Radio Linz en langue roumaine
A l’issue de la guerre, les Roumains étaient internés par le gouvernorat militaire américain dans le camp de Linz en tant que prisonniers de guerre. C’est ainsi, à travers les ondes de Radio Linz, que les Roumains ont pu entretenir l’espoir dans les cœurs des prisonniers et caresser l’idée de pouvoir améliorer l’avenir de leur pays d’origine dans le monde qui se dessinait dans l’après-guerre. La communauté des Roumains d’Autriche n’était pas homogène. On trouvait des Roumains faits prisonniers par l’Armée allemande et ramenés en Autriche, des étudiants, des employés de différentes industries autrichiennes, d’anciens membres de la Garde de fer (le parti roumain d’extrême droite, et dont de nombreux membres ont dû s’exiler après janvier 1941, à l’issue d’un coup d’Etat échoué, fomenté contre le maréchal Antonescu, l’homme fort du régime).
Steliu Lambru, 16.04.2018, 15:01
Le prêtre orthodoxe Richard Grabovschi, ancien officier pendant la guerre, a été l’un des membres fondateurs du Comité national roumain. C’est l’un de ces témoins privilégiés de la première heure et qui, interviewé par l’Institut d’histoire orale de la Radio roumaine en 1998, apporte son éclairage sur ce moment méconnu de l’histoire des Roumains dans ces moments ambigus : « Dans le camp, nous étions 350, peut-être 370 prisonniers. On logeait dans une ancienne base militaire allemande désaffectée. Puis nous avons organisé ce comité, on l’a appelé Comité national roumain, et on a contacté les autorités américaines. Le problème était qu’aucun d’entre nous ne parlait l’anglais. Mais on a eu de la chance. C’est que lorsque nous sommes entrés dans le siège du Commandement militaire de l’Autriche supérieure, quelqu’un nous avait entendu parler en roumain, entre nous, dans le couloir. C’était un gars en uniforme américain, sans épaulettes. Il nous a demandé en roumain ce qu’on cherchait là, et nous lui avons répondu. Il nous a dit qu’il était interprète de langue roumaine, il était professeur d’allemand et vivait dans l’Ohio. Il s’appelait Gheorghe Leucă, il possédait un doctorat en langues germaniques et était employé en tant qu’interprète. Il nous a accompagnés dans le bureau du commandant, et on a pu ainsi lui présenter nos doléances. L’Américain nous a écoutés et nous a assuré qu’il allait aviser. »
Suite au mémoire présenté aux autorités américaines, les conditions des Roumains internés dans le camp se sont améliorées. Les membres du Comité ont rédigé un mémoire adressé aux autorités américaines demandant qu’ils ne soient plus considérés comme d’anciens ennemis, parce que, à compter du 23 août 1944, l’armée roumaine avait rejoint la coalition alliée. Et puis, suite à la démarche du Comité, les Roumains du camp de Linz ont été enregistrés, et dans leur grande majorité ils ont consenti à aider à déblayer les ruines qui étaient là suite aux bombardements, ils ont aidé à reconstruire les routes, les voies de communication, apporté leur aide dans l’agriculture et dans les usines qui fonctionnaient encore. Les autorités américaines nous ont même permis d’avoir une émission hebdomadaire à la radio locale, le jeudi matin, entre 10h30 et 11h00. Richard Grabovschi a été le présentateur de cette émission :« Le gouverneur américain avait choisi Radio Linz comme le meilleur moyen de communication entre les comités nationaux et leurs communautés respectives, de différentes nationalités, entre les gens de ces communautés qui se trouvaient à Linz à l’époque. Au début, nous disposions d’un quart d’heure d’émission, puis on a pu bénéficier d’une demi-heure. C’est nous qui choisissions qui allait parler à la radio. Quant on est jeune ou nouveau, on vous envoie partout. Alors, c’est moi qu’on avait envoyé parler sur les ondes. D’habitude on passait une ou deux mélodies de musique roumaine, à plusieurs reprises on avait repris l’hymne national, l’hymne royal, et puis on passait de la musique de fête, des mélodies de chanteuses connues : Maria Tănase, Ioana Radu, Mia Braia. Puis on lisait les communiqués ou certaines annonces du genre : « Ion Popescu qui se trouve à tel endroit voudrait avoir des nouvelles de sa cousine ou de sa sœur qu’il croit trouver en tant que réfugiée en Autriche dans telle région ou en Allemagne. Celui ou celle qui la connaît est prié de bien vouloir lui faire passer le message ou se faire connaître auprès du Comité national roumain», et je donnais notre adresse. Parfois on allait à la campagne pour enregistrer. Mais tout ce qu’on allait dire sur les ondes était vérifié au préalable. Il nous fallait écrire tout ce qu’on voulait dire à la radio et remettre les papiers trois jours à l’avance, avant la diffusion, pour qu’ils soient vérifiés. « L’annonce du début de l’émission était la suivante : « Chers auditeurs, ici Radio Linz d’Autriche supérieure. A l’antenne, le représentant du Comité national roumain, le sous-lieutenant Richard Grabovschi. »
Au fil du temps, Grabovschi a émigré aux Etats-Unis, là où un autre Comité national avait commencé à s’organiser : « J’ai obtenu le visa pour les Etats-Unis à l’automne 1951, et j’ai quitté l’Europe en 1952. J’ai débarqué à New York au début du mois de juin. Ce Comité dont je vous parle fonctionnait déjà. Je connaissais une publication qu’il éditait en Amérique, et qui s’appelait « Le Messager ». Puis, il y a avait la publication de l’archidiocèse, et puis une revue qui s’appelait « L’Amérique », l’officiel de l’Union des Sociétés fraternelles, ou encore une autre revue, « La Gazette du peuple », éditée par un certain Gheorghe Stănculescu. Aussi, de temps en temps, on recevait l’officiel « L’Union » édité par l’Eglise gréco-catholique, parce que cette église pouvait continuer d’exister aux Etats-Unis, alors que, en Roumanie, elle avait été supprimée en 1948 par les communistes, arrivés entre temps au pouvoir ».
La plupart des membres du Comité national roumain d’Autriche ont choisi d’émigrer et de ne plus rentrer dans leur pays occupé par l’Armée rouge. Mais Radio Linz est restée dans leurs mémoires tel un pont qui leur a permis de se retrouver, de refaire leurs vies brisées par la guerre, et de reprendre le cours de leur vie en liberté.