Centenaire de l’union de la Bessarabie avec la Roumanie
Une injustice historique, commise 106 ans auparavant, était ainsi réparée. Les 3 années de guerre en Russie, où la tension sociale était montée suite aux réformes échouées et à la modernisation incomplète du pays, avaient poussé la Bessarabie au bord de la catastrophe. Les révolutions successives de février-mars et d’octobre-novembre 1917, apportaient l’espoir d’un renouveau. Sur la toile de fond de ces remous sociaux, politiques et économiques, la carte politique de la Russie a changé. D’anciens Etats, comme la Pologne, y ont fait à nouveau leur apparition, d’autres ont affirmé leur nouvelle identité politique, alors que certains territoires ont intégré les Etats voisins. La Bessarabie a fait partie de cette dernière catégorie, ayant réintégré la Roumanie.
Steliu Lambru, 02.04.2018, 12:52
Cette union a été notamment l’œuvre des élites, indique l’historien Ioan Scurtu : « Une élite politique s’est constituée en Bessarabie principalement après 1900, surtout après la révolution russe de 1905, qui a été suivie par une certaine bienveillance envers la population de l’Empire, par l’introduction de certaines réformes et par un meilleur accès à la culture et à l’éducation – évidemment, pas en roumain. Les jeunes Moldaves pouvaient désormais aller étudier en Russie. Une élite s’est ainsi formée, qui a joué un rôle très important dans le développement de la conscience nationale des Roumains. De retour en Bessarabie, les jeunes intellectuels ont commencé à éditer des journaux et des revues, à publier des livres – diffusés illégalement. Un des militants de Bessarabie, Constantin Stere, qui a été déporté en Sibérie pour son activité nationaliste et qui, après avoir purgé sa peine, est venu en Roumanie, a promu l’idée d’envoyer des jeunes moldaves à l’Université de Iaşi, pour qu’ils se construisent une culture roumaine solide ».
Les grands changements politiques qui suivirent ne furent pourtant pas uniquement l’œuvre des intellectuels. Ils ont également été le résultat des efforts de certaines structures organisées et caractérisées par la discipline, comme, par exemple, l’armée.
Ioan Scurtu : « En 1917, lorsque la révolution éclatait en Russie, une élite intellectuelle bessarabienne était déjà formée, à laquelle se joignaient les militaires. C’était la guerre. La Russie était entrée dans la première guerre mondiale en juillet 1914 et les jeunes de Bessarabie avaient été eux aussi enrôlés dans l’armée russe. En 1917, la révolution éclatait à Saint Pétersbourg où un gouvernement provisoire, dirigé par le prince Lvov, prit deux mesures très importantes pour l’armée. Primo : on accordait aux soldats le droit de ne plus saluer leurs supérieurs. Pour une armée, structure fondée avant tout sur la hiérarchie et la discipline, c’était quelque chose de vraiment exceptionnel. Des comités de soldats commencèrent à être créés, qui procédèrent à l’élection de commandants de leurs rangs, en dégradant les généraux et les colonels, ce qui a profondément déstabilisé les troupes. Secundo : les militaires de l’armée russe avaient le droit de s’organiser suivant des critères ethniques. C’était l’hiver et il n’y avait pas d’hostilités militaires en cours. Alors un mouvement naquit au sein de l’armée russe : les militaires de différentes nationalités quittaient les unités où ils étaient intégrés, pour constituer leurs propres unités. Les militaires moldaves en firent autant, devenant un facteur très dynamique, très actif, au sein du mouvement national, car le gouvernement provisoire social-démocrate avait affirmé reconnaître l’organisation autonome des territoires russes sur des critères nationaux. Des mouvements nationaux d’organisation territoriale selon des critères ethniques et autonomes sont nés un peu partout – en Finlande, dans les pays baltes, en Pologne et, bien sûr, en Bessarabie. »
Le 27 mars, le Conseil du Pays – soit le parlement de la Bessarabie – décidait, par vote ouvert – l’union de la Bessarabie avec la Roumanie. Sur les 135 députés présents, 86 ont voté en faveur de l’Union, 3 ont voté contre et 36 se sont abstenus. 13 députés s’étaient absentés. Il a été affirmé que la Roumanie aurait influencé le vote.
L’historien Scurtu commente cette hypothèse : « Ça c’est des légendes, car les documents montrent clairement l’état d’esprit qui régnait en Bessarabie. Le congrès militaire de juillet 1917 décida de la création d’un parlement appelé le Conseil du Pays. Le principal but des élections organisées à cet effet était l’autonomie de la Bessarabie et une future union avec la Roumanie. Ces élections se déroulèrent par professions : les élections des enseignants, des artisans, des prêtres, des étudiants, des militaires. L’autonomie et l’union figuraient dans leur programme. Quand le Conseil du pays s’est réunit le 21 novembre 1917, son objectif était déjà connu. Il était hors de question que quelqu’un achète un vote, surtout que la structure était assez complexe, il ne s’agissait pas de seulement quelques individus faciles à acheter. A noter aussi que les travaux du Conseil s’étaient déroulés dans une ambiance positive, de respect vis-à-vis des points de vue exprimés. On peut se poser des questions sur le nombre relativement élevé d’abstentions. Elles ne signifiaient pas une opposition à l’union, c’était le vote des minorités ethniques. Leurs représentants ont déclaré qu’ils avaient été envoyés au Conseil du pays pour voter l’autonomie et qu’une consultation sur l’union n’avait pas encore été organisée. »
Le 27 mars 1918, l’union de la Bessarabie avec le Royaume de Roumanie allait être la première d’une série d’événements similaires, qui allait culminer le 1er décembre 1918 avec la réintégration de la Transylvanie, marquant la naissance de la Grande Roumanie. (Trad. : Dominique)