Les mouvements du renouveau orthodoxe : la Légion de Dieu
Steliu Lambru, 12.09.2022, 13:25
À la fin de la Grande Guerre et à la suite du traité de
Trianon, le royaume de Roumanie, ou plutôt la Grande Roumanie comme on l’avait
appelée à l’époque, allait s’agrandir des provinces roumanophones qui
jusqu’alors avaient appartenu à l’empire d’Autriche-Hongrie et à l’empire des
Tsars. La société roumaine de l’époque était traversée par un enthousiasme sans
pareil. Tout semblait possible, à portée de la main. Le destin semblait sourire
à la Roumanie qui, pour la première fois de son histoire, parvenait à réunir
entre les frontières d’un même Etat l’ensemble des provinces roumanophones historiques.
C’est dans cette atmosphère effervescente qu’un besoin de
renouveau spirituel se fit aussi sentir. Alors que les mouvements spirituels
évangéliques se développaient à vive allure dans cette nouvelle Roumanie, le
culte orthodoxe, embrassé par une majorité de la population, ne pouvait pas
rester à la traine. Ainsi, à l’initiative du prêtre Iosif Trifa, le mouvement
Oastea Domnului, la Légion de Dieu en français, apparaît-il en 1923.
Né en 1888 dans le comté de Turda, en cette
Transylvanie d’Autriche-Hongrie de l’époque, Iosif Trifa étudie la théologie
orthodoxe à Sibiu, avant d’être ordonné pope. Il se fait remarquer assez tôt pour
son militantisme dans la défense des droits des « Moţi », les ethniques
roumains de la région des monts Apuseni. Après la Première guerre mondiale, inspiré par
les désirs de renouveau spirituel manifestés par les habitants de sa
Transylvanie multiethnique, Trifa lance son mouvement à l’intérieur de l’église
orthodoxe roumaine. Un mouvement de modernisation, censé faire fi des carcans du
formalisme lénifiant dans laquelle l’église s’était enfermée jusqu’alors, un
mouvement qui désirait reconnecter l’église aux desiderata des temps nouveaux.
Le prêtre orthodoxe Zosim Oancea, originaire de Sibiu, avait connu
la Légion de Dieu dans les années 30, alors qu’il était encore étudiant. A
l’occasion de l’interview qu’il passe en 2001 au micro du Centre de l’histoire
orale de la Radiodiffusion roumaine, le prêtre a du mal à saisir des
différences significatives en termes de dogme entre la ligne officielle de
l’église orthodoxe et le mouvement de renouveau de la Légion de Dieu.
Zosim Oancea : « La Légion de Dieu est un
mouvement de renouveau qui s’est située depuis toujours à l’intérieur de
l’église. Certains prêtres y avaient adhéré, d’autres non. Dans certaines
paroisses, les prêtres s’y tenaient à l’écart ou y étaient opposés, alors que
le mouvement était bien présent dans la communauté. Mais les membres de la
Légion de Dieu ont poursuivi leurs activités, ont chanté leurs cantiques, se
réunissaient régulièrement, soutenus ou non par le clerc. Il ne s’agissait pas
d’une dissidence de l’église officielle, il ne s’agissait pas d’un mouvement
schismatique. J’ai là mes bouquins, ils prêchent tout ce que prêche l’église
orthodoxe. »
Toutefois, dix ans après la création de
ce mouvement éminemment laïque, son fondateur se voit excommunié, en 1936, à la
suite d’un procès ecclésiastique. Deux ans plus tard, Iosif Trifa décèdera des
suites d’un infarctus. Ses ouailles reprennent pourtant le flambeau et
n’hésitent plus d’entrer en conflit ouvert avec la hiérarchie ecclésiastique,
même si le mouvement semble marquer le pas. Après la Deuxième Guerre mondiale,
une bonne partie des membres du mouvement émigrent en Occident, où ils
approchent les églises néo protestantes.
Madeleine
Hodoroabă, épouse du pasteur évangélique Ieremia Hodoroabă, qui avait quitté la
Roumanie pour se réfugier en France en 1940, lorsque l’URSS occupe la Bucovine,
se rappelait en 2000 les affres qui ont marqué la jeunesse de son époux et de
sa belle-famille : « Ieremia, qui était le dixième de la fratrie,
avait vécu une jeunesse difficile à cause des persécutions subies par les
évangélistes de la part de l’église orthodoxe. Il a assisté aux violences infligées
à son père par les orthodoxes. Il faut dire que ces souvenirs d’enfance ne
l’ont jamais quitté. Par la suite, à l’âge adulte, rencontrer des croyants
orthodoxes lui était assez pénible. Sur le tard pourtant, grâce à Dieu, et
parce qu’il était un croyant véritable, il s’était réconcilié avec eux. »
Une fois en France, les époux Hodoroabă ont prêché aussi bien
à l’église évangélique roumaine que sur les ondes radio, lançant l’émission
intitulée « La voie du guide spirituel chrétien » : « Nous
avons fondé l’église baptiste de langue allemande de Strasbourg, que nous avons
dirigée jusqu’en 1959. Et puis, à Paris, il y avait une église baptiste
roumaine, fondée en 1925, mais qui n’avait plus de pasteur. La communauté nous
a alors appelés. Mon époux, Ieremia Hodoroabă, était de fait l’unique pasteur
baptiste d’expression roumaine de toute l’Europe de l’Ouest. Ensuite, en 1961,
le directeur d’alors de Radio France Internationale de Monaco nous a contactés,
arguant que la radio était autrement plus importante que notre action au sein
de cette petite communauté baptiste de Paris. Et c’est à ce moment-là que nous
avons démarré la radio, nous avons lancé notre émission, mais sans pour autant
abandonner l’église baptiste de Paris. »
L’église et les ondes des radios du monde libre ont été les deux
béquilles sur lesquelles se sont appuyés les croyants des pays persécutés à
l’Est de l’Europe.
Madeleine Hodoroabă : « Beaucoup de gens humiliés,
chassés et persécutés par le pouvoir communiste ont pu trouver refuge au sein
des communautés baptistes. Les églises baptistes sont devenues leur maison.
Plus tard, mon époux a aussi récolté et reproduit dans un recueil des cantiques
baptistes. Les gens s’arrachaient son livre. La moitié des cantiques
reproduites dans ce livre appartiennent à un certain Nicolae Moldoveanu, membre
de la Légion de Dieu, compositeur et interprète bien connu de Sibiu. »
Après la chute du communisme, le 28 septembre 1990, le synode
de l’Eglise orthodoxe roumaine a levé l’excommunication qui frappait la
personne du fondateur de la Légion de Dieu, le prêtre Iosif Trifa. Aujourd’hui,
la Légion de Dieu, réhabilitée par la hiérarchie de l’Eglise orthodoxe, a
repris ses activités. (Trad. Ionuţ
Jugureanu)