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Du panthéon de l’entrepreneuriat roumain : Dumitru Mociorniță

A compter de 1878, une fois l’indépendance acquise, l’économie
roumaine prend son véritable essor. Les crédits externes contribuent largement
à la création du système bancaire et des établissements nationaux du crédit,
censés transformer en réalité les initiatives des entrepreneurs autochtones. L’industrie
roumaine naissante peut même se targuer d’avoir largement bénéficié d’un accès
préférentiel aux crédits, grâce notamment aux marges bénéficiaires qu’elle
s’avère capable d’engranger très vite. Une nouvelle catégorie sociale verra
ainsi le jour. Il s’agit de la classe de l’entrepreneur roumain, des personnes
généralement courageuses et capables, qui feront vivre l’industrie roumaine.
Parmi eux, quelques noms sortent du lot. Max Auschnitt, Ion Gigurtu, Nicolae
Malaxa, Aristide Blank, mais aussi, sans aucun doute, Dumitru Mociorniță, l’un
des industriels roumains les plus talentueux du début du 20e
siècle.

Du panthéon de l’entrepreneuriat roumain : Dumitru Mociorniță
Du panthéon de l’entrepreneuriat roumain : Dumitru Mociorniță

, 24.08.2020, 14:30

A compter de 1878, une fois l’indépendance acquise, l’économie
roumaine prend son véritable essor. Les crédits externes contribuent largement
à la création du système bancaire et des établissements nationaux du crédit,
censés transformer en réalité les initiatives des entrepreneurs autochtones. L’industrie
roumaine naissante peut même se targuer d’avoir largement bénéficié d’un accès
préférentiel aux crédits, grâce notamment aux marges bénéficiaires qu’elle
s’avère capable d’engranger très vite. Une nouvelle catégorie sociale verra
ainsi le jour. Il s’agit de la classe de l’entrepreneur roumain, des personnes
généralement courageuses et capables, qui feront vivre l’industrie roumaine.
Parmi eux, quelques noms sortent du lot. Max Auschnitt, Ion Gigurtu, Nicolae
Malaxa, Aristide Blank, mais aussi, sans aucun doute, Dumitru Mociorniță, l’un
des industriels roumains les plus talentueux du début du 20e
siècle.


Né en
1885, dans une famille modeste, Mociorniță est l’exemple même de l’autodidacte,
pour lequel la recette du succès ne réside pas dans l’origine sociale, mais
dans ses aptitudes natives, dans l’éducation acquise au fil des ans, et dans
l’appui des comparses influents. En 1997, le Centre d’histoire orale de la
Radiodiffusion roumaine enregistrait la voix de Ionel Mociorniță, le fils de
Dumitru Mociorniță, qui détaillait les conditions qui ont conduit au succès de
son père : « Mon père, Dumitru Mociorniță, était fils de paysan pauvre,
originaire du village de Ţintea du département de Prahova. Il a quitté la
maison familiale, et le pays, dès la fin de ses études primaires, et n’est
rentré qu’après avoir achevé à succès les Hautes Etudes Commerciales de Paris,
premier de sa promotion de 400 étudiants. Il rentre pour revoir sa famille, et
c’est à cette occasion qu’il rencontre ma mère, fille de l’industriel Grigore Alexandrescu,
fondateur de l’industrie roumaine de la maroquinerie et de la chaussure. Mon
grand-père avait fondé une petite fabrique en 1862. Et c’est ainsi que mes
parents ont uni leurs destins. Mon père a d’abord collaboré avec son beau-père,
jusqu’en 1923, puis il s’est lancé à son compte. Il obtient un prêt de la Banque
générale de Roumanie, puis, aidé par Vintilă Brătianu, futur président du Parti
national libéral, et par son beau-père, Gargaran, il achète deux hectares de
terrain, situés près de Bucarest, et il fonde sa propre entreprise de
maroquinerie, qui va développer plusieurs filières au fil des ans, dont
notamment la chaussure, la sellerie, les articles de voyage et ainsi de
suite. »


En effet, en 1923, Dumitru
Mociorniță fonde sur un terrain vague, à la périphérie de Bucarest, la fabrique
qui portera son nom. Il achète en crédit-bail des machines, ramenées depuis
l’Allemagne et l’Angleterre. Très vite, il deviendra le plus important
fabricant de chaussures de Roumanie de l’entre-deux-guerres. Et il prépare ses
fils pour prendre les rênes de sa société, demeurée toujours une affaire de
famille, malgré son essor rapide. Ionel Mociorniță : « Notre formation, la mienne et celle de mon frère, avait débuté
lorsque nous avions atteint l’âge de 11 ans. L’on rentrait de l’école à 14h00,
on faisait nos devoirs, et puis nous devions apprendre le métier. Mon père estimait
que nous ne pouvions pas diriger une entreprise à moins d’en connaître les
moindres rouages. Et je crois qu’il avait raison. Ainsi, nous n’avons pas eu
une vraie enfance, et encore moins une enfance dorée. Pendant les grandes
vacances, au lieu d’aller en villégiature à la montagne, à Predeal, ou au bord
de la mer Noire, à Eforie par exemple, deux endroits où la famille avait des maisons
de vacances, il nous envoyait en stage, dans des ateliers de tanneurs ou des
fabriques de maroquinerie à l’étranger. C’est ainsi que je suis arrivé à
travailler à Fribourg, à Grenoble et ailleurs. J’avais tout appris sur le tas.
On a même passé l’examen pour devenir compagnons du métier devant les
syndicats. »


La
qualité des produits de la marque Mociorniță faisait l’unanimité de la clientèle.
En 1945 cependant, l’occupation soviétique et l’arrivée des communistes au
pouvoir allaient sonner le glas de cette belle aventure industrielle familiale.
Le 11 juin 1948, la fabrique de Dumitru Mociorniţă allait être nationalisée. Depuis
des années déjà, son patron se faisait d’ailleurs traiter de fasciste, et la
presse communiste l’accusait de soutenir le mouvement légionnaire, d’extrême
droite. Ionel Mociorniță évoque cette période sombre, et tient à défendre
l’image de son père : « Mon père avait été libéral, puis il a cessé de faire de la
politique, alors même que I. G. Duca et Gheorghe Tătărescu, deux anciens
premiers-ministres libéraux, lui avaient proposé de rejoindre leurs cabinets
respectifs. En 1938, il se retrouve néanmoins sur la liste des sénateurs nommés
par le roi Carol II, au moment où ce dernier avait instauré sa dictature
personnelle. Mon père ne pouvait pas se dédouaner, mais il nous avait défendu
de parler du roi à la maison. D’un autre côté, il est vrai qu’il était admiré par
les légionnaires. Leur leader, Corneliu Codreanu, donnait mon père en exemple
dans ses discours. Mais mon père n’a jamais rencontré Codreanu en personne, il
ne lui avait jamais parlé. Lorsque les fascistes roumains ont pris le pouvoir,
le général Antonescu et ses alliés légionnaires, un ingénieur, originaire de
Sibiu, était descendu dans son entreprise, et il dit à mon père :
« Monsieur Mociorniță, je viens d’être envoyé par le mouvement légionnaire
pour procéder à la roumanisation de l’usine ». C’était pour confisquer les
avoirs des Juifs et pour les mettre à la porte. A cela, mon père, devant les 40
personnes qui étaient présentes à cette scène, a pris le gars par les épaules,
et lui a montré la porte. Ce fut cela, sa connivence avec les
légionnaires. »


A l’arrivée des communistes, Dumitru
Mociorniță se refuse à quitter le pays. Ses biens seront nationalisés, deux de ses
deux fils feront de la prison politique. Lui-même, gravement malade, s’éteint
en 1953, à 68 ans. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

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