140 ans depuis la fondation de la monarchie roumaine moderne
Si les Roumains pouvaient se targuer d’une histoire commune d’au moins 5 siècles, leur destin politique commun était tout récent en revanche. L’idée d’un Etat commun avait déjà effleuré l’esprit d’aucuns durant les siècles, mais ce n’est qu’à la fin du 18e que le concept de la Dacie contemporaine se précise, par exemple, dans la correspondance qu’échangeaient l’impératrice Catherine II de Russie et l’empereur Joseph II d’Autriche. Les deux têtes couronnées désignaient ainsi les principautés danubiennes, en reprenant l’ancienne titulature préromaine de ce territoire. Mais très vite, dans la première moitié du 19e siècle, l’idée d’un Etat commun des Roumains vivant dans les principautés danubiennes, la Moldavie et la Valachie, fait son chemin. Et l’idée de l’unité des Roumains pénètre dans l’esprit collectif avec une autre idée force, celle de transformer le Danube en un fleuve paneuropéen, afin d’en garantir la liberté de navigation. Avec l’union des principautés danubiennes en 1859, sous le sceptre d’Alexandru Ioan Cuza, avec l’arrivée, en 1866, sur le trône des principautés roumaines unies du prince-souverain Carol de Hohenzollern-Sigmaringen, qui sera proclamé roi de Roumanie le 26 mars 1881, l’ancienne Dacie semble construire à grande vitesse les frontières politiques de sa modernité. Le 10 mai 1866, le jour où le prince Carol débarque sur le sol de son futur royaume, marque le début de la modernité roumaine.
Steliu Lambru, 07.06.2021, 18:01
Le règne de Carol Ier, déroulé entre 1866 et 1914, sera à la fois long et riche. Mais ce fut tout le contraire d’un long fleuve tranquille. L’historien Alin Ciupală de l’Université de Bucarest parle de la première partie de ce règne comme d’une période de transition, l’arrivée du prince allemand sur le trône des principautés roumaines étant perçue par d’aucuns avec une certaine réserve. Alin Ciupală :
« Mises à part les élites politiques, Monsieur Tout-le-monde demeure assez indifférent à ce prince allemand, catholique, somme toute un étranger pour la plupart de Roumains. Les élites politiques nourrissent en revanche beaucoup d’espoir envers sa personne, surtout après la fin décevante du règne d’Alexandru Ioan Cuza, le premier prince souverain des principautés roumaines unies. Pour sa part, il faut dire que le prince allemand n’arrête pas de s’étonner de l’atmosphère provinciale de Bucarest, capitale de son nouvel État. C’est son épouse, la future reine Elisabeth, qui racontera plus tard, avec beaucoup d’humour, l’épisode. C’est que Bucarest était une ville balkanique et provinciale, loin de pouvoir se mesurer avec les villes allemandes de l’époque, qui étaient familières au prince. A son arrivée, le prince souverain fraîchement appelé à occuper le trône vacant des Principautés roumaines unies va élire domicile au manoir de la famille Golescu, lui aussi très éloigné du confort et de la majesté que constituaient l’image de marque des châteaux de la famille Hohenzollern-Sigmaringen. Mais le prince s’y fera bien vite et surmontera rapidement les désillusions de son début de règne. »
La Constitution de 1866, l’une des plus modernes de son temps, inspirée par la constitution belge de 1830, fera appeler la Roumanie d’alors la « Belgique de l’Orient ». Une constitution qui fera date et qui sera prête dès le début du nouveau règne de Carol Ier, marquant l’amorce de la nouvelle monarchie constitutionnelle roumaine. Alin Ciupală :
« A son arrivée dans le pays, le texte de la nouvelle constitution était presque prêt. Pour ce faire, les hommes politiques roumains avaient mis de côté, une fois n’est pas coutume, leurs divergences. Le texte sera rapidement adopté par l’Assemblée constituante, et entrera en vigueur tout de suite après. C’est que la classe politique roumaine désirait rassurer le nouveau Souverain, lui proposant un terrain institutionnel stable, sécurisant, pour éviter de reproduire l’insécurité institutionnelle et la méfiance qui ont caractérisé les relations entre la classe politique et le prince souverain au temps du règne précédant, d’Alexandru Ioan Cuza. Les élites politiques roumaines d’alors avaient pris résolument le pari d’instaurer un régime de monarchie constitutionnelle, doté de toutes les garanties et les garde-fous nécessaires. Mais les élites politiques étaient pressées aussi par la conjoncture internationale et les tensions diplomatiques apparues après qu’Alexandru Ioan Cuza avait été déposé. En effet, les Grandes Puissances avaient reconnu l’union de la Moldavie et de la Valachie le temps de son règne, et pas au-delà. Or, après le 11 février 1866, jour de la déposition de Cuza, se prévalant de cette conditionnalité, la Turquie et l’Autriche ont appelé les Principautés roumaines unies à revenir à l’état de fait d’avant 1859, à se séparer donc. Il leur fallait trouver la parade, et le temps pressait. »
La crise dynastique de 1871 marque le point d’orgue des difficultés ayant marqué la période de transition du règne de Carol I. En effet, le prince souverain Carol avait été alors tout près de signer son acte d’abdication. Seul le changement de gouvernement l’avait décidé de se raviser. Certains historiens voient l’épisode comme le moment charnière, à partir duquel la monarchie constitutionnelle roumaine, l’Etat roumain moderne, l’union de la Valachie et de la Moldavie seront consolidés sans retour possible en arrière. Tout comme, par la suite, l’indépendance vis-à-vis de la Sublime Porte, obtenue de haute lutte lors de la guerre russo-turque de 1877/1878, avant que le royaume de Roumanie ne devienne une réalité institutionnelle et politique, reconnue de tous, le 10 mai 1881.
(Trad. Ionuţ Jugureanu)