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Invalides, orphelins et veuves de guerre dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres

... ils comptaient pour 12% de la population de la Grande Roumanie d'après la Première Guerre Mondiale.

Invalides, orphelins et veuves de guerre dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres
Invalides, orphelins et veuves de guerre dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres

, 21.08.2023, 03:56

A la fin de la Grande Guerre, le royaume de Roumanie
venait de doubler aussi bien son territoire que sa population. Mais la victoire
dans les tranchées a été payée au prix fort. L’un des plus douloureux revers de
la médaille a sans doute été l’énorme cortège d’orphelins, de veuves et d’invalides
de guerre, une population s’élevait à près de 12% de ce qu’était la population
de la Grande Roumanie d’après la Première Guerre mondiale. Certes, l’Etat se
sentait redevable à ces victimes collatérales d’une guerre sans pitié, mettant
en place des dispositifs censés améliorer leur sort.


Maria Bucur,
professeure à l’université Indiana
de Bloomington, aux Etats-Unis, spécialiste en histoire, en études de genre, et
tout particulièrement en histoire de la guerre et en histoire de l’eugénie,
pense que cette population nombreuse des victimes collatérales de la Grande Guerre
avait changé les mentalités et le concept de citoyenneté dans la Grande
Roumanie de l’entre-deux-guerres. Maria Bucur : « L’Etat roumain a
été transformé de manière radicale, après avoir pris des décisions en faveur
des vétérans, des veuves et des orphelins de guerre. De nouvelles institutions
sont apparues, de nouvelles politiques publiques ont été mises en œuvre. Par
ailleurs, dès 1919, l’on voit apparaître le vote universel. Et ces forces
conjuguées changent radicalement le discours public au sujet de la citoyenneté
notamment. L’on voit apparaître de nouvelles revendications, de nouvelles
attentes de la part de ces citoyens qui veulent que l’Etat prenne ses
responsabilités. Et le succès ou l’échec de ces politiques publiques a à son
tour généré de nouvelles dynamiques au sein de lu champ politique, au sein de l’espace
public. »


Malheureusement,
les statistiques manquent, et le nombre exact des personnes touchées par ces
politiques publiques demeure encore inconnu pour les chercheurs d’aujourd’hui. Maria
Bucur : « Vous savez, après
la guerre, la population du royaume avait presque doublé. Les vétérans des
territoires rattachés à la Roumanie à la suite du traité de Trianon figurent
dans les statistiques du nouvel Etat roumain. Mais leur nombre exact demeure un
mystère. Les Etats qui avaient juridiction sur ces territoires avant 1919
utilisaient des formules de calcul différentes que celles qu’allait utiliser la
Roumanie de l’entre-deux-guerres. Les statistiques que l’on utilise nous,
chercheurs, sont les statistiques roumaines du début des années 20. Et puis,
vers 1935, la commission spécialement mandatée pour vérifier l’exactitude des
chiffres est arrivée à conclure que les statistiques officielles d’alors étaient
inexactes. Selon mes estimations, la Roumanie devait comprendre près d’1,5
millions de vétérans, dont 200.00 invalides, et je me réfère à la définition de
l’invalidité qui prévalait dans l’époque, auxquels s’ajoutent plus de 700.000 veuves
et orphelins de guerre confondus. »


Mais quels
ont été au fond les effets de ces politiques publiques mises en place par
l’Etat roumain censées réparer les torts occasionnés par la guerre à ces
victimes collatérales ? Maria Bucur : « Il faut dire que
la générosité des autorités roumaines envers ses anciens combattants, ses
invalides, ses orphelins et ses veuves de guerre a été plutôt exemplaire. Il y
a eu certes un régime d’allocations qui a été mis en place, mais en sus de cela,
la législation permettait à toutes ces catégories l’accès gratuit à l’éducation,
aux soins médicaux, au transport ferroviaire, au bois de chauffage. La réforme
agraire entamée à la fin de la Première guerre mondiale avait également
privilégié l’accès à la terre des anciens combattants. Grâce à cette
législation, ils avaient en outre un accès privilégié à certains monopoles d’Etat,
prendre en gestion les kiosques dans les gares ou se faire embaucher dans
certaines administrations publiques, par exemple. Si l’on regarde de près, l’on
se rend compte que l’ensemble de ces dispositifs dépassait en ampleur ceux mis
en œuvre par l’Etat français au bénéfice de ces mêmes catégories, alors que la France
avait constitué un modèle de bonnes pratiques pour la Roumanie lors de la
conception de ses dispositifs ».



La « loi
de la reconnaissance », telle qu’avait été connue cette loi dans l’époque,
avait surtout pris soin de ne pas faire de discrimination entre les citoyens de
la Roumanie d’avant-guerre et ceux provenant des provinces rattachées à la
Roumanie à la suite du traité de Trianon. Maria Bucur : « La reconnaissance
publique n’a fait déjà aucune distinction entre les soldats qui avaient
combattu sous le drapeau roumain, et ceux qui avaient combattu sous d’autres
étendards. Même ceux qui avaient combattu contre la Roumanie jouissaient des
mêmes droits, pour autant qu’ils avaient acquis la citoyenneté roumaine, prouvant
ainsi leur attachement à cet Etat. Voyez-vous, en Yougoslavie par exemple, il
en allait autrement. Les anciens combattants croates ne jouissaient pas des
mêmes droits que leurs homologies serbes. »



Maria Bucur pense
toutefois que l’élan de générosité de l’Etat roumain avait aussi d’autres
raisons que celles déclarées. Ecoutons-la : « La Roumanie avait
choisi d’aborder de manière pragmatique cette question. Evidemment, beaucoup de
roumanophones de Transylvanie avaient combattu sous le drapeau austro-hongrois.
Mais ils n’avaient évidemment pas le choix. Or, se refuser d’intégrer cette
population de vétérans aurait entraîné des conséquences catastrophiques, provoquant
une rupture entre les provinces nouvellement rattachées et l’ancien royaume de
Roumanie d’avant la guerre. La classe politique l’avait compris et a agi en
conséquence. Un autre aspect de la question était constitué par le droit des
minorités nationales. Personnellement, j’interprète l’esprit de cette loi comme
un sorte de pacte d’intégration, une main tendue par le législateur à tous les
citoyens roumains, de quelques origines qu’ils soient. Un pacte qui tente de forger
une citoyenneté solidaire, loyale et engagé. »


Les
dispositifs mis en place par l’Etat roumain pour dédommager les victimes
collatérales de la Grande Guerre sans doute été un modèle à succès. Il n’empêche
que dans sa mise en œuvre, certaines faiblesses de l’administration ont pu diminuer
l’exemplarité de la lettre et de l’esprit de cette loi. (Trad. Ionut Jugureanu)

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