30 ans depuis la descente des mineurs sur Bucarest
La flambée de violence enregistrée les jours du 13 au 15 juin 1990, qui a culminé avec la descente des mineurs sur Bucarest et les agressions sauvages perpétrées par ces derniers contre la population, a projeté pour quelques jours la Roumanie dans les heures les plus sombres de la dictature communiste, quelques mois seulement après le renversement officiel de cette dernière. Cas décole dune société tout juste sortie de la nuit du totalitarisme, mais toujours en proie à ses démons, la descente des mineurs sur Bucarest, le matin du 14 juin 1990, marquait un tournant. Venus en aide au Front du Salut national pour la 3e fois déjà, larrivée des mineurs à Bucarest donna le coup denvoi dune sarabande de haine et dintolérance, censée étouffer le pluralisme démocratique encore balbutiant. La nervosité du pouvoir, confisqué par le Front du Salut national, héritier en ligne droite du parti communiste, se trouvait à son comble devant les protestations marathon, organisées par lopposition et la société civile, par les étudiants surtout, à partir du mois davril 90. Les élections du 20 mai 1990, remportées haut la main par le Front après une campagne émaillée dincidents, ne semblaient pas avoir découragé le mouvement de protestation. Le 13 juin, au petit matin, la police intervient alors en force, pour déloger ceux qui sentêtent à réclamer linstauration dune véritable démocratie dans le pays. Cest le début dune journée daccrochages violents entre police et manifestants, soldés par 6 morts et 750 blessés, selon le décompte officiel.
Steliu Lambru, 22.06.2020, 14:31
La flambée de violence enregistrée les jours du 13 au 15 juin 1990, qui a culminé avec la descente des mineurs sur Bucarest et les agressions sauvages perpétrées par ces derniers contre la population, a projeté pour quelques jours la Roumanie dans les heures les plus sombres de la dictature communiste, quelques mois seulement après le renversement officiel de cette dernière. Cas décole dune société tout juste sortie de la nuit du totalitarisme, mais toujours en proie à ses démons, la descente des mineurs sur Bucarest, le matin du 14 juin 1990, marquait un tournant. Venus en aide au Front du Salut national pour la 3e fois déjà, larrivée des mineurs à Bucarest donna le coup denvoi dune sarabande de haine et dintolérance, censée étouffer le pluralisme démocratique encore balbutiant. La nervosité du pouvoir, confisqué par le Front du Salut national, héritier en ligne droite du parti communiste, se trouvait à son comble devant les protestations marathon, organisées par lopposition et la société civile, par les étudiants surtout, à partir du mois davril 90. Les élections du 20 mai 1990, remportées haut la main par le Front après une campagne émaillée dincidents, ne semblaient pas avoir découragé le mouvement de protestation. Le 13 juin, au petit matin, la police intervient alors en force, pour déloger ceux qui sentêtent à réclamer linstauration dune véritable démocratie dans le pays. Cest le début dune journée daccrochages violents entre police et manifestants, soldés par 6 morts et 750 blessés, selon le décompte officiel.
Lhistorien Cristian Vasile sattache à cerner le particularisme de ces violences dun caractère inouï, qui débutèrent alors : « Certains historiens montrent du doigt le contexte de lépoque. Cela se passait quelques mois seulement après la chute du communisme et du régime de Ceausescu. Les événements du 13/15 juin sont perçus comme la dernière répression à caractère communiste qui a eu lieu en Roumanie. Et je crois quils ont raison de la classer ainsi, parce que les caractéristiques de la répression exercée par le pouvoir à lencontre de la population civile revêt une bonne partie des caractéristiques de la répression dont lon avait déjà été témoin au début du régime communiste, après loccupation de la Roumanie par lArmée rouge, à partir de 1944. Cela sexplique par une sorte de continuité au sein de lappareil politique et militaire, en termes de personnes et de pratiques. Instiguer certaines catégories de gens contre dautres, cela fait partie de larsenal communiste. Et cest cette tactique qui a été employée au mois de juin 1990. »
Dautre part, daucuns ont mis les événements tragiques de juin 1990 sur le compte de la faiblesse de lEtat dalors, et de ses forces de lordre. Cristian Vasile : « Cest une lecture des choses à laquelle je suis enclin dadhérer dans une certaine mesure. Celle selon laquelle les forces de lordre étaient trop faibles pour être capables de mettre un terme au désordre engendré par les manifs marathon. Mais si lon regarde les événements de plus près, surtout les évènements du 13 juin, car cest à partir de là que les choses se sont fortement dégradées, nous constatons en effet la faiblesse des forces de lordre, mais lon constate aussi que dautres acteurs font leur apparition. Il existe des enregistrements dont la véridicité ne fait aucun doute, par exemple les ordres radio de ladjoint au ministre de lIntérieur, le général Diamandescu, qui dit à son interlocuteur, je cite le général: « Il faut mettre le feu aux bus, comme lon était convenu ». Que peut-on y comprendre, sinon quil y avait des agents provocateurs glissés parmi les manifestants, et commandés par le pouvoir. Il y a aussi des témoignages concordants qui racontent que lorigine de lincendie qui a embrasé les locaux de lInspection générale de la police de Bucarest na pas été le fait des manifestants, mais que le feu partit depuis lintérieur des locaux de police. Et puis, élément tout aussi étrange, cest le retrait sans combat des centaines de policiers que lon voit abandonner ledit siège, sans le défendre, tout comme le bâtiment du ministère de lIntérieur. »
Le désir de lhomme fort du moment, le président Ion Iliescu, de consolider son pouvoir en manipulant les masses, est généralement considéré comme la cause principale des événements. Cristian Vasile : « Les fauteurs de troubles qui se trouvaient encore dans la zone du centre-ville, près de la place de lUniversité et de lavenue de la Victoire, dans la soirée du 13, ont été retenus pendant la nuit par les forces de lordre. Ces dernières maîtrisaient alors entièrement la situation. Larrivée des mineurs à laube du 14 juin était tardive et inutile. Ils sont accueillis par le président Ion Iliescu en personne qui, au lieu dessayer daplanir les tensions, au lieu de leur expliquer que larmée et la police maîtrisaient la situation, il les invite à se rendre place de lUniversité et à loccuper. Cela servait à quoi ? Cétait superflu et dangereux. Mais, en les incitant dès leur arrivée à Bucarest, à la descente des trains, en leur donnant carte blanche, le président Iliescu les incite à commettre les violences qui suivront et qui ont émaillé les journées du 14 et du 15 juin. Il sagit dune instigation aux troubles et à la violence, sanctionnée par des articles du code pénal. »
Cristian Vasile pense, en effet, que la descente des mineurs du mois de juin 90 a de fait représenté le dernier sursaut de la bête communiste : « Lon peut se poser légitimement la question pourquoi le pouvoir avait jeté son dévolu sur les mineurs pour commettre la sale besogne. Le pouvoir avait déjà essayé de manipuler les ouvriers de la capitale, pour les tourner contre les manifestants démocrates. Ils avaient encore retenté le coup pendant les journées du 13 et du 14 juin. Mais les syndicats sy opposent. Ils avaient vu juste, car il sagissait dun combat politique. Or, il semblerait que les mineurs avaient été plus vulnérables à la manipulation du régime. Ion Iliescu sest par la suite défendu davoir fait appel nommément aux mineurs, prétendant sêtre adressé aux forces sociales vives au sens large. Mais, même ainsi, il sagit dune circonstance aggravante. Il avait été élu président, il avait un tout autre rôle à remplir. Et toute la tragédie réside dans cette fêlure qui a durablement séparé les deux pans de la société roumaine, de la société bucarestoise même. Car il y a eu même des bucarestois qui ont manifesté leur joie devant le spectacle de la barbarie déchaînée. Et puis les mineurs, auteurs de cette barbarie, en prenant en chasse tous ceux qui ressemblaient, de près ou de loin, à limage quils se faisaient des opposants : les jeunes, les étudiants, les hommes barbus, les femmes en mini jupes. Cela rappelle la chasse aux sorcières lancée par Ceausescu contre les rockeurs dans les années 70. »
La Roumanie a payé un lourd prix pour ces violences et les exactions commises par les mineurs descendus sur Bucarest. Elle sest très vite retrouvée isolée sur le plan international, avec laccord gelé quelle venait de conclure avec le FMI, et dans une quasi impossibilité daccéder aux marchés financiers internationaux. Par ailleurs, ladhésion du pays au Conseil de lEurope ne fut acté quen 1993, bien après les autres pays de la région, et qui avaient fait partie de lancien espace soviétique. (Trad. Ionuţ Jugureanu)