La législation psychiatrique et son évolution dans l’espace roumain
Les maladies psychiatriques ont depuis toujours soulevé nombre de questions de nature éthique aux sociétés humaines quelles que soient les époques. Trop souvent pourtant, ces sont les malades qui ont fait les frais de l’incompréhension de leurs contemporains eu égard la nature du mal qui les rongeait. L’espace roumain n’a pas constitué non plus un havre de compréhension à l’égard de ce que l’on appelait, il y a peu de temps encore, les « fous ». La justice s’employait pourtant à prévoir les causes et à diminuer les effets des actes commis par ces derniers. L’histoire de la jurisprudence des pays roumains montre toutefois comme tendance lourde la décriminalisation des infractions commises par les malades psychiques. Les premiers codes de loi dont les principautés roumaines s’étaient dotées, en 1646 pour la Moldavie, sous le règne de Basile Lupu, en 1652 pour la Valachie, sous le règne de Matei Basarab, traitent de cette question.
Steliu Lambru, 24.07.2023, 13:01
Les maladies psychiatriques ont depuis toujours soulevé nombre de questions de nature éthique aux sociétés humaines quelles que soient les époques. Trop souvent pourtant, ces sont les malades qui ont fait les frais de l’incompréhension de leurs contemporains eu égard la nature du mal qui les rongeait. L’espace roumain n’a pas constitué non plus un havre de compréhension à l’égard de ce que l’on appelait, il y a peu de temps encore, les « fous ». La justice s’employait pourtant à prévoir les causes et à diminuer les effets des actes commis par ces derniers. L’histoire de la jurisprudence des pays roumains montre toutefois comme tendance lourde la décriminalisation des infractions commises par les malades psychiques. Les premiers codes de loi dont les principautés roumaines s’étaient dotées, en 1646 pour la Moldavie, sous le règne de Basile Lupu, en 1652 pour la Valachie, sous le règne de Matei Basarab, traitent de cette question.
Le psychiatre Octavian Buda, professeur en histoire de la médecine à l’Université de médecine et de pharmacie Carol Davila de Bucarest détaille le point de vue du législateur de l’époque. Octavian Buda : « Il ne s’agit pas à proprement parler de lois constitutionnelles, même pas d’un code pénal. Il s’agit toutefois d’un recueil de textes légaux censés réglementer diverses activités, y compris en matière juridique. Concernant leur approche dans la matière qui nous occupe, ce qui me semble remarquable est que ces textes légaux précisent qu’un criminel qui montrent des signes apparents de folie ne pourra pas être puni d’office et qu’il faille d’abord évaluer son état de santé mentale. Prenez, je lis dans le texte d’origine, qui dit ceci : « si untel était fou au point de tuer son père ou son fils, qu’il soit exonéré de toute peine, car la peine de la folie dont il est atteint lui suffira ». Bref, au-delà de ce cas précis, il s’agissait en fait de prendre en considération l’état mental du coupable ».
Le 18e siècle c’est le siècle des Lumières. Grâce aux princes souverains phanariotes, les idées des Lumières d’abord, les réformes législatives ensuite, débarquent dans l’espace roumain. Octavian Buda : « Certains princes phanariotes mettront au point une législation largement compréhensive. Tel Alexandru Ipsilanti en 1780. Callimachi și Caragea ensuite, en 1817. Les princes souverains phanariotes avaient cette coutume d’inviter des médecins étrangers à s’établir à leur cour. Nous sommes à l’aurore de la modernité roumaine, dans la première moitié du 19e siècle, lorsque les sciences connaissent le début de ce qui sera un essor jamais connu jusqu’alors ».
Les pays roumains sont en effet gagnés par la fièvre de la modernité au début du 19e siècle. Le Règlement organique, soit la première constitution qu’ils aient connue, a été adopté en 1831-1832. Il poursuivait l’œuvre législative déjà engrangée par les législations antérieures. Octavian Buda : « Le Règlement organique jette tout d’abord les bases d’une institution qui précède la création du Collège des médecins, la Commission des médecins, qui s’attache à réguler et à organiser la pratique médicale, en délivrant le droit d’exercice. Cela fait que nul ne pouvait plus exercer à moins d’avoir obtenu le droit d’exercice délivré par cette Commission. Il y avait des médecins expatriés d’origines grecque et italienne qui exerçaient déjà dans l’espace roumain à l’époque. Cette élite médicale devra dorénavant composer et s’adapter à son public, offrir ses services et s’avérer capable de communiquer avec une population rurale assez traditionaliste et plutôt réticente face aux pratiques médicales nouvelles ».
La première institution de soins psychiatriques sera fondée en 1838, et s’appellera l’hospice Mărcuța. Octavian Buda : « C’était durant le règne d’Alexandre Ghica que les choses commencent à prendre leur forme. L’hospice Mărcuța est fondé alors que l’institution monastique entre sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Et c’est au sein de ce ministère que l’on commence à comprendre la nécessité de fonder une telle institution. Mărcuța est tout d’abord dirigé par le docteur Minis, médecin d’origine grecque, qui avait suivi sa formation en médecine en Allemagne, à Leipzig. Ensuite, ce sera le tour du docteur Nicolae Gănescu de prendre sa direction, qui avait suivi la faculté de médecine d’Kharkov. Ce médecin mettra ce que l’on peut appeler les bases de l’intervention psychiatrique. L’on est déjà autour de 1850. Partisan de l’ergothérapie, le docteur Nicolae Gănescu impose l’emploi de méthodes plus humaines pour la contention des patients, il utilise des sangles en laine, pour éviter de faire mal au patient. Il essaye aussi d’utiliser les ondes électromagnétiques dans ses traitements, des machines et des techniques modernes. L’époque du docteur Nicolae Gănescu sera ensuite suivie par celle d’Alexandre Suțu, issu de la célèbre famille homonyme de princes phanariotes. Il pouvait se targuer des études suivies à Athènes et Paris. Ce médecin publiera en 1877 son tome intitulé « L’aliéné devant la médecine et la société », qui constitue de fait le premier traité de psychiatrie sociale et judiciaire ».
Reconnue en tant qu’Etat indépendant en 1878, la Roumanie poursuivra la mise au point de ses politiques sanitaires et judiciaires adéquates. Et la psychiatrie gagne progressivement ses galons pour devenir une branche à part entière de la médecine. (Trad. Ionut Jugureanu)