Mugur Călinescu, un héros méconnu
Le nom de Mugur
Călinescu est à jamais entré dans le panthéon de la résistance anticommuniste
roumaine. Un jeune héros épris de liberté, devenu plus tard un symbole de cette
génération qui finira par renverser le régime communiste, a fait à juste titre
son entrée dans la mémoire collective roumaine.
Steliu Lambru, 25.07.2022, 07:03
Le nom de Mugur
Călinescu est à jamais entré dans le panthéon de la résistance anticommuniste
roumaine. Un jeune héros épris de liberté, devenu plus tard un symbole de cette
génération qui finira par renverser le régime communiste, a fait à juste titre
son entrée dans la mémoire collective roumaine.
Né le 28 mai 1965 dans la ville de
Botoșani, en Moldavie roumaine, Mugur Călinescu n’avait que 16 ans lorsque, en
2e année de lycée, il décida de briser le silence, de vaincre la
peur et de poser ouvertement un acte de révolte contre le régime de dictature
communiste, dirigé par Nicolae Ceausescu. L’histoire émouvante du jeune héros
anticommuniste n’est devenue publique qu’après la chute du régime, fin 1989.
L’historien, le journaliste et l’écrivain Constantin
Iftime a décidé de nous la partager : « Il n’était qu’un enfant,
élève en 2e, au lycée Laurian, dans sa ville natale de Botosani. Il
était un élève appliqué et suivait la filière scientifique. A l’époque, ses
parents étaient séparés. Son père gagnait bien sa vie, il réalisait des patrons
et des moulages pour une entreprise d’Etat de prêt-à-porter. C’est le père qui
avait fait cadeau à Mugur sa radiocassette portable japonaise. Et lui, avec cette
radio, il a commencé à écouter en douce, sans même que sa mère se doute de quoi
que ce soit, radio Free Europe. C’était la station de radio anticommuniste par
excellence. Mais Mugur Calinescu était un garçon plein de vie, passionné de
musique et de plein d’autres trucs, enfin il vivait tranquillement sa vie d’adolescent. »
Seulement, dans la nuit du 12 au 13 septembre
1981, le garçon prend son courage à deux mains, et quitte en catimini la maison
familiale, bien décidé de faire entendre sa révolte. Il commence par tagguer un
slogan anticommuniste sur un panneau fixé près d’un chantier. Il appelait à la
révolte, vilipendant les conditions de vie que le régime d’alors imposait aux
Roumains. Aujourd’hui, ce genre de choses nous semble insignifiant, dérisoire.
A l’époque il s’agissait d’une sorte de crime de lez majesté, un crime
capital. Écrire publiquement contre le régime semblait impensable, un
acte d’un courage fou.
Pourtant, ce
garçon l’avait fait. Constantin Iftime raconte : « Personne ne lui
avait suggéré cette façon d’agir. Il disposait d’un bête morceau de craie, mais
une craie qui ne s’effaçait pas facilement, utilisée par les garde-forestiers
pour marquer les arbres à abattre. Et c’est avec ce morceau de craie qu’il
commence à écrire ses slogans anticommunistes. D’abord sur des panneaux en
métal, à proximité des chantiers de construction. Des slogans où il dénonçait
les privations, les conditions révoltantes que l’on était forcé à endurer au
quotidien. Sa mère avait du mal à nouer les deux bouts, elle était vendeuse
dans un magasin et avait un salaire de misère. Et lui, il voyait ça, il voyait
combien la vie de sa maman était pénible. A l’époque, le régime faisait des
économies, et il avait commencé à faire des coupes sombres dans les salaires des
petites gens. »
Encouragé par la réussite de son premier
exploit, Mugur Călinescu commençait à sortir de plus en plus souvent, la nuit,
pour le rééditer. Il le fit à 31 reprises. Il taggua partout, jusqu’aux murs du
siège du comité régional du parti communiste. La police politique, la
Securitate, était en alerte, affolée par le courage insensé du taggueur
nocturne. Pourtant, en dépit de toutes leurs astuces, ses agents n’arrivaient
toujours pas à mettre le grappin sur le taggueur furtif, et cela les mettait en
boule. De nouveaux slogans, de nouveaux tags apparaissaient le lendemain, dans
des endroits toujours différents, insoupçonnés. Evidemment, les agents
effaçaient les graffiti ou les recouvraient de peinture là où ils n’y
arrivaient pas. La Securitate, la milice, la police d’alors, avaient mobilisé
leurs indics, mais rien n’y a fait. Ils étaient arrivés à passer au crible
chaque immeuble, chaque appartement. Ils avaient analysé 47 000 preuves
graphologiques. Ils avaient déployé des moyens terribles. Ils étaient même
parvenus à rédiger le profil psychologique de l’auteur, en interprétant son
écriture. Ce profil prétendait qu’il s’agissait d’un adulte de 30 ans, un
intellectuel ou un inadapté. Ils se fourvoyaient copieusement. Ils organisaient
des patrouilles, des guets-apens, utilisaient des chiens pisteurs. Finalement,
c’est dans la nuit du 18 octobre 1981 qu’ils sont parvenus à surprendre un ado,
un morceau de craie à la main, écrivant sur un mur.
Là, ils sont tombés
de haut. Constantin Iftime détaille : « Il est arrêté sur le champ
et amené au siège de la Securitate. Il reconnaît tout, sans essayer de se
dédouaner. Sa mère panique, la police n’avait pas pris la peine de l’avertir.
Elle passe des coups de fil à droite et à gauche, et ce n’est que le lendemain
qu’elle est avertie de l’arrestation de son fils. La première nuit il la passe en
salle d’interrogatoire, au siège de la Securitate. Les enquêteurs voulaient
savoir qui se trouvaient derrière, qui l’avait monté. Il n’y avait personne
évidemment, mais ils étaient incrédules. Ils ne l’ont pas passé à tabac. Son
père, et cela est un comble, l’avait menacé, alors qu’il était sous enquête.
Les enquêteurs voulaient lui tirer les vers du nez, mais sans le brutaliser. Evidemment,
ils employaient certaines formes de torture psychologique. Ils l’ont aveuglé à
l’aide d’une lampe puissante, derrière laquelle était assis l’enquêteur de la
Securitate. Les enquêtes se sont poursuivies de longs mois. Mugur Călinescu était un adolescent sensible, et il était devenu le jouet de la
Securitate. »
Ostracisé après avoir été libéré, isolé, quitté de tous, toujours
poursuivi par la Securitate, Mugur Calinescu s’éteint à 19 ans, en 1985, des
suites d’une leucémie galopante. Certains diront que sa maladie avait été
déclenchée par l’innommable pression et par le harcèlement continu qu’il dut
subir pendant toutes ces années. Après la chute du régime, l’État lui a accordé le titre posthume
de héros de la lutte anticommuniste. Un roman, une pièce de théâtre et un film,
ce dernier réalisé par Radu Jude, tous inspirés de la vie du jeune Mugur Călinescu,
sont sortis dans les années 2010. (Trad. Ionut Jugureanu)