Le bicentenaire du mouvement de renaissance nationale, mené par Tudor Vladimirescu
Steliu Lambru, 24.05.2021, 11:42
C’était au mois de janvier 1821 que
débutait, d’abord en Olténie, région située dans l’ouest de la principauté de
Valachie, le mouvement de renaissance sociale et nationale menée par Tudor
Vladimirescu, ancien militaire de l’armée russe, devenu marchand, et acquis aux
idées humanistes issues de la Révolution française.
À la tête de 5.000
hommes, Tudor Vladimirescu arriva à prendre Bucarest, capitale de la Valachie,
au mois de mars 1821, empêchant le nouveau prince régnant phanariote Scarlat
Kallimachis de prendre ses fonctions. Il ouvrit aussi de la sorte le pays aux
troupes révolutionnaires de l’Hétérie, la société révolutionnaire secrète
grecque à laquelle il avait adhéré et qui était
dirigée par Alexandre Ypsilantis. Durant deux
mois, Vladimirescu devient le voïvode de facto de la Valachie, avant de quitter
la capitale devant l’imminence d’une réaction ottomane. Par ailleurs,
confrontée aux déconvenues, l’entente construite au départ entre le leader du
mouvement révolutionnaire roumain, Tudor Vladimirescu, et le chef de l’Hétérie
grecque, Alexandre Ypsilántis, s’effrite, et Vladimirescu, accusé d’avoir trahi
la révolution grecque, est tué par les hommes d’Ypsilantis, le 21 mai 1821. Il
n’en est pas moins que le mouvement lancé par Vladimirescu voici 200 ans marquera
le début du mouvement roumain d’émancipation nationale.
Et il est sans doute vrai que cette
alliance gréco-roumaine de libération nationale, mue au départ par des intérêts
convergents, et démarrée sous de très bons auspices, subit très vite d’importantes
déconvenues et souffrit d’un contexte politique régional compliqué. En effet,
les nationalistes grecs, regroupés au sein de la société secrète Hétérie et
bénéficiant de l’appui supposé du Tsar, comptaient sur des soutiens importants
dans les Principautés danubiennes, grâce notamment à la présence, dès 1716, des
princes régnants grecs, originaires du quartier stambouliote de Phanar, plantés
sur les trônes valaque et moldave par la Sublime Porte, puissance suzeraine à
l’époque. Pourtant, la cause qui semblait pouvoir réunir les deux nations sous
une même bannière s’est rapidement avérée suffisamment clivante pour faire
avorter le projet commun, divisé, à partir de 1821, en deux projets distincts, l’un
grec, l’autre roumain, avec des voies d’expression bien distinctes.
C’est avec l’historien Alin Ciupală que
nous essayons de reconsidérer l’insurrection de 1821, avec le recul que les
deux cents ans écoulés depuis nous le permettent. Alin Ciupală nous décrypte ainsi
tout d’abord le rôle endossé par les élites roumaines de l’époque lors du déclenchement
du mouvement insurrectionnel : « Un élément souvent passé sous silence
par l’historiographie communiste a été la place occupée par les boyards, par
l’aristocratie roumaine, dans cette révolution. Car il s’agit d’un milieu qui
se trouve déjà sous l’influence des grandes idées illuministes, passées depuis
l’Occident dans les Balkans grâce à la culture grecque. L’aristocratie roumaine
a vite fait de les assimiler, de les faire sienne, favorisant de la sorte la
rupture qui va se consommer très vite entre le mouvement national grec et le
mouvement national roumain, ce dernier encore à ses débuts. L’on constate,
autrement dit, une rupture entre le nationalisme grec, promu dans les
Principautés danubiennes par les princes phanariotes et l’aristocratie grecque
d’une part, et le nationalisme des boyards roumains de l’autre. Et l’on
constate l’apparition de ce désir de l’élite roumaine de se débarrasser de
l’influence grecque, à commencer par le système des princes phanariotes. »
Pourtant, les Grecs disposaient d’atouts
qui leur donnaient une longueur d’avance pour réussir leur soulèvement
national. Ils disposaient, en effet, d’un certain nombre de ressources
politiques, administratives et militaires indéniables, surtout en Valachie,
alors que l’élite roumaine ne pouvait se prévaloir que d’un certain nombre de
ressources économiques.
Alin Ciupală voit ainsi le personnage de
Tudor Vladimirescu comme incarnant la solution roumaine, celle promue par son élite,
par les boyards roumains : « Le
nom de Tudor Vladimirescu apparaît dans ce contexte compliqué. C’est un homme
d’action, qui peut faire valoir son expérience militaire, car il avait pris
part à la guerre russo-turque de 1806/1812 du côté des Russes, il avait même
été décoré pour sa bravoure par les autorités militaires russes. Et les boyards
patriotes feront alors appel à lui, ils vont l’appeler à Bucarest, ils vont le
financer, pour qu’il aille en Olténie et qu’il y organise et arme ses troupes,
ses « panduri », et les amène à Bucarest. Et il était, en effet,
parvenu à réunir près de 5.000 hommes sous son commandement. Seulement, à partir
de là, il commence à prendre un certain nombre de libertés par rapport à ses
commanditaires, et à mener sa propre politique. Or, sa politique personnelle
n’est pas celle souhaitée par les grands boyards roumains. En effet, on le voit
débarquer à Bucarest, à la tête de ses troupes, et occuper la capitale de la
Valachie, prenant tout seul le pouvoir, profitant du vide créé à la suite du
décès du dernier prince phanariote de Valachie. »
Mais quels intérêts communs avaient tout
d’abord réuni sous une même bannière Tudor Vladimirescu et les grands boyards
roumains ? Alin Ciupală : «
Leur intérêt commun était d’éloigner les princes phanariotes, pour que l’élite
roumaine puisse reprendre les rênes du pouvoir dans les Principautés
danubiennes. Cependant, lorsque Vladimirescu avait pris le pouvoir pour lui
tout seul, leur entente a été rompue. À ce moment-là,
les boyards quittent Bucarest, et se réfugient à Brasov et à Sibiu, et
Vladimirescu se retrouve tout seul, essayant d’imposer son autorité, mais il est
isolé. A cet égard, l’on peut faire état de bon nombre de documents qui étayent
cette thèse. L’on assiste à ses tentatives désespérées d’obtenir le soutien des
boyards, de ceux qui étaient encore restés au pays, parce qu’ils étaient les
seuls en mesure de lui octroyer la légitimité dont il avait besoin, et d’épauler
son pouvoir, obtenu par les armes. »
En même temps, le mouvement national
grec, l’Hétérie, attendait l’aide espérée de la part du Tsar. Une aide
militaire qui ne viendra jamais. Devant l’échec de l’Hétérie de racoler les
Russes à leur dessein, confronté à cette situation attentiste et brouillonne,
Tudor Vladimirescu décide de prendre l’affaire à son compte, et de s’éloigner du
mouvement grec. Or, cela s’avère fatal pour le commandant roumain, explique
Alin Ciupală : « En parallèle, au même moment, l’on assiste au
soulèvement grec dans l’Empire ottoman. Seulement, après avoir reçu, par voie
diplomatique, des garanties de non-intervention de la part du Tsar, les Turcs
n’hésiteront plus à réprimer militairement le mouvement grec de libération
nationale. Les Ottomans étaient surtout préoccupés par le soulèvement grec, et
on arrive à cette conclusion en constatant que les Ottomans ne se sont jamais
mesurés aux troupes de « panduri » dirigées par Tudor Vladimirescu.
C’est que leur objectif principal était de réprimer l’insurrection grecque. »
Pourtant, et en dépit de la fin tragique
de Tudor Vladimirescu, exécuté par les hommes de son ancien allié, Alexandre
Ypsilántis, en dépit de la répression sanglante de l’insurrection nationale
gréco-roumaine, le mouvement révolutionnaire de 1821 mettra fin à la présence de
princes phanariotes sur le trône des Principautés danubiennes, et donnera le
coup d’envoi au retour en force de l’aristocratie roumaine, mieux armée
dorénavant pour faire valoir l’intérêt national face à la Puissance suzeraine,
exercée par la Sublime Porte. (Trad. Ionuţ Jugureanu)