L’Alliance Civique
Après 1989, la Roumanie ressentait fortement l’absence d’un forum des idées et des initiatives politiques. C’est ce qui explique l’apparition de de l’Alliance civique, en tant qu’organisation non gouvernementale et plate-forme de débat d’idées. Elle fut aussi le tremplin pour les futurs hommes politiques d’opposition qui allaient faire contrepoids à cette structure mammouth qu’était le Front du Salut national, successeur du Parti communiste. L’Alliance civique est née le 7 novembre 1990, grâce aux efforts des intellectuels qui faisaient partie de certaines organisations et associations, telles le Groupe pour le dialogue social, l’Association « 15 novembre » de Braşov, la Solidarité universitaire, la Société « Timişoara », la Société « Agora » de Iaşi, le Groupe indépendant pour la démocratie ou bien l’Association Pro Democraţia.
Steliu Lambru, 25.09.2017, 12:14
Après 1989, la Roumanie ressentait fortement l’absence d’un forum des idées et des initiatives politiques. C’est ce qui explique l’apparition de de l’Alliance civique, en tant qu’organisation non gouvernementale et plate-forme de débat d’idées. Elle fut aussi le tremplin pour les futurs hommes politiques d’opposition qui allaient faire contrepoids à cette structure mammouth qu’était le Front du Salut national, successeur du Parti communiste. L’Alliance civique est née le 7 novembre 1990, grâce aux efforts des intellectuels qui faisaient partie de certaines organisations et associations, telles le Groupe pour le dialogue social, l’Association « 15 novembre » de Braşov, la Solidarité universitaire, la Société « Timişoara », la Société « Agora » de Iaşi, le Groupe indépendant pour la démocratie ou bien l’Association Pro Democraţia.
L’écrivaine Ana Blandiana, opposante au régime communiste et qui a joué un rôle de premier plan dans la création de l’Alliance civique, évoque la situation dans laquelle se trouvait le pays en ces temps-là: « Après la descente sur Bucarest des gueules noires de la Vallée du Jiu, en juin 1990, plus précisément pendant que les étudiants étaient arrêtés, on s’est dit qu’il était grand temps de faire quelque chose. Au moins fallait-il essayer, même si l’on n’aboutissait à rien. J’ai donc passé une annonce dans le journal România liberă, « La Roumanie libre », tiré à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, à cette époque-là. C’est tout à fait injuste de ne parler presque plus, de nos jours, de ce journal et de son directeur, Bacanu. Sans eux, il n’y aurait eu aucune opposition en Roumanie. România liberă était un véritable chez soi. Il suffisait de publier une annonce à la Une du journal, du type « jeudi, 16h, place de l’Université », pour que des centaines de milliers de personnes s’y rassemblent. Ensuite, on marchait en direction de la Place de la Victoire. Il y avait tellement de monde qu’une fois là, on constatait que la Place de l’Université n’avait toujours pas désempli. Et en rebroussant chemin, on croisait les gens qui n’étaient pas encore arrivés Place de la Victoire. Tout cela était donc possible grâce à une simple annonce, car, à cette époque-là il n’y avait pas Facebook. Pour en revenir à mon annonce dans les pages de România liberă, il faut dire que plusieurs centaines de personnes ont répondu à mon appel. Je leur ai demandé de s’habiller en blanc et d’apporter une fleur, symbole de la non-violence ».
L’Alliance civique a également assumé le rôle de remémorer le passé communiste et la résistance, par le biais du projet du Mémorial des victimes de la prison de Sighet.
Ana Blandiana : « Au nom de l’Alliance civique, je me suis rendue à Strasbourg, où j’ai proposé la création du premier mémorial du communisme au monde. Cela se passait en 1993. Auparavant, j’avais participé à une conférence à Cracovie et visité Auschwitz. A Strasbourg, je devais tenir une autre conférence devant l’Assemblée parlementaire. Après la conférence, j’ai été invitée à un dîner. J’allais apprendre plus tard que le fait d’avoir été placée à table près de la secrétaire du Conseil de l’Europe, Catherine Lalumière, n’avait pas été le fruit du hasard. Dans un billet envoyé la veille, le directeur pour les Droits de l’Homme, le professeur Enver, m’écrivait que ce serait un grand plaisir pour son épouse, Sanda Ciorănescu, et pour lui-même, de se voir. L’idée du Mémorial est donc née pendant ma conversation avec Catherine Lalumière. Une conversation rendue possible par le professeur Enver, qui avait pensé aussi au placement des convives autour de la table ».
C’étaient les années où l’Europe unie tentait de se retrouver, où tous les gens s’efforçaient d’exorciser les traumatismes causés par le totalitarisme, précise Ana Blandiana : « Mon mari et moi, nous n’avions jamais parlé du Mémorial. L’idée est née pendant la conversation que j’évoquais tout à l’heure. Le Conseil de l’Europe venait de décider de la création d’un centre international de recherches sur le fascisme. Pendant ce dîner-là, j’ai donc demandé aux autres invités si ce n’était pas pour le moins tout aussi utile de créer un centre international de recherches sur le communisme, dont les gens ne savaient pas grand-chose. Et au moment où la conversation s’arrêta sur l’union nécessaire entre l’Est et l’Ouest de l’Europe, j’ai affirmé que cette union ne devait pas concerner que les politiques publiques et les économies, mais aussi nos obsessions, que nous devions tout d’abord connaître».
Ana Blandiana remémore les débuts maladroits du projet du Mémorial de Sighet, car s’il y avait bien des difficultés, les naïvetés ne manquaient pas non plus : « C’est à peine maintenant que je me rends compte du fait qu’au départ nous n’avions nullement pensé à l’argent nécessaire pour créer ce Mémorial. Nous croyions que ce seraient eux qui s’en chargeraient. Pourtant, dans les brochures que nous avons reçues ultérieurement, nous avons trouvé, hormis les détails que nous avions fournis sur notre projet, un chapitre dédié au financement, plus précisément aux modalités de collecter les fonds nécessaires à cette fin. Pour nous, c’était quelque chose de surréaliste. Tout y était précisé, la part des autorités locales, la contribution des autorités centrales ou encore celle du milieu des affaires. Le problème, c’est qu’à cette époque-là nous étions perçus en Roumanie comme l’ennemi public n° 1. Par conséquent, pas question de recevoir le moindre sou des autorités. Alors, comme une des conditions posées par le Conseil de l’Europe était de mettre sur pied une fondation, nous en avons créé une, baptisée l’Académie civique. L’idée salvatrice a été l’ouverture de filiales de la fondation à l’intention de l’exil roumain, à Munich, à Paris, à New York et à Los Angeles. Autant dire que les premiers fonds, ce sont les Roumains de l’étranger qui nous les ont offerts ».
L’Alliance civique est, de nos jours, un pan de notre histoire des années ’90, qu’il faut rappeler tant à ceux qui trouvent que tout est vain qu’à ceux qui s’obstinent à croire en la démocratie. (Trad. Dominique)