La minorité juive dans la Grande Roumanie
La présence des Juifs
dans l’espace roumain est attestée depuis le Moyen Âge, lorsque des communautés
de loi mosaïque vivaient déjà des deux côtés des Carpates, en laissant des
traces, notamment culturelles, tant dans les villes que dans les villages
roumains. Au début du vingtième siècle, avant la Shoah, la présence des Juifs
se fait principalement remarquer au sein des professions libérales, nombre de
savants, médecins, avocats, entrepreneurs et personnalités culturelles
roumaines de grande étendue provenant de cette communauté. Avec la naissance de
l’État
d’Israël en 1948, bon nombre des survivants de la Shoah choisiront la voie de l’Alya.
Steliu Lambru, 11.04.2022, 09:09
La présence des Juifs
dans l’espace roumain est attestée depuis le Moyen Âge, lorsque des communautés
de loi mosaïque vivaient déjà des deux côtés des Carpates, en laissant des
traces, notamment culturelles, tant dans les villes que dans les villages
roumains. Au début du vingtième siècle, avant la Shoah, la présence des Juifs
se fait principalement remarquer au sein des professions libérales, nombre de
savants, médecins, avocats, entrepreneurs et personnalités culturelles
roumaines de grande étendue provenant de cette communauté. Avec la naissance de
l’État
d’Israël en 1948, bon nombre des survivants de la Shoah choisiront la voie de l’Alya.
Après la chute du communisme en décembre 1989, la communauté juive de
Roumanie ne comptait plus que quelques milliers de personnes, à comparer avec
les 756.930 membres recensés en 1930. La communauté vivante et dynamique du
début des années 30 était surtout concentrée dans le nord de la Roumanie, soit dans
le nord de la Transylvanie, dans le Maramureș, la Bucovine, ou encore en
Bessarabie. En effet, après la Première Guerre mondiale, l’État roumain s’était
résolument engagé à observer les droits de toutes les minorités ethniques. La
liberté économique, la liberté des cultes, la liberté de la presse exercée dans
les langues des minorités, l’accès à la nationalité roumaine, tout comme le
droit de vote devenaient alors des droits gravés dans la loi. Les premières
persécutions antisémites de 1938 trouveront une minorité juive pleinement
intégrée dans la société roumaine, ainsi que l’attestent les interviews
réalisées durant les années 1990 et 2000, et conservées par le Centre
d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine.
Voici le récit de Nicolae Catone, cheminot et ancien
membre du parti national-paysan, originaire de Salva, une commune du
département de Năsăud, situé dans le nord de la Roumanie, interviewé en l’an
2000 : « Notre commune comptait un
certain nombre de Juifs, dont un certain Aaron, un type plutôt aisé,
propriétaire d’une pompe à essence et commerçant de céréales. Un jour, son
dépôt de carburant avait pris feu, mais ce fut un accident. Nous, on
s’entendait bien, il n’y avait rien qui nous oppose. Je me souviens aussi d’une
voisine juive, qui venait chez nous chercher du lait pour ses 4 enfants. Nous
avions deux vaches à lait à l’époque, elle s’amenait chercher son lait, elle
trayait elle-même nos vaches. Il n’y avait pas de divergences, rien qui nous
oppose, rien du tout. »
Adela
Feiden, originaire de la ville d’eaux de Vatra Dornei, se souvenait en 1998 des
fêtes de la petite ville de son enfance, qui comptait pas moins de 3
synagogues. Adela Feiden : « L’on
observait les fêtes religieuses sans faute et le Temple nous attendait à chaque
occasion. La troupe du théâtre juif est même venue jouer, en yiddish, au centre
culturel local, mais aussi au Casino, où il y avait une salle de théâtre. Lors
des grandes fêtes, de Hanoukka par exemple, même le grand rabbin s’y amenait.
Il nous expliquait la signification religieuse de la célébration. La Pâque, la
Pessa’h, y était aussi célébrée en grande pompe. Et souvent, les deux premiers
jours de Pessa’h, on allait à la synagogue. »
Ludovic Kahan, fils d’un petit négociant de bétail
originaire de la ville de Baia Mare, témoigne, lui, de l’importance de la
communauté juive de cette ville transylvaine. Ludovic Kahan : « C’était en 1885 qu’avait été fondée la synagogue
de la ville, toujours en activité. On était une communauté de Juifs orthodoxes
et le courant hassidique de Baia Mare a rayonné longtemps à travers le monde
juif. Le sionisme était aussi très influent dans notre communauté. Selon les
statistiques de l’époque, la ville de Baia Mare comptait, en 1890, 9.868 habitants,
dont pas moins de 702 juifs. Mais en 1910, sur 12.877 habitants, 1402 étaient Juifs.
En 1930, 2.030 Juifs sur 13.904 habitants. Enfin, en 1941, il y avait 3.623 Juifs
sur 21.404 habitants. La part de la communauté juive était ainsi passée de 7 à
16% de la population de Baia Mare. C’était une communauté importante. »
Le rabbin Ernest Neumann,
originaire de Timișoara, se souvenait, en 2002, des bonnes relations nouées
entre la communauté juive et les ethniques roumains, tout cela avant la
Deuxième Guerre mondiale : « Les gens originaires de Transylvanie,
ceux qui avaient vécu dans l’empire d’Autriche-Hongrie avant la Grande Guerre,
étaient plutôt tolérants à l’égard des Juifs. Les gens étaient habitués à
côtoyer diverses autres communautés que la leur, des communautés avec
lesquelles ils partageaient tout, en bonne entente. Pour ce qui est des
Roumains, si on se plonge dans leur histoire, on peut difficilement dire qu’ils
soient un peuple intolérant, ou qui manque de bienveillance par rapport aux
autres. Moi, j’avais été élevé dans cet esprit, au milieu d’une communauté qui
comprenait des ethniques roumains, magyars et juifs, et on s’était toujours
très bien entendu entre nous. On ne faisait pas de différence. L’origine
ethnique ou religieuse n’entrait pas en ligne de compte. Ces barrières sont
depuis toujours montées en épingle de manière artificielle, en faisant fi de la
nature commune de l’être humain, en faisant fi du sens commun et de la nature
de l’homme. »
Ces témoignages, recueillis au sujet de
l’état d’esprit qui régissait les relations entre les diverses communautés de
l’époque, ne laissaient en rien transparaître la tragédie qui allait se jouer
peu de temps après, pour donner naissance au pire crime de masse de l’histoire
de l’humanité : la Shoah. (Trad. Ionuţ Jugureanu)