La Radiodiffusion roumaine, jeune dame de 93 ans
Steliu Lambru, 08.11.2021, 09:58
Considéré à l’époque comme un moyen
d’information révolutionnaire, la radio a bénéficié dès le départ de
l’attention et de l’appui des autorités publiques, faisant l’unanimité parmi
ses auditeurs. L’histoire de Radio Roumanie se confond avec l’histoire du pays.
Les périodes de liberté ont été émaillées par de longues périodes de censure,
correspondant aux volontés des régimes dictatoriaux qui s’y sont succédés. La
mémoire des moments charnière de l’histoire du pays se sont à jamais gravé dans
la mémoire publique grâce à la radio. Certains témoignages, conservés dans les
archives du Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, en font
aujourd’hui état.
Paul Berstein a été l’un des traducteurs
employés par la Radio roumaine, et ses souvenirs remontent loin dans le temps :
« Avant 1990, la Radio accueillait nombre de délégations culturelles
étrangères, nombre de personnalités culturelles, de partout. Je me souviens tout
particulièrement d’une délégation soviétique, dirigée par le ministre adjoint à
la Culture du gouvernement soviétique. Reçue en grande pompe par notre
direction d’alors, je faisais l’interprète. Un des membres de la délégation était
Nikolaï Cerkasov, qui avait fait un rôle formidable dans le film Ivan le
terrible. Il avait aimé mon russe, ma maîtrise de sa langue. Il m’avait demandé
où j’avais appris parler sa langue. Je l’avais apprise à la maison. Enfin, on
s’était lié d’amitié, et il voulait m’offrir un cadeau. Alors, un jour, je suis
descendu à Moscou, je lui ai téléphoné. J’avais avant demandé la permission de
Bujor, mon chef, le président de la Radio, pour ce faire. Il m’a donné son
aval, j’ai téléphoné à Cerkasov, il est venu à mon hôtel. Je lui ai alors
rappelé sa promesse de cadeau. Il se montra enthousiaste. « Que
désires-tu », me demanda-t-il. Alors, je lui dit : « Je voudrais
vous voir réinterpréter dimanche, dans l’église de la Place rouge, un morceau
de votre rôle, dans Ivan le Terrible ». Et Cerkasov l’avait fait, aussi invraisemblable
que cela puisse paraître. Je n’oublierai jamais ces dix minutes magiques, où j’avais
assisté à son jeu. C’était un grand acteur, un monument. C’était du grand art. »
Au début des années 1960, un vent de
liberté avait commencé à chauffer le glacis communiste des années d’après-guerre.
Ce fut l’époque du lancement du fameux festival international de la chanson de
Brasov, intitulé « Le cerf d’or ».
Paul Berstein se
souvient : « « Le cerf d’or »
a été pour moi l’occasion de rencontrer les magiciens de la scène, les grandes
voix qu’étaient Connie Francis, Juliette
Greco, Amalia Rodriguez et bien d’autres. Je reçois un coup de fil de
l’aéroport de Baneasa m’annonçant l’arrivée de Connie Francis.
« Recevez-la avec tous les égards possibles », m’ont-ils dit. Je l’ai
invitée au restaurant, et c’est alors que j’ai appris qu’elle faisait partie de
l’entourage du clan Kennedy. Et voilà que Connie Francis, une fois rentrée aux
Etats-Unis, m’envoie une photo dédicacée : « Pour docteur Paul, de la
part de Connie Francis. » C’était énorme. Et puis, pensez aux rencontres
avec nos confrères étrangers, de Radio France, des Etats-Unis. J’apprenais de
chacun les arcans du métier. C’était une époque enthousiasmante. »
Paul Berstein remémore aussi la manière
dont le grand tremblement de terre du 4 mars 1977 avait été vécu par les
professionnels de la radio publique roumaine. Un moment de grande émotion :
« J’étais chez moi lorsque la catastrophe est arrivée. C’était le soir,
peu après 21h00. Après m’être ressaisi, j’ai pris ma fille, et nous sommes allés
au siège de la radio. Je vois encore le président d’alors, le célèbre Muşat, perché
au 3e étage. J’étais avec lui. Et puis, d’un coup, deux rédacteurs, Preda
et Negru, surgissent de nulle part. Et le premier nous dit : « Il
faut enregistrer ! ». Le second renchérit : « Les gens sont
dans la rue, avec leurs postes, et nous, on ne diffuse rien. Les gens écoutent
les radios étrangères. Il faut qu’on descende, et qu’on fasse nos reportages ».
On appelait sans arrêt notre agence de presse, Agerpres. Enfin, une ou deux
heures plus tard, nous avons finalement reçu l’aval pour faire nos reportages
dans la rue. »
La journaliste culturelle Magdalena
Boiangiu a elle aussi fait sa carrière à Radio Roumanie. C’est dans un
enregistrement daté de 1998 qu’elle raconte les débuts de la populaire rubrique
de théâtre radiophonique : « L’éducation au théâtre des millions
d’auditeurs a été réalisée grâce à nos rubriques « Le théâtre au
microphone », ou encore « Le théâtre radio ». La première avait
été lancée alors que la radio squattait encore les locaux du lycée Saint Sava.
Les acteurs montaient sur scène et jouaient leur pièce. C’était jouer une pièce
de théâtre en vrai, avec des micros installés tout autour, pour capter les
répliques et le son d’ambiance. Puis, progressivement, les conditions
techniques se sont améliorées. On a eu nos studios d’enregistrement, on a monté
des adaptations de grands dramaturges. On a abandonné la scène, les acteurs
récitaient leurs répliques, les textes étaient adaptés pour la radio. Moi, j’avais
rejoint l’équipe à ce moment-là, dans les années 60. J’avais compris que nous
étions à un tournant, que c’était la fin d’une époque et qu’une autre allait
commencer. À l’émission « Le théâtre au micro », l’on
jouait devant un micro. Avec « Le
théâtre radiophonique », on s’zqt lancé dans une tout autre
aventure : c’étaient des pièces de théâtre spécialement adaptées, voire
spécialement écrites pour la radio. L’auteur sait d’avance que sa pièce n’est
pas vouée à être jouée sur les planches, devant un public. Et qu’il doit donc
concentrer tout son art dans les paroles, dans les répliques et les sons
d’ambiance. Et ce fut une formule gagnante, parfois couronné des prix
internationaux prestigieux du métier. »
Radio Roumanie vient de fêter son 93e
anniversaire, le 1er novembre passé. D’ici 7 ans, on aura sans doute
l’occasion de lui fêter son premier centenaire d’existence. Bonne écoute, chers
auditeurs de Radio Roumanie ! (Trad. Ionuţ Jugureanu)