Les jeunesses légionnaires, ou les confréries de Croix
Le XXe siècle a fait le lit de ces deux formes terribles de totalitarisme qu’ont été le communisme et le fascisme. Ce fut le siècle qui a mis la démocratie à rude épreuve, alors que les totalitarismes florissaient, et se voyaient embrassées par des foules enthousiastes. La Roumanie n’avait pas été épargnée par la tendance totalitaire qui n’allait pas tarder d’embraser le monde. Le mouvement légionnaire roumain, d’extrême droite, et son bras politique, la Garde de Fer, se sont rangés parmi les courants idéologiques et politiques les plus radicaux dans leur genre. Les confréries de Croix firent leur apparition dès 1923, à l’initiative de Corneliu Zelea Codreanu, futur leader de la Garde de Fer, sous la forme d’associations de jeunesse regroupant les jeunes nationalistes. Ces organisations devinrent très vite le creuset du fanatisme totalitaire, version extrême droite.
Steliu Lambru, 26.09.2022, 17:06
Le XXe siècle a fait le lit de ces deux formes terribles de totalitarisme qu’ont été le communisme et le fascisme. Ce fut le siècle qui a mis la démocratie à rude épreuve, alors que les totalitarismes florissaient, et se voyaient embrassées par des foules enthousiastes. La Roumanie n’avait pas été épargnée par la tendance totalitaire qui n’allait pas tarder d’embraser le monde. Le mouvement légionnaire roumain, d’extrême droite, et son bras politique, la Garde de Fer, se sont rangés parmi les courants idéologiques et politiques les plus radicaux dans leur genre. Les confréries de Croix firent leur apparition dès 1923, à l’initiative de Corneliu Zelea Codreanu, futur leader de la Garde de Fer, sous la forme d’associations de jeunesse regroupant les jeunes nationalistes. Ces organisations devinrent très vite le creuset du fanatisme totalitaire, version extrême droite.
Le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine a récolté après 1990 plusieurs témoignages d’anciens membres de ces organisations. Aussi, en 1997, Alexandru Băncescu, originaire de la ville de Câmpulung Moldovenesc, se rappelait, avec une certaine nostalgie, du sentiment de solidarité qui unissait les membres de son mouvement :« L’idéologie légionnaire constituait notre lient. Nous priions souvent ensemble, et puis il y avait ce que l’on appelait « la minute de l’amitié », une sorte de confession publique, de thérapie de groupe. C’était le moment où chacun regardait en soi, et confessait ses défauts, ses travers, et il se faisait aider par ses camarades pour s’en affranchir. Et puis il y avait aussi les camps, organisés par nos confréries dans des régions montagneuses, à Rarău, à Moara Dracului, le Moulin du Diable en français, où nous nous réunissions pour vivre ce sentiment de fraternité, de partage, de communion, et en profiter pour nous raffermir le corps et l’esprit. On se réunissait, et on parlait de notre nation, de notre histoire, on chantait, et on communiait ensemble ».
C’est en 1999 que Mircea Dumitrescu, originaire de Bucarest, racontait son initiation, à 13 ans, dans les Jeunesses légionnaires : « J’avais approché le mouvement par la lecture, et grâce aux échanges que j’avais avec des collègues d’école et des copains. J’avais lu le manifeste intitulé « Aux membres de la Légion », écrit par Corneliu Zelea Codreanu. Et aussi, la « Confrérie de Croix », de Gheorghe Istrate, et « Foi de ma génération » d’Ion Mota, ou encore « Du monde légionnaire », et bien d’autres fascicules encore. Ces livres paraissaient souvent en samizdat, et étaient distribués en douce. Je connaissais certains de leurs éditeurs. L’un d’entre eux a été tué par la police du roi Carol II en 1939. Je le connaissais bien, je connaissais son père aussi. Il y avait aussi les frères Stan, détenteurs d’un doctorat en économie. Je les avais rencontrés grâce à mon père, par l’intermédiaire de ses amis ».
Ces fratries devinrent bien vite le creuset de la spiritualité légionnaire, le creuset de cette homme nouveau, pur et héroïque, vanté par la propagande légionnaire. Mircea Dumitrescu :« Pour y parvenir, il fallait tout d’abord embrasser intensément la pratique religieuse orthodoxe. Il fallait dédier à Dieu une quarantième de sa journée. Sur 24 heures, cela fait 36 minutes. Il fallait donc dédier ces minutes à sa relation avec Dieu. Lire le Nouveau Testament, par exemple ; Repasser en revue sa journée, les actions accomplies, et les jauger à l’aune des Saintes Ecritures, pour comprendre ses errements, ses erreurs, ses péchés éventuels. Puis, l’on nous disait que l’on ne pouvait nouer une véritable relation avec Dieu, à moins de nouer d’abord une relation de confiance, de sincérité et de partage avec notre prochain. Alors, une quarantaine de nos dépenses, il fallait les réserver pour aider son prochain. Prenez, si l’on a mangé une glace qui avait coûté 40 francs, il fallait mettre de côté 1 franc pour celui qui se trouve dans le besoin. Et c’est ce qu’on faisait. Parce qu’il y avait des contrôles, cela ne rigolait pas. Il fallait noter dans un calepin ses dépenses, son emploi de temps. Et ce calpin, on l’appelait « notre carnet » ».
L’éducation chrétienne instillée dans le chef de cette jeune génération, sous-tendue d’une exigence éthique permanente, était vouée à forger la nouvelle élite du pays. Dans son interview de 1994, le prêtre Ilie Ținta, ancien membre de la fratrie, détaillait la manière dont le processus de sélection et d’embrigadement se déroulait : « En règle générale, l’on ne sélectionnait que les bons élèves, au comportement exemplaire. Des cancres, on n’avait que faire. À la suite de la répression des années 38, 39, nos rangs s’étaient quelque peu clairsemés. La Sûreté de l’Etat nous avait à l’œil, et nous prenait en chasse. Mais le mouvement était parvenu à survivre. Et puis, en 1940, le mouvement a pris le pouvoir, pour un bref laps de temps, à l’occasion de la constitution du gouvernement national-légionnaire, dirigé par le général Antonescu. A l’époque, je dirigeais l’organisation de la Fratrie de Croix du Séminaire Nifon, de Bucarest ».
Le fascisme, défait en 1945, laissara la place au communisme. Un totalitarisme chassa l’autre. La plupart des survivants des Jeunesses légionnaires passèrent de longues années dans les geôles communistes. Malgré tout, certains parvinrent toutefois à constituer l’une des branches les plus combatives de la résistance anticommuniste de l’après-guerre. (Trad. Ionut Jugureanu)