La reconstruction de la Roumanie après la Seconde guerre mondiale
Outre les dégâts matériels, les traumas subis par les rescapés, qui ont vu parfois mourir leurs proches, demeurent des blessures qui ne s’effacent pas de sitôt. Heureusement, les survivants se mobilisent pour effacer les traces visibles laissées par le conflit armé, puis les nouvelles générations font leur entrée dans la vie active, dans la vie tout court et, petit à petit, les souvenirs de la guerre s’éloignent, pour enfin disparaître complètement. Mais les traumas sont encore plus difficilement effaçables lorsque la société, déjà blessée par la guerre, est, en plus, boiteuse, du fait des arrangements post conflit. Les régimes communistes, instaurés par l’Armée rouge dans l’ensemble des pays de l’Europe Centrale et de l’Est à l’issue de la deuxième conflagration mondiale, ont usé de la violence d’Etat contre des couches entières des populations concernées.
Steliu Lambru, 13.08.2018, 14:25
Outre les dégâts matériels, les traumas subis par les rescapés, qui ont vu parfois mourir leurs proches, demeurent des blessures qui ne s’effacent pas de sitôt. Heureusement, les survivants se mobilisent pour effacer les traces visibles laissées par le conflit armé, puis les nouvelles générations font leur entrée dans la vie active, dans la vie tout court et, petit à petit, les souvenirs de la guerre s’éloignent, pour enfin disparaître complètement. Mais les traumas sont encore plus difficilement effaçables lorsque la société, déjà blessée par la guerre, est, en plus, boiteuse, du fait des arrangements post conflit. Les régimes communistes, instaurés par l’Armée rouge dans l’ensemble des pays de l’Europe Centrale et de l’Est à l’issue de la deuxième conflagration mondiale, ont usé de la violence d’Etat contre des couches entières des populations concernées.
Au milieu des années 1940, le gouvernement communiste roumain, fraîchement instauré sous ordre de Moscou, semblait largement dépassé par la tâche ardue de la reconstruction. Des hommes politiques sans expérience administrative, mais d’autant plus obéissants aux ordres de l’Union Soviétique, ont pris la direction du pays. Les denrées alimentaires se faisaient encore plus rares qu’en temps de guerre, en hiver le chauffage des habitations des particuliers s’avérait un véritable défi, de même que la mobilité urbaine. Ștefan Bârlea, à l’époque jeune lycéen, était voué à une brillante carrière au sein des structures du parti. Interviewé en 2002 par le Centre d’histoire orale de la Radio roumaine, il se souvient des difficultés auxquelles les bucarestois, à l’instar des habitants des autres villes du pays, étaient confrontés à l’époque : « En 1945 déjà, pire encore en 46, la situation devenait grave en matière d’approvisionnement. Les transports, les combustibles, la vie quotidienne, c’était la catastrophe. En 1946, l’activité économique redémarrait timidement, sur des bases encore capitalistes, privées donc. De l’Etat, n’en parlons pas. Bon, évidemment, une bonne partie des soldats et la population, qui avait fui Bucarest à cause des bombardements en 44, étaient rentrés, les écoles avaient rouvert, mais le plus difficile c’était le transport. C’était inimaginable, je n’ai pas de mots pour vous faire comprendre ce qu’était le quotidien de ces années-là. »
L’état du transport public bucarestois montrait une face désolante, provocant de véritables tragédies. Ștefan Bârlea s’en souvient : « Pour monter dans les trams, les gens s’accrochaient aux portes, montaient sur les tampons. En 1945, les réfugiés, ceux qui avaient fui Bucarest, revenaient. L’hiver est arrivé tôt cette année-là. Pour monter dans un tram, on patientait jusqu’à une demi-heure, parfois plus. J’habitais le quartier de Ghencea, et je devais aller au lycée Lazar, au centre-ville. Beaucoup d’enfants du quartier suivaient le même trajet. Je devais me réveiller une heure ou deux à l’avance pour essayer d’attraper un tram. Le tramway passait juste sous nos fenêtres, à deux arrêts de chez nous c’était le terminus. J’allais là pour pouvoir y monter. Il était déjà bondé. Deux arrêts plus loin, il n’y avait plus de place que sur les tendeurs, éventuellement. Les tendeurs étaient recouverts d’une sorte de tôle, et c’est là que les gens s’asseyaient. Il n’était pas rare que des accidents mortels arrivent. C’était le gros problème à ce moment-là : comment se rendre à son travail, comment aller à l’école et ainsi de suite. En été, on allait à pied et l’on rentrait de la même façon. »
L’approvisionnement en denrées alimentaires était l’autre gros problème. Les rations ont constitué la parade trouvée par les autorités. Une solution, forcément, hautement insatisfaisante. Ștefan Bârlea encore : « Quant à l’approvisionnement avec les denrées de base, – pain ou viande- c’était terrible. Ces produits étaient rationalisés, mais les rations n’étaient pas assurées. Même pour se procurer du pain il y avait des files d’attente immenses. Les gens se levaient à deux ou trois heures de la nuit pour faire la queue, espérant s’approvisionner un tant soit peu. Cela est revenu dans les années 1980, lors des dernières années du communisme, à l’époque de Ceausescu, lorsque l’on est revenu en arrière de quelques décennies ; on a pu revivre cette situation d’après la guerre du point de vue du niveau de vie. »
La reconstruction de la Roumanie des suites de la guerre n’a pas été facile. Sans doute, le gouvernement communiste roumain, installé le 6 mars 1945 et inféodé à Moscou, en est pour quelque chose. Peu capable de gérer la vaste entreprise de reconstruction, provoquant des remous sociaux et politiques aux conséquences économiques désastreuses, il a été prêt à payer au grand « Frère de l’Est » bien plus que les dédommagements de guerre prévus par les traités.