135 ans depuis le Congrès sioniste de Focşani.
Un des événements les plus importants de l’histoire des Juifs de Roumanie a été le Congrès de Focşani, qui a eu lieu les 30 et 31 décembre 1881. Connue aussi sous le nom de « Congrès sioniste de Focsani » ou de « Grand Congrès de Focsani », cette réunion des leaders des communautés juives a marqué l’apparition d’une alternative pour les minorités de rite mosaïque face à la politique antisémite croissante, à savoir le départ pour la Palestine pour y fonder des colonies.
Steliu Lambru, 09.01.2017, 14:27
L’historien et politologue Liviu Rotman, de l’Ecole nationale d’Etudes Politiques et Administratives de Bucarest, hésite pourtant à utiliser le mot « sioniste » pour ce congrès d’il y a 135 ans : «Le terme que je propose et auquel je tiens est celui de congrès «pré-sioniste». Pour mieux comprendre de quoi il s’agit et pourquoi je ne parlerais pas d’un congrès sioniste, voici en bref le contexte historique du moment. Nous sommes à la fin de l’année 1881, une année marquée par le début d’une forte vague antisémite en Europe, et notamment en Europe Orientale. Une atmosphère « pogromiste » plane au-dessus de la Russie tsariste et plusieurs mesures à caractère antisémite sont prises en Roumanie aussi. Dans ce contexte, l’idée du retour en Palestine gagne de plus en plus de terrain parmi les Juifs. N’oublions pas que, dans la seconde moitié du 19e siècle, ce mouvement se développe, remplaçant les tendances intégrationnistes des Juifs dans les sociétés européennes. Le courant intégrationniste avait débuté au 18e siècle avec Moses Mendelsohn, mais son échec a renforcé le souhait des Juifs d’aller en Palestine. Surtout que l’Europe Orientale était considérée de plus en plus comme une solution temporaire à la situation grave de la population juive, au danger physique qu’elle courait dans cette partie de l’Europe, notamment en Russie. »
L’apparition d’un courant soutenant l’idée de l’émigration parmi les Juifs de Roumanie a mené à la prolifération des organisations qui ont mis au point des plans pour mettre en pratique cette idée. Liviu Rotman explique: « Toute une série d’événements a été organisée, toute sorte d’organisations ont fait leur apparition, y compris en Roumanie et notamment en Moldavie, des organisations qui militaient pour le retour en Palestine et la constitution de collectivités agricoles. C’était quelque chose de nouveau, parce que le travail agricole n’était pas spécifique aux communautés juives. Des sociétés juives existaient aussi dans le sud du pays, notamment à Bucarest, ainsi que dans les villes portuaires telles Galati, qui est en Moldavie, Braila, Turnu Severin. Certes, les sociétés moldaves étaient les plus nombreuses. Les plus fortes étaient à Barlad et à Moinesti. C’est au sein de ces organisations juives appelées « steteluri » du mot hebreu « chtetl » (bourgade) qu’une solution était cherchée. L’intégration était un échec. D’ailleurs, dans la Constitution de 1866, les Juifs se sont vus refuser la nationalité roumaine. On ne peut parler d’un mouvement sioniste que pendant la dernière décennie du 19e siècle, suite au Congrès de Bâle et des textes de Theodor Herzl, dont le plus connu était celui du «pays ancien nouveau », concept dont il est l’auteur. Quelle était la différence entre les anciennes organisations et Herzl, puisqu’en fin de compte, ils militaient tous pour la même chose ? Herzl est le premier à promouvoir la solution politique, celle d’un Etat qu’il nomme « le foyer national juif ». Le congrès de Focsani, qui a été une réussite exceptionnelle de ces organisations, demandait une seule et unique chose : la venue des Juifs en Palestine et le travail agricole, sans mentionner d’autre structure politique. »
De l’avis des historiens, la participation au congrès était assez importante. Les délégués représentaient 70 mille militants, en fait un tiers du total des Juifs roumains. Liviu Rotman explique aussi qu’après les discours, les participants au congrès sont passés à l’action. « Au sujet du congrès de Focsani, je dirais qu’il a réuni 56 délégués de 29 localités, soit une cinquantaine de sociétés qui demandaient l’émigration en Palestine. Concrètement, un départ a été organisé en 1882, quelques mois seulement après le congrès, à bord d’un bateau appelé « Tethis ». Il s’agissait de Juifs surtout de Moinesti, 228 au total. Une fois arrivés en Israël, ils ont fondé deux localités : Rosh Pina et Zihron Iacov, qui existent de nos jours encore. Et voilà que le congrès n’a pas été uniquement un débat théorique, il a été suivi par des actions concrètes. Il faut tenir compte du fait que la mise en pratique des décisions n’était pas simple à faire. Le chemin était difficile, les Juifs arrivaient dans un pays qui n’était pas l’accueillant Etat hébreu d’aujourd’hui, avec une économie performante. C’était uniquement un bout de désert. A cela venait s’ajouter le manque de ressources financières, puisque je dois souligner que la plupart de ces émigrants étaient en fait des gens très pauvres. » Quelle était l’orientation politique des participants au congrès ? Réponse avec le même Liviu Rotman : « Les plus nombreux étaient des gens de gauche qu’il serait exagéré d’appeler « socialistes », même si certains d’être eux se proclamaient ainsi. D’autres étaient d’orientation libérale, mais généralement c’étaient des personnes de gauche, ou de centre-gauche selon le langage actuel. Mais à l’époque, ils étaient moins préoccupés par le paysage politique des localités où ils allaient s’installer. Ils souhaitaient tout simplement partir, s’établir dans un endroit où ils allaient labourer la terre, en Palestine. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait. »
Le grand congrès des Juifs de Roumanie, tenu à Focsani les 30 et 31 décembre 1881, a été un des premiers événements organisés en vue de la récupération de la patrie jadis perdue. Dans l’histoire du sionisme, les Juifs roumains figurent parmi les pionniers de l’Etat d’Israël d’aujourd’hui. (Steliu Lambru/Valentina, Alexandru)