La maison royale de Roumanie
La vie des rois et des reines, des princes, et surtout des princesses, a depuis toujours exercé une attraction quasi irrésistible. Certes, les leaders en général bénéficient d’une attention particulière de la part de l’opinion publique, mais cela est encore plus vrai dans le cas des têtes couronnés. Et il n’est pas rare qu’une bonne partie de gens envient cette vie, qu’ils pensent faite de luxe et de privilèges.
Steliu Lambru, 04.07.2022, 13:29
La vie des rois et des reines, des princes, et surtout des princesses, a depuis toujours exercé une attraction quasi irrésistible. Certes, les leaders en général bénéficient d’une attention particulière de la part de l’opinion publique, mais cela est encore plus vrai dans le cas des têtes couronnés. Et il n’est pas rare qu’une bonne partie de gens envient cette vie, qu’ils pensent faite de luxe et de privilèges.
Au long de ses 80 années d’existence, le royaume de Roumanie vit défiler quatre rois à sa tête, des souverains aux caractères très divers, depuis l’austère Carol I, premier monarque de la Roumanie moderne, en passant par le timide mais loyal Ferdinand, le roi soldat de la Grande Guerre, jusqu’au capricieux Carol II, le père du roi Michel, dernier souverain de sa lignée, car forcé à l’exile par les communistes en 1947. En effet, c’était le 30 décembre de cette année-là que le roi Michel, celui même qui avait rompu l’alliance de la Roumanie avec l’Allemagne nazie et fait rejoindre à la première le camp allié par le coup d’Etat du 23 août 1944, dut signer, sous la menace et la contrainte, l’acte d’abdication rédigé par les communistes roumains, imposés à la tête du pays par les chars russes dès 1945.
Après l’abdication du roi, une commission sera mandatée par le pouvoir de Bucarest de dresser l’inventaire des biens et avoirs royaux. La commission était formée d’historiens, de scientifiques, de critiques d’art, mais aussi d’ouvriers, membres du parti communiste. Parmi eux, il y eut l’historien et critique d’art Radu Bogdan, membre du parti d’avant 1945. Son témoignage fut recueilli en 1995 par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine.
Radu Bogdan y remémorait l’émotion ressentie 50 ans plus tôt en franchissant le seuil des palais royaux et en découvrant le quotidien de la maison royale. Première visite, le château de Peleș, résidence d’été de la famille royale, érigé par le premier souverain de la lignée, le roi Carol I, dans les Carpates.
Radu Bogdan : « Evidemment, le château disposait d’une archive fabuleuse. Et mon premier souci a été de mettre mon nez dedans. Durant les mois de mon travail à faire l’inventaire au château de Peleş, j’avais lu énormément. J’étais insatiable. Découvrir tout cela était une expérience tout à fait inédite. Vous savez, mon enfance, ma scolarité s’étaient déroulées durant le règne de Carol I, surnommé le voïvode de la culture roumaine. On baignait un peu dans le culte de la personnalité de ce roi. Et puis, d’un coup, pouvoir entrer dans son intimité, parcourir ses journaux intimes, c’était comme une porte qui s’ouvrait et qui me laissait découvrir une sorte d’histoire secrète du royaume. C’était fabuleux. »
La richesse de la bibliothèque royale abritée par le château de Peleş avait en revanche quelque peu déçu le visiteur inattendu. Radu Bogdan : « Vous savez, cette bibliothèque ressemblait à la bibliothèque d’un bourgeois. Il y avait assez peu de pièces rares. La bibliothèque du château de Bran en revanche recelait un véritable trésor. Des livres pourvus de la signature de la reine Victoria, par exemple. Mais dans la bibliothèque du château de Peleș il y avait surtout les livres et les revues édités par les Fondations royales. Celles-ci publiaient un premier numéro d’un tirage de 50 exemplaires à l’attention du roi Carol II, le deuxième numéro à l’attention du prince Michel. Certains livres étaient pourvus de l’autographe ou de la dédicace de l’auteur, alors que la coutume veut que l’on n’adresse pas ce genre d’attention au roi. Le roi d’Angleterre ne reçoit pas de dédicaces et il ne signe pas d’autographe. »
Une fois entré dans l’intimité des anciens souverains, Radu Bogdan s’était senti comme un enfant oublié dans un magasin de jouets. Il trouva l’agenda personnel du roi Carol II, avec ses notes quotidiennes. Il trouva d’autres documents, des lettres, des notes qui levaient le voile sur la vie intime des souverains et de leurs proches. Certains documents et objets ayant appartenu à la famille royale seront cependant perdus à jamais.
Radu Bogdan : « Vous savez, les communistes étaient mus par une haine épidermique contre tout ce qui appartenait à la famille royale. Et cela fait qu’ils ont détruits, sciemment ou par négligence, beaucoup d’objets de valeur. Prenez, par exemple, le bureau de Carol I, qui était intact depuis le jour de sa mort en 1914. Certains ont commencé à effacer les signatures qu’ils trouvaient sur les livres. La reine Marie avait cette habitude, de signer les livres qui lui appartenaient et les mecs ont commencé à effacer sa signature avant de mettre ces livres à la disposition des bibliothèques publiques. Il fallait effacer la trace des rois de la mémoire collective. Certaines pièces avaient été vandalisées, des meubles et des documents perdus à jamais. »
Mais c’est la vie de tous les jours des monarques roumains que Radu Bogdan avait essayé d’approcher et de comprendre durant son séjour d’études au château de Peleș, occasionné par la commission d’inventaire dont il faisait partie : « Chose intéressante mais quelque peu surprenante, la maison royale ne disposait pas d’une archive à proprement parler. Les documents étaient gardés dans une sorte de boîtes en carton, j’ignore si c’étaient des boîtes à chapeaux ou pas, mais elles étaient en carton. Une seule, pourvue d’un petit cadenas, était fermée à clé. Elle recelait le journal de la reine Marie. Sinon, dans ces boîtes contenaient un pêle-mêle de lettres, de pétitions envoyées par toute sorte d’énergumènes, de courriers reçus de la part d’autres maisons royales, des lettres de Goga, de Iorga, de diplomates, et ainsi de suite. »
Quoi qu’il en soit, la vie intime des souverains nous fascine aujourd’hui tout autant qu’elle devait fasciner nos ancêtres. De manière malencontreuse, la vie intime de la famille royale roumaine a été éventrée par leurs ennemis politiques, les communistes, qui s’étaient sans doute réjoui de pouvoir le faire. (Trad. Ionuţ Jugureanu)