Les confessions d’un marchand de café
Gheorghe Florescu est un des marchands et préparateurs de café les plus connus de Bucarest et ce depuis une quarantaine d’années. Pour lui, le café est un élixir d’intelligence et d’amour, qui prolonge la vie et rend l’esprit plus clair.« Savourer une tasse de café est pour moi l’instant le plus beau de la journée », nous a-t-il avoué, lorsque, par un matin morose de mars, nous lui avons rendu visite. L’arôme du café torréfié envahissait la pièce.
România Internațional, 15.08.2013, 13:00
Gheorghe Florescu est un des marchands et préparateurs de café les plus connus de Bucarest et ce depuis une quarantaine d’années. Pour lui, le café est un élixir d’intelligence et d’amour, qui prolonge la vie et rend l’esprit plus clair.« Savourer une tasse de café est pour moi l’instant le plus beau de la journée », nous a-t-il avoué, lorsque, par un matin morose de mars, nous lui avons rendu visite. L’arôme du café torréfié envahissait la pièce.
Cette odeur singulière et chaude, à même de vous réveiller du sommeil le plus profond, qui hante Gheorghe Florescu dès son enfance. « Mon premier contact avec le café s’est passé à mes huit ans, dans la cour de mon parrain, Gheorghe Georgescu. C’est là que Baruir Nersesian, un des Arméniens les plus célèbres au monde, tenait une boutique de café qui donnait sur la rue. Avec ses cafés hors pair, Baruir Nersesian avait déjà conquis New York. Je me tenais près de la machine à griller le café et mes narines reniflaient cette odeur à part. Par curiosité, je picorais des grains de café. Et l’Arménien de me conseiller « Gicuţă, prends-en avec du sucre ». Moi, je ne voulais pas en prendre, car le café ne me semblait point amer. Au contraire, je le trouve doux comme l’amour. Du temps de mon enfance, ils étaient nombreux, les marchands de café arméniens. Il devait y en avoir une quarantaine, après la guerre et beaucoup plus, à savoir une centaine, à l’entre-deux-guerres».
Qu’est-ce qu’un marchand de café ? Nous avons la chance de l’apprendre par un homme de métier. « C’est un dégustateur et préparateur de café, un spécialiste de la préparation et de l’art de servir cette boisson. En tant que consommateur vous devez être avisé sur ce que vous buvez, car les cafés ne se ressemblent pas. Il y en a de bons, de rares, d’exquis, de divins. »
L’art de préparer cette boisson, il l’a appris du fameux Arménien Avedis Carabelaian, un des rares vendeurs de café à tenir boutique dans la capitale roumaine des années 60. Il allait lui confier le magasin de café et délicatesses situé 10, rue Hristo Botev. Une adresse bien connue des grands hommes de lettres, des acteurs et des médecins bucarestois, mais aussi des grosses légumes de l’époque.
Avedis lui avait légué non seulement la boutique, mais aussi et surtout ses recettes de préparation du café et l’art de fidéliser ses clients. «Primo, j’étais déjà archi-connu à Bucarest. C’était chez moi que l’on achetait le meilleur café, en fait le mélange de cafés le plus heureux que l’on pouvait se permettre en ces temps-là. Maintenant, on a tout un monde à qui importer du café, mais à l’époque le café nous venait seulement de Colombie, du Guatemala, du Salvador, du Nicaragua ou du Mexique. Il y avait aussi des marchands âpres au gain qui, dédaignant leurs clients, n’hésitaient pas à vendre de la pacotille. Moi j’ai toujours suivi le conseil de mon maître, Carabelaian, qui m’avait dit: Tiens-toi tranquille à ta place. Aussi longtemps que tu grilles le café à ma façon, tu auras tes clients fidèles.” Il avait parfaitement raison : mes clients, je les garde aujourd’hui encore. »
Florescu « le petit Arménien », comme il était appelé, raconte des aspects de la vie quotidienne telle qu’elle était à l’époque communiste. Il comptait parmi ceux qui faisaient circuler les produits d’usage courant aujourd’hui, mais très valeureux à l’époque communiste : café, alcools fins, cigarettes occidentales et les autres produits importés. Il s’agit de tant de produits qui ne se trouvaient pas sur le marché et qui constituaient des plaisirs interdits aux foules, réservés à quelques privilégiés. Gheorghe Florescu maîtrisait avec succès les mécanismes qui faisaient fonctionner la société de l’époque : les relations, la complicité, les pots-de-vin. Son histoire et celle de sa boutique à café fait partie de l’histoire de la Roumanie des années ’60-’70-’80, une histoire écrite par ses survivants. Au milieu des années 1980, soit vers la fin de la dictature communiste, il est jeté dans une prison de droit commun. « Si les généraux sont remplacés, ce sont les soldats qui périssent », affirme-t-il.
Gracié en 1988, Gheorghe Florescu a repris son activité de torréfacteur artisanal après 1990. Encouragé par quelques-uns de ses fameux clients et suite à la contribution décisive de sa fille, Vali, il a écrit « les confessions d’un torréfacteur artisanal », un livre de mémoires, qui refait l’image d’une époque que la majorité des Roumains ont vite essayé d’oublier. « Ma fille a souhaité faire un film et elle m’a dit : «Papa, mets-toi au travail ». J’ai écrit le livre, « Les confessions d’un torréfacteur artisanal » pour ma fille, pour qu’elle aie de la documentation pour son film. J’ai cherché à être clair, précis, de ne pas faire d’erreurs, qui pourraient attirer des critiques. Mais je n’ai pas reçu de critiques, ni même de la part de ceux que j’ai illustré, d’une manière pas du tout positive. Au contraire, ils se battent pour obtenir un autographe sur leur volume. C’est qu’après avoir perdu le pouvoir, il y a quelquun qui évoque leur nom. En 2009, la diaspora roumaine a acheté pas moins de 20 mille exemplaires. Ce sont les Roumains qui ont quitté le pays avant l’avènement au pouvoir de Nicolae Ceausescu qui souhaitent savoir le plus ce qui s’est passé ensuite dans le pays. Ce livre relate assez clairement ce qui s’est passé à cette époque-là. »
Le livre fut lancé le 22 novembre 2008. Avec l’argent produit par son œuvre, Gheorghe Florescu a réussi à réaliser son rêve: refaire sa boutique de café. « A l’heure actuelle nous avons une affaire de famille, avec quelques salariés et trois points de vente et nous avons également ouvert un café. Le café que vous pouvez déguster à Baneasa est unique, c’est le meilleur café au monde. »
De nos jours, Gheorghe Florescu torréfie du café dans une petite boutique du centre de la capitale roumaine. Il importe en Roumanie des cafés exotiques, bio, à l’arôme divin. Bonhomme, galant, le propriétaire des recettes du grand Carabelaian est toujours heureux lorsqu’il voit de nouveaux visages franchir le seuil de sa boutique.
Et pour la fin de cette édition de « La Roumanie chez elle », nous vous invitons à prendre un café selon la recette du café parfait, selon le maître de la torréfaction artisanale, Gheorghe Florescu. La voici: « Il vous faut une petite casserole en cuivre et laiton. On mesure la quantité d’eau avec la tasse que l’on utilise pour boire le café. Deux tasses si c’est un café pour deux. C’est le monsieur qui doit le préparer et la dame qui le boit. On met l’eau à bouillir. Si vous le préférez sucré, c’est le moment d’y mettre une petite cuillère rase. Si vous prenez le café avec du miel, ajoutez le miel à la fin. Au moment où l’eau est un peu chaude, il faut ajouter le café. Deux petites cuillères combles pour chaque tasse. Cette tasse de café ne doit être ni trop petite, ni trop grande, elle doit avoir environ 50 millilitres. Il ne faut jamais utiliser un mug. On porte le mélange à ébullition mais en fait le café ne doit pas bouillir. On le retire du feu quand le café mousse et c’est à ce moment qu’il faut saupoudrer d’une demi-petite cuillère de café moulu. C’est cette demi-cuillère de café qui donne l’arôme au café. Le résultat final est un café que les hommes doivent servir aux dames le matin au lit. » (aut.: trad. : Mariana Tudose, Alex Diaconescu)