La conférence de Paix de Paris de 1946
Steliu Lambru, 21.02.2022, 13:27
La Conférence de paix de Paris, qui
s’est déroulée entre le 29 juillet et le 15 octobre 1946, entendait mettre fin
à l’innommable carnage de la Seconde guerre mondiale, s’essayant par ailleurs de
jeter les bases de ce qu’on peut appeler une paix durable. C’était le 10 février
1947 qu’allaient être signés les traités de paix avec les alliés européens de
l’Allemagne nazie, soit l’Italie, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et la
Finlande. Une chose est sûre : en dépit des efforts de leurs diplomates,
tous ces Etats, à la seule exception notable de la Bulgarie, allait y laisser
des plumes, forcés d’abandonner des pans entiers de leurs territoires et se
voyant condamner à des lourdes réparations de guerre.
La délégation roumaine à la Conférence de Paris avait été nommée
par le gouvernement de Bucarest, contrôlé par les communistes, et imposé au roi
par l’occupant soviétique. Le lobby de la diaspora roumaine et les techniciens
de la délégation officielle avaient malgré tout tenté de défendre les intérêts
de pays.
Gheorghe Apostol, vieux leader communiste, met en exergue le
rôle joué par les membres communistes de la délégation à la Conférence de paix,
lors d’une interview passée en 1995, pour le Centre d’histoire orale de la
Radiodiffusion roumaine.
Gheorghe Apostol : « Lucreţiu Pătrăşcanu faisait
partie de notre délégation, autant en sa qualité de ministre de Justice, qu’en
tant que leader communiste reconnu. Mais le chef de la délégation était
Gheorghe Tătărescu, vice-premier ministre et chef de la diplomatie roumaine,
diplomate reconnu à l’étranger. C’est lui qui avait dirigé les travaux de notre
délégation. Une fois le traité de paix signé, la délégation avait été
accueillie avec enthousiasme au retour à Bucarest, car elle était parvenue à
convaincre les Alliés du bien-fondé de la position roumaine au sujet de la
Transylvanie. Un succès d’importance, mais obtenu avec beaucoup de peine. »
Gheorghe Barbul, chef de Cabinet du maréchal Ion Antonescu, l’ancien
leader pro-allemand de la Roumanie de 1940 à 1944, avait été chargé de rédiger
deux rapports, le premier au sujet du différend territorial roumano-hongrois,
le second sur la question juive.
Gheorghe Barbul : « Une commission avait été
chargée, déjà avant la Conférence de paix, de préparer et de mettre à la
disposition de notre délégation les documents techniques, que cette dernière
désirait présenter à la Conférence. La présidente de ladite commission n’était
personne d’autre qu’Ana Pauker, la dirigeante de la branche moscovite du parti
communiste roumain. Rédiger le premier document, sur le différend territorial
avec la Hongrie, cela ne m’avait pas posé de problèmes. Sur la question juive
en revanche, j’étais mis devant un problème de conscience. Parce que j’avais
été collaborateur du maréchal Ion Antonescu durant la guerre, et puis aussi de
son adjoint, Mihai Antonescu. Et il m’était difficile d’écrire ce que l’on
attendait de ma part à l’époque. Et si même je l’avais fait, c’est que j’aurais
trahi ma conscience. Mais j’ai eu de la chance, une chance inespérée. Parce que
c’est juste à ce moment-là que je reçois la documentation rédigée par une
organisation internationale juive prestigieuse, l’American Jewish Joint
Distribution Committee. Et dans ces documents, lorsqu’on parlait de la
Roumanie, il était attesté le nombre de Juifs demeurés à l’intérieur des
frontières roumaines, une fois que les provinces de Bessarabie, du Nord de la
Transylvanie, de Bucovine et du Quadrilatère ont été dépecées du territoire
national, en 1940, avant la guerre. À cette époque, après le dépeçage, il n’y
avait plus que près de 400 mille Juifs sur les territoires qui se trouvaient
sous la responsabilité de l’Etat roumain, fin 1940. Et selon ces données, la
situation des Juifs roumains, à l’issue de la guerre, le nombre des Juifs
survivants, montrait que leur sort avait été bien meilleur que dans nul autre
pays occupé par l’Allemagne. J’avais rédigé mon rapport sur cette base, je
l’avais montré à Ana Pauker, qui était juive par ailleurs, et à mon grand
étonnement elle l’avait approuvé sans réserve. »
Paul Niculescu-Mizil, dignitaire
communiste d’envergure à l’époque, estimait quant à lui, dans une interview de
1997, que la Roumanie aurait dû bénéficier du statut de cobelligérant à la
Conférence de paix de Paris de 1946.
Paul Niculescu-Mizil : « C’était une question
ardue. Nous avons appuyé cette thèse de toutes nos forces. Mais les Alliés s’y
sont refusés. Ils sont allés jusqu’à modifier la date d’entrée de la Roumanie
en guerre du côté allié et contre l’Allemagne nazie, alors que cette date était
mentionnée même dans le document d’armistice, signé à Moscou, entre la Roumanie
et l’Union Soviétique. Mais dans le traité de paix on en fait fi. Au lieu de la
date du 23 ou 24 août 1944, l’on fait mention de la date du 12 septembre. C’est
mystifier la réalité ! C’est que diminuer les mérites des Roumains
arrangeait tout le monde, les Russes, tout comme les Américains. Les
Soviétiques se pavanaient de la sorte d’avoir libéré Bucarest, alors que les
Allemands y avaient été chassés bien avant, par l’Armée roumaine. J’avais
raconté l’épisode suivant, qui en dit long, dans l’un de mes articles. Vous
savez, en 1959, le maréchal soviétique Konev nous rend visite, pour nous remettre
en grande pompe le drapeau d’un régiment soviétique qui avait, soi-disant,
libéré Bucarest. Et alors, moi, j’avais préparé à l’intention de Bodnăraş, qui
était à l’époque notre ministre de la Défense, une collection des journaux du
29, 30 et 31 août 44. C’était au moment où les troupes soviétiques faisaient
leur entrée dans la capitale, dans une capitale libérée de longue date, où ils
avaient été reçus avec des bouquets de fleurs, et point avec des balles. Cela
mettait à mal le récit officiel des soi-disant libérateurs soviétiques. Les
troupes soviétiques avaient été saluées par les communistes roumains depuis
leurs balcons. Ces troupes soviétiques avaient défilé à Bucarest, ils n’avaient
rien fait pour le libérer. »
Quoi qu’il en soit, il y a 75 ans, les
Traités de paix de Paris allaient être signés par les anciens alliés européens
de l’Allemagne nazie. Pour ces pays, les traités mettaient un point, au plan juridique,
à la Deuxième Guerre mondiale. Les États vaincus allaient avoir des fortunes diverses.
Certains, telles l’Italie et la Finlande, allaient pouvoir jouir d’une longue
période de démocratie et de prospérité économique. D’autres, tels que la
Roumanie, la Hongrie et la Bulgarie, allaient se retrouver derrière le rideau
de fer, condamnés à une longue période de tyrannie et de pauvreté, que les
régimes communistes installés par les Soviétiques dans ces pays n’allaient pas
manquer de leur faire subir. (Trad. Ionut Jugureanu)