La culture yiddish en Roumanie
Steliu Lambru, 12.08.2019, 13:56
La langue et la culture yiddish couvrent une région vaste qui sétend dans toute lEurope centrale et de lEst, depuis la mer Baltique et jusquau Danube, ce grand fleuve européen étant considéré comme étant la frontière sud de linfluence de la culture yiddish. Le yiddish constitue la langue et la culture des Juifs dEurope centrale et de lEst, des Juifs originaires de lancien empire des Habsbourg et de lancienne Russie des tsars, depuis les pays baltes et jusquaux pays roumains. Aujourdhui, les locuteurs de yiddish ont presque disparu du territoire de la Roumanie actuelle, conséquence des vagues massives démigration, déclenchées surtout à compter de 1950, lorsque la région est tombée sous occupation soviétique. Selon le recensement de 1930, la Roumanie comptait pas moins de 800 mille Juifs, et dont la moitié utilisait couramment le yiddish.
Létude de la langue yiddish a débuté vers la fin du 18-e siècle, effort des élites juives qui vivaient dans lespace allemand. Comme on pouvait sy attendre, le yiddish était le résultat dinfluences multiples, pratiquement au carrefour de toutes les cultures européennes où les Juifs sétaient installés. Culture à la fois nationale et transnationale, spécifique au peuple juif, mais sinspirant des cultures voisines. La liste de ceux qui ont œuvré pour lavènement de la culture yiddish en Roumanie est impressionnante. Rappelons juste le nom de lécrivain Cholem Aleikhem ou celui du poète et du romancier Itzak Mangher, dont la date de naissance, le 30 mai, marque lanniversaire de la Journée internationale de la culture et de la langue yiddish. Camelia Crăciun, professeure de lUniversité de Bucarest, spécialisée dans létude de la culture juive, nous parle du monde fascinant de la langue et de la culture yiddish: « Le yiddish est tout dabord la langue de la communauté ashkénaze, cest-à-dire de la communauté juive dEurope de lEst. Une langue qui a été parlée pendant près dun millénaire dans tout lespace de lEurope de lEst, depuis la mer Baltique et jusquau Danube. Au sud du Danube on rencontrait la culture ladino, celle des Juifs séfarades. Les Juifs de Roumanie ont utilisé le yiddish jusquau vingtième siècle, cette langue apparentée à lallemand, mais une langue distincte, qui utilisait les caractères hébreux, et dont la composante germanique est très marquée. Mais elle souffre aussi des influences concurrentes : du polonais, du russe, de lukrainien et, bien évidemment, de laraméen et de lhébreu de la Bible. Il sagit dune langue très vivante, très mobile, qui adapte et intègre, doù une langue dune diversité étonnante. »
Le yiddish a donné naissance en Roumanie à une culture très vivante. Il y avait des écoles où lenseignement était donné en yiddish, il y avait du théâtre en yiddish, de la presse, des manifestes politiques, ce qui donne toute la dimension de cette langue, précise Camelia Crăciun : « Lune des directions de prédilection de mes recherches, cest lhistoire du théâtre en langue yiddish, une culture théâtrale qui trouve ses origines dans lespace roumain. En 1876, cest de la ville de Iasi, en Moldavie, quest parti ce phénomène culturel qui na pas tardé à traverser locéan pour se retrouver aux Etats-Unis. Abraham Goldfaden, Juif sorigine russe, arrivé à Iasi juste avant la guerre de lindépendance roumaine contre les Ottomans, en est le fondateur. Ensuite, il y a eu aussi Itzak Mangher, avec son célèbre roman « Le livre de lElysée », destiné, mais juste en apparence, aux enfants, et dont lécriture en clé ludique en faisait un roman universel. Noublions pas non plus le fabuliste Eliezer Steinberg, le poète Jacob Groper, le metteur en scène Jacob Sternberg, cheville ouvrière du théâtre yiddish mais aussi du théâtre roumain naissant. Il ny a pas trop de femmes en revanche. Nina Cassian, la grande poète des années 50-70, a traduit du yiddish en roumain, mais ses créations à elle sont en langue roumaine. »
La presse a eu un rôle de courroie de transmission et de caisse de résonance de la culture en langue yiddish, lui permettant de toucher son public, aussi bien à lintérieur des frontières du pays quà létranger, raconte encore Camelia Crăciun : « Peu de chercheurs se sont penchés sur la presse en yiddish, alors que cette presse sadressait à un public énorme, surtout fin 19e, début 20e. Dans la ville de Iasi, où la moitié de la population était dorigine juive, et dont la grande majorité parlait le yiddish, lon a vu apparaître un véritable centre de la presse en langue yiddish. Les premières publications paraissent dans les années 1850. Une presse très dynamique, avec de nouveaux titres qui paraissent, mais ne durent pas longtemps, reflétant en cela les réalités sociales, politiques et culturelles du moment. Entre les deux guerres mondiales et, surtout, après la Shoah, la presse en langue yiddish perdait de sa superbe. Pourtant, dans les années 50, la Radio roumaine avait des émissions en langue yiddish, et jusquà récemment des publications en yiddish pouvaient être trouvées dans les kiosques à journaux, telle la revue « La réalité juive », éditée par la Fédération de la communauté juive de Roumanie, qui se faisait un titre de gloire de maintenir une page en langue yiddish. »
A lheure actuelle pourtant, la culture et la langue yiddish sont, toutes les deux, en voie dextinction. Son héritage culturel riche, la vitalité de la langue yiddish demeurent néanmoins une source réelle dinspiration. (Trad.: Ionuţ Jugureanu)