents chimiques auxquels l’hémoglobine du sang humain succombe facilement.
Le fait que le sang artificiel pourra être un produit de laboratoire est un avantage important — estime Radu Silaghi-Dumitrescu : «C’est une substance comme toute autre, comme l’aspirine, si vous voulez, ou comme tout autre médicament. C’est pourquoi, en principe, elle peut être produite en quantités illimitées. A la différence du sang provenant de donneurs humains, le sang artificiel peut être aussi « séché », en éliminant l’eau de cette substance, pour obtenir une poudre susceptible d’être gardée à la température ambiante et non pas dans des réfrigérateurs spéciaux. Au besoin, on ajoute de l’eau dans des filtres stériles et, avec un peu d’attention, on aura tout simplement un substitut du sang humain, à tout moment et en toute circonstance. On peut l’utiliser où que l’on soit, on n’a pas besoin de conditions spéciales. »
L’idée de trouver un substitut du sang humain hante le monde scientifique depuis plusieurs années. Les résultats obtenus par l’équipe de Cluj ont été publiés, pour la plupart, dans les revues spécialisées du domaine bio-médical, ce qui certifie leur validité. Les chercheurs roumains font preuve d’un optimisme prudent. Selon Radu Silaghi-Dumitrescu, il leur faut encore une année ou deux de travail avant de recevoir l’approbation nécessaire pour l’utilisation du sang artificiel chez des patients humains. « Toutes les autres équipes qui ont réussi à atteindre l’étape des essais cliniques effectués sur des sujets humains ont échoué. Plusieurs centaines de millions de dollars ont été investis dans ce genre de recherches. A présent, nous savons quels sont les problèmes à résoudre ; l’intérêt est très grand et la solution très proche. C’est pour nous un privilège de travailler à Cluj en collaboration avec 4 excellentes universités et avec le concours de mes jeunes collaborateurs, docteurs en chimie, doctorants, spécialistes préparant un mastère ou même étudiants. Nous collaborons également avec des groupes de recherche très divers — heureusement pour nous, ces groupes se trouvent à Cluj. Il s’agit de biologistes, de physiciens, d’oncologues, de médecins de spécialités différentes. Le point fort de la ville de Cluj est justement cette concentration de spécialisations très diverses et de bons équipements, ces dernières années. Les laboratoires où nous travaillons sont très compétitifs, ne cédant en rien aux laboratoires les plus modernes des pays développés. Depuis 2007, on a beaucoup investi dans la recherche roumaine, nous disposons des instruments nécessaires et de ressources humaines aussi. Nous devrions peut-être faire encore plus pour améliorer le milieu de la recherche en Roumanie ».
Nous avons demandé à Radu Silaghi-Dumitrescu comment les médecins avaient accueilli l’idée de disposer, dans un avenir pas très lointain, de cette substance miraculeuse qu’ils pourront utiliser pour les situations d’urgence ou les opérations chirurgicales. « Le milieu médical international est certainement préparé pour cette solution, il a déjà accepté plusieurs séries d’essais cliniques effectués sur des sujets humains, il n’a aucune réticence vis-à-vis de ce concept, pourtant il nous faut des résultats positifs aux essais cliniques. Des recherches ayant coûté des millions de dollars ont échoué, ce qui nous incite à la prudence. Nous ne mettons pas allègrement nos patients entre les mains du premier savant fou qui a peut-être fait une découverte cruciale. Nous devons être prudents, nous ne pouvons pas nous permettre de jouer avec la vie des gens. Nous pensons que pendant encore une année ou deux, nous devons finaliser les essais cliniques sur des animaux et sur des cultures de cellules humaines. C’est seulement après, si les résultats restent bons, que nous pouvons passer à l’étape d’essais effectués sur des sujets humains. »
L’équipe qui réussira à offrir au monde du sang artificiel pourrait aspirer au prix Nobel. Pourtant, ce ne sont pas les prix qui déterminent les chercheurs de Cluj à continuer assidûment leur travail, mais leur volonté de mener à bien leur projet. (Trad. : Dominique)