Primăverii, le quartier des élites
Le quartier Primăverii (du Printemps, en français), le plus beau quartier de la capitale roumaine, situé dans la partie nord de Bucarest, est bien connu pour être depuis toujours une zone très convoitée par les élites, bourgeoises d’abord, communistes ensuite, enfin par les nouveaux riches après 1990. Pendant l’époque communiste, le quartier, qui a pour nom officiel celui du principal boulevard qui le traverse, avait pris le surnom du quartier de la nomenklatura. Et, en effet, c’est là que résidaient la plupart des lourds du régime, à commencer par la famille de l’ancien président Nicolae Ceausescu et jusqu’aux chefs de la Securitate, la fameuse police politique du régime communiste roumain.
Steliu Lambru, 18.11.2019, 14:28
Le quartier Primăverii (du Printemps, en français), le plus beau quartier de la capitale roumaine, situé dans la partie nord de Bucarest, est bien connu pour être depuis toujours une zone très convoitée par les élites, bourgeoises d’abord, communistes ensuite, enfin par les nouveaux riches après 1990. Pendant l’époque communiste, le quartier, qui a pour nom officiel celui du principal boulevard qui le traverse, avait pris le surnom du quartier de la nomenklatura. Et, en effet, c’est là que résidaient la plupart des lourds du régime, à commencer par la famille de l’ancien président Nicolae Ceausescu et jusqu’aux chefs de la Securitate, la fameuse police politique du régime communiste roumain.
Le quartier, dessiné au début du 20e siècle, avait été connu comme le lotissement Bonaparte, car censé être érigé au bout de la chaussée Bonaparte, ou encore sous le nom du lotissement Ferdinand Ier, en souvenir de l’ancien souverain, celui qui dirigea la Roumanie durant la Première Guerre mondiale.
L’historienne Oana Marinache précise : « L’histoire de la zone commence avec deux Belges, deux messieurs, membres du Conseil d’administration de la Société des tramways de Bucarest. Ils reprennent le modèle lancé par Alexandru Filipescu, héritier d’une longue lignée de boyards, qui avait décidé de faire des lotissements sur ses terres agricoles situées autour de Bucarest, pour en construire un quartier d’habitations. Ils suivent donc ce modèle, mais à une échelle plus importante encore, en 1913. D’où le nom du lotissement Bonaparte, car prolongeant la chaussée Bonaparte, l’actuel boulevard Iancu de Hunedoara. Les deux disposaient des fonds nécessaires pour mener à bien leur dessein, mais les temps étaient peu propices à ce genre d’investissements. La Grande guerre commence peu après, ce qui met un coup d’arrêt net au projet. Mais, selon les informations dont l’on dispose, certains travaux d’aménagement avaient d’ores et déjà débuté. Après la fin de la guerre, ce n’est qu’en 1921 que le projet est relancé, alors que le lotissement avait été racheté entre temps par la Société des ingénieurs associés. En 1925, l’infrastructure urbaine dont le quartier sera doté est déjà là. »
Dans la période de l’entre-deux-guerres, la zone est en plein essor. L’architecture du style néo-roumain, inspirée de la tradition byzantine et d’une architecture locale, se taille la part du lion. Mais, à côté, l’on retrouve un style éclectique méditerranéen, une architecture de style mauresque ou florentin. Si l’on se fie aux clichés réalisés à l’époque par le célèbre photographe Willy Prager, la construction de la plupart des maisons de ce nouveau quartier était déjà achevée dans les années 40. Le quartier se retrouvait au milieu d’une zone de plaisance de la capitale, où les bucarestois avaient pris l’habitude de sortir en fin de semaine, pour pique-niquer. Des témoignages font même état de l’existence d’une source thermale dans la zone. Les zones environnantes, tels les quartiers de Dorobanti et de Pangratti, connaissent un essor semblable à celui que connaît à cette époque le quartier Primăverii. Plus tard, ce seront les zones de choix pour l’installation des ambassades étrangères et du siège de la télévision publique.
Après 1945, avec la fin de la guerre et l’instauration progressive du régime communiste, la composition sociologique des habitants du quartier change. Historien et critique d’art, Cosmin Năsui décrit à quoi ressemblait le quartier à l’époque : « A l’époque du communisme, le quartier du Printemps suivait un modèle cohérent, mais avec ses particularités. D’abord, il n’y avait pas d’église, car, vous savez, les communistes pouvaient s’en dispenser. Puis, il n’y avait ni magasins, ni marchés, parce que la nomenklatura bénéficiait de ce privilège, de se fournir chez elle de tout ce dont elle avait besoin. Enfin, la vie sociale était réduite à sa plus simple expression. Il n’y avait ni bistrots, ni places publiques. Pour l’anecdote, nous savons la distance que devait parcourir le père de Nicolae Ceausescu pour trouver un bistrot, boire son absinthe. Le vieux devait passer dans le quartier voisin de Dorobanti pour pouvoir trouver un bar. Et grâce à ses habitudes bachiques, les ragots colportés dans les bars arrivaient jusqu’aux oreilles de son fils, le dernier dictateur communiste roumain ».
Après 1945, le quartier change totalement. La culture du secret et la suspicion prennent le dessus. Aux coins des rues, les guérites des policiers, qui installent des check points, font leur apparition.
Cosmin Năsui : « L’on dispose de peu d’images d’époque de cette zone. L’on retrouve tout de même des images de ce qu’était alors la place Staline, l’actuelle place Charles de Gaulle, avec, au milieu, la statue du généralissime, là d’où commence le quartier Primăverii. La place Staline est présente sur les clichés d’époque, car c’est de là que partaient les défilés militaires. Willy Prager est le photographe qui avait immortalisé l’apparence du quartier à ses débuts. Puis, plus rien. Si, tout de même, il existe des clichés enfouis dans un dossier spécial, dressé par la police politique, par la Securitate. Un dossier qui porte pour nom « Le Trajet », car il s’agit en fait d’une information rédigée par les agents de Nicolae Ceausescu, censés assurer la sécurité de ses déplacements depuis et vers son domicile. Mais ces photos sont assez banales, elles suivent le trajet que prenait la voiture présidentielle. Pour l’instant, l’on n’a pas déniché d’autres images d’époque de ce quartier qui se trouvait sous haute surveillance. La plupart de maisons avaient été confisquées aux anciens propriétaires et se retrouvaient dans le fonds locatif destiné à la nomenklatura. Les hauts cadres du parti en bénéficiaient, chacun selon son rang et pour autant qu’il se maintienne dans les sphères raréfiées du pouvoir. L’on a pu par la suite analyser le mix sociologique que formaient les habitants du quartier fin 1989, au moment de la chute du régime communiste. Les dignitaires retraités étaient nombreux. Certains s’étaient installés à compter de 1944, et ils y logeaient toujours ».
Dès 1989, le quartier fait peau neuve. Les nouveaux riches de la période de transition côtoyant dorénavant une ancienne nomenklatura vieillissante. Des sociétés nouvellement implantées y installent leurs quartiers généraux, alors qu’un bout des jardins de l’ancien palais du couple Ceausescu laissera la place à une résidence d’ambassade. (Trad. Ionut Jugureanu)