Ces Juifs sauvés de la Shoah
En dépit de la Solution finale mise en œuvre par le tout-puissant régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale, la vie de bon nombre de juifs d'Europe a pu être épargnée
Steliu Lambru, 25.09.2023, 13:47
En dépit de la Solution finale mise en œuvre par le tout-puissant régime
nazi durant la Seconde Guerre mondiale, la vie de bon nombre de juifs d’Europe
a pu être épargnée grâce au courage et à la détermination de ceux qui ont
décidé de ne pas accepter l’impensable, des ceux qui n’ont pas voulu admettre à
ce que des millions d’innocents soient persécutés, voire massacrés, en vertu de
ces critères, imaginés par les nazis, que sont l’origine ethnique, la race ou
la religion. Certains Roumains n’ont pas été en reste. Au péril de leur
liberté, de leur vie parfois, ils ont pris le parti des opprimés, de ces parias,
ainsi qu’étaient perçus les juifs à l’époque. L’un des ces hommes a été Emil
Tomescu, capitaine dans l’armée roumaine pendant la Seconde Guerre mondiale,
devenu colonel en réserve e au moment où sa voix sera enregistrée, en 1997, par
le Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. En 1942, le capitaine
Tomescu avançait avec ses troupes dans la ville d’Odessa, prenant son quartier
dans l’hôtel de maître que le propriétaire de droit, un Français, avait
abandonné. Emil Tomescu :
« Nous avions trouvé les volets fermés et les portes condamnées. Je
m’inquiète sur les raisons de cette situation auprès des troupes qui montaient
la garde. Et un soldat m’informe qu’à l’intérieur se trouvaient enfermés des
juifs. Et que toutes les semaines, un magistrat militaire venait lever l’un ou
l’autre des ceux qui étaient enfermés sur place, et qui disparaissait à jamais.
J’avais appris que ceux-là étaient tout simplement tués, d’un coup de révolver,
et sans autre forme de procès. Je fis ouvrir les portes, et ce que j’avais pu
trouver à l’intérieur était indescriptible. Des squelettes vivants. Des gens
affamés depuis des semaines, qui ne s’étaient pas lavés depuis leur arrivée,
c’était terrible. Une des pièces de la maison était transformée en toilette.
J’ai donné l’ordre à ce que l’on chauffe de l’eau dans de grands chaudrons,
qu’on fasse sortir ces gens, qu’ils puissent se laver. J’ai ordonné à ce qu’on
les nourrisse. J’ai par la suite organisé le fonctionnement de ce lieu de
détention pour que les gens puissent y vivre de façon humaine. J’avais organisé
la popote, certaines des femmes détenues allaient dorénavant cuisiner.
Malheureusement, on m’a vite muté. On m’envoya au front. Sans doute, quelqu’un
dans la hiérarchie avait été dérangé par mes agissements. »
Aristina Săileanu, originaire de Târgu Lăpuș, petite localité située dans le
nord de la Transylvanie, région annexée par la Hongrie le 30 août 1940 à la
suite du Second arbitrage de Vienne, se rappelait, à l’occasion d’une interview
passée en 1997, la manière dont son père avait caché une famille juive dans sa
cabane, en pleine forêt. Aristita Saileanu :
« Notre maison se trouvait à Râoaia, à 14 kilomètres de Lăpuşul Românesc,
dans un endroit plutôt isolé. Et il m’envoie dans une nuit, c’était la nuit du
15 vers le 16 avril, accompagnée par un de ses gens, pour accompagner une
famille juive. J’avais pris les enfants. On les emmena dans la forêt, on leur
fit ériger une cabane en terre, on leur donna tout ce qu’ils avaient besoin
pour y demeurer des mois. C’était dangereux. Si les Allemands l’apprenaient,
nous serions bons pour la potence ».
Gheorghe Moldovan, originaire de la ville de Blaj, racontait en 1997 l’action
de solidarité qu’avait mené son association pour aider les juifs enfermés dans
le camp de transit situé au long de la route Perşani-Lădeni-Braşov :
Voici le témoignage de Gheorghe Moldovan
« Ce camp déjà avait un statut à part. C’était un fait plutôt un camp
de travail. Dans les autres parties de la région, il y avait des rafles, et les
juifs étaient menés dans des camps de transit, avant d’être envoyés dans les
camps d’extermination. Les juifs de Blaj en revanche allaient dans des camps de
travail. C’était une manière de leur sauver la vie, d’éviter la déportation. On
organisait aussi des passages de la frontière. Je crois avoir croisé à
plusieurs reprisesRaoul
Wallenberg, ce diplomate suédois en poste à Budapest, qui a sauvé près de
20.000 juifs de Hongrie. C’était un homme grand, d’allure distinguée. Il
m’avait une fois serré la main et remercié personnellement. »
Sonia Palty, d’origine
juive, se rappelait en 2001, de la mise à mort de l’agronome Vasilescu, qui
avait payé de sa vie pour avoir aidé des juifs. Sonia Palty :
« Nous étions enfermés dans un camp de
travail. Mais n’avaient droit à manger que ceux qui allaient au travail. Or, la
plupart étaient malades, ils avaient la grippe, des diarrhées, des rhumatismes.
L’on était au mois de décembre, à l’approche de Noël. L’on crevait de faim. Et
ce Vasilescu, qui était le chef de la ferme où l’on devait travailler, a décidé
de donner à manger à tout le monde : femmes, enfants, malades, à tous ceux
qui s’y trouvaient enfermés, même à ceux qui ne pouvaient pas aller travailler
donc. Le lendemain, l’on reçut l’ordre de préparer nos valises, pour aller à la
gare. On devrait aller en déportation à Bogdanovka, en Ukraine, près de la
rivière Boug. Et le lieutenant Capeleanu sort sa cravache et commence à frapper
à droite et à gauche. Mais Vasilescu lui prend la main, et l’arrête net. Mais
ce Capeleanu va rédiger une note informative à sa hiérarchie. Il y dénonce
Vasilescu, son attitude amène envers nous, les juifs enfermés, et l’agronome,
le pauvre, reçoit l’ordre de mobilisation. Ils l’envoient au front, où il sera
tué, lors de la bataille de Stalingrad. Voilà ce qui lui avait coûté de nous
aider ».
La résistance des anonymes de toutes nations et origines face à l’innommable
barbarie qu’a été la Solution finale représente cette indispensable lueur, la
seule qui maintien éveillée la flamme de l’humanisme lorsque le mal le plus
total semble gagner le monde. Une lueur maintenue, parfois, au prix de sa vie. (Trad. Ionut
Jugurureanu)