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Tudor Vladimirescu et l’idée nationale

C’était la réponse des Roumains au mouvement national grec dirigé par la Filikí Etería, cette Société des Compagnons créée en 1814, à Odessa, qui se proposait de libérer la Grèce du joug ottoman. Mais Tudor Vladimirescu répondait surtout de la sorte aux aspirations nationales des boyards valaques qui, à l’instar des Grecs, souhaitaient affranchir la Valachie de la tutelle ottomane. Vladimirescu rejoignait ainsi Dinicu Golescu, Eufrosin Poteca et bien d’autres encore des ceux qui formèrent cette première génération roumaine qui s’était emparé du projet national. Et bien que beaucoup de ces futurs révolutionnaires roumains étaient issus des familles d’origine grecque, ou avaient au moins baigné dans la culture grecque, ils n’hésiteront pas à se départir de leur culture d’origine pour embrasser à corps perdu la cause nationale roumaine. Car il faut dire dans le contexte que les mouvements nationaux grec et roumain qui se sont développés au début du 19e siècle ont des origines communes.

Tudor Vladimirescu et l’idée nationale
Tudor Vladimirescu et l’idée nationale

, 12.12.2022, 14:50

La période des souverains phanariotes, qui commence en Valachie et en Moldavie au début du 18e siècle sous l’impulsion de l’empire ottoman, avait créé, un siècle plus tard, une certaine osmose entre les élites des deux nations orthodoxes. L’orthodoxie, les mariages mixtes, le système éducatif en langue grecque embrassée par les élites roumaines, leurs intérêts communs avaient beaucoup facilité le rapprochement des deux nations lorsque l’heure du soulèvement contre la domination ottomane semblait se rapprocher. Progressivement toutefois, la méfiance s’installe entre les deux mouvements nationaux frères, faisant en sorte que chacun choisisse sa voie propre.

Le moment de l’insurrection menée par Tudor Vladimirescu en 1821 marque d’ailleurs l’apogée des tensions entre les deux mouvements, moment qui culminera par un divorce pur et simple. Tudor Dinu, auteur d’une recherche récemment publiée, détaille : « Tudor Vladimirescu était une personnalité tout à fait remarquable. Mais le véritable Tudor était au fond assez éloigné de l’image que nous renvoie l’historiographie « officielle », celle de nos livres d’histoire. J’ose affirmer que l’on se trouve peut-être devant le plus important « self-made man » de l’histoire roumaine. Parce qu’il est né dans une vieille famille du terroir, mais loin de faire partie des élites de l’époque. Il est cependant mu par une ambition hors pair. Il s’était distingué d’abord pendant la guerre russo-turque de 1806-1812. Et c’est à cette occasion qu’il se lie d’amitié avec les futurs membres de la Filikí Etería, Iordache Olimpiotul et Iane Farmache. Il entre ensuite au service d’un grand boyard de Craiova, Goloveanu, grâce auquel il apprend lire et écrire. Il ne devient pas pour autant un érudit, et on le constate plus tard, lorsqu’il fait appel à un traducteur pour mener des pourparlers avec le prince souverain fanariote Ypsilántis. Ce traducteur, un certain Ilarion, épitre de son état, lui conseillait d’ailleurs de tuer Ypsilántis. C’est dire que les relations entre Tudor Vladimirescu et les révolutionnaires grecs n’étaient déjà plus au beau fixe. »

Quittant son Olténie natale, Vladimirescu monte à Bucarest au printemps 1821, empêchant le nouveau prince phanariote Scarlat Kallimachis de prendre ses fonctions et ouvrant le pays aux troupes révolutionnaires d’Alexandre Ypsilántis. C’est depuis Bucarest qu’il dirigera la Valachie, alors que rien ne l’aurait destiné à une telle carrière. A ce moment, l’armée grecque dirigée par Alexandru Ypsilántis, général du tsar, était censée traverser le Danube pour qu’ensuite, appuyée par les troupes russes, engage l’armée ottomane. Mais l’aide russe se laisse désirer, et la suspicion s’installe entre les deux comparses d’hier : Vladimirescu et Ypsilántis. Et ce dernier agit le premier, fait arrêter et assassine Vladimirescu, l’accusant d’entente avec les Ottomans.

Le personnage de Tudor Vladimirescu sera porté aux nues par l’historiographie roumaine, surtout par l’historiographie communiste, qui voyait en lui un porte-drapeau de la cause sociale en sus de la cause nationale. Tudor Dinu nuance quelque peu le diagnostic : « Vous savez, Tudor n’était pas dupe. Il s’était fait une petite fortune en travaillant pour la famille Goloveanu. Il a fait commerce avec à peu près tout, depuis l’alcool et jusqu’aux produits alimentaires. Il ouvre des tavernes, il achète des moulins, et puis il n’était pas un saint. Il profitait pas mal de la corruption qui sévissait dans l’époque. Il avait acheté des charges publiques, qui lui rapportaient pas mal. Cela se faisait dans l’Ancien Régime. Il parvient même à devenir le fournisseur accrédité de la Cour voïvodale à l’approche de la guerre russo-turque, peu avant 1808. Il savait bâtir sa carrière et sa fortune, et il croyait en son étoile. Ce fut sa grande qualité. »

Qu’empêche. Le soulèvement mené par Tudor Vladimirescu aura pour effet de mettre un terme au règne des princes fanariotes, nommés par la Sublime Porte. Dorénavant, l’idée nationale pourra frayer son chemin, et l’idée de la formation d’un Etat roumain ne tardera pas à faire son apparition. (Trad. Ionut Jugureanu)

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