Archéologie du crime
Elles sont bien nombreuses les victimes des crimes du communisme dont on ignore, aujourd’hui encore, le lieu d’enterrement. A la chute du régime de Ceausescu, la société roumaine a déployé des efforts considérables pour retrouver les ossements de tous ceux qui ont été assassinés par les rouges. A la tête de l’Institut d’investigation des crimes du communisme, en 2006, l’historien Marius Oprea et son équipe ont mené plusieurs campagnes d’archéologie forensique afin de retrouver les traces des personnes disparues à jamais.
Steliu Lambru, 12.12.2016, 16:22
Elles sont bien nombreuses les victimes des crimes du communisme dont on ignore, aujourd’hui encore, le lieu d’enterrement. A la chute du régime de Ceausescu, la société roumaine a déployé des efforts considérables pour retrouver les ossements de tous ceux qui ont été assassinés par les rouges. A la tête de l’Institut d’investigation des crimes du communisme, en 2006, l’historien Marius Oprea et son équipe ont mené plusieurs campagnes d’archéologie forensique afin de retrouver les traces des personnes disparues à jamais.
Dix ans après, l’historien en dresse le bilan. Des chiffres et des histoires à retrouver dans ses volumes et consacrés aux pratiques répressives de la police politique. D’ailleurs, un de ses livres a servi de source d’inspiration au documentaire «Quatre façons de trouver la mort». Marius Oprea: «A force de parcourir la Roumanie d’un bout à l’autre, on y a déniché des traces des personnes fusillées dans les années 50 par les agents de la Securitate. On a également mené des enquêtes dans les centres de détention d’Aiud, de Periprava et de Targu Ocna et on envisage de continuer nos investigations dans les camps de Balta Brailei, Salcia, Frecatei et Agaua où l’on a dépisté plusieurs fosses communes. C’est un dur travail, puisqu’on démarre nos enquêtes à partir de quelques documents ou témoignages qui souvent n’ont rien à voir avec ce qu’on retrouve sur le terrain et qui datent de 50 à 60 ans. Parfois, il s’avère tellement dur, voir impossible, de trouver les endroits où l’on s’est débarrassé des dépouilles des fusillés, soit parce que des bâtiments se dressent sur les lieux, soit parce que les gens ne se souviennent plus de ces événements. Bien que nos démarches ne soient pas tout le temps couronnées de succès, on a un taux de réussite de 60%, ce qui est relevant».
Du coup, on se demande à combien se monte le nombre des dépouilles déterrées jusqu’à présent. Marius Oprea: «On ne saurait vous dire le nombre exact de dépouilles retrouvées. Disons une cinquantaine parmi celles des personnes assassinées pour avoir protesté l’arme à la main contre le régime. On a également trouvé 70 cadavres de prisonniers. Mais, impossible de connaître le nombre exact de victimes, surtout que l’on a trouvé des débris d’ossements mélangés. On ne saurait indiquer si les ossements appartiennent à des anciens détenus politiques, comme dans le cas des ceux découverts à Sighet. Ce sera aux criminalistes de le dire. Nous, dès que l’on découvre les squelettes des personnes tuées par la Securitate dont on connaît l’identité, on ouvre une enquête pénale. On collabore à merveille avec nos collègues malgré les tensions initiales quand on ne comprenait pas très bien notre travail. C’est que, pour les criminalistes, ces cas étaient déjà classés, puisque, selon eux, il s’agissait d’un simple meurtre. Or c’est faux et on s’est battu pour le démontrer et pour les présenter comme des crimes contre l’humanité. C’est grâce à notre démarche que la justice roumaine a pu condamner les tortionnaires Ion Ficior et Alexandru Visinescu. Et j’espère qu’ils ne seront pas les seuls à se voir infliger des peines de prison après avoir tué des innocents. Quant à nous, on continue de rassembler des preuves matérielles directes, c’est-à-dire des ossements».
Standardisées, les exécutions se faisaient par fusillade. Marius Oprea nous en fournit des détails: «Sur l’ensemble des raisons invoquées pour justifier le crime, la plus fréquente était celle où la victime se voyait accuser de tentative de d’évasion alors qu’elle était placée sous escorte policière. Concrètement, les détenus étaient invités à quitter les locaux de la Sécuritate pour une soi-disant reconstitution. Or, une fois partis, ils étaient poussés du panier à salade qui les transportait et mitraillés dans le dos avant de se voir tirer une balle dans la tête. D’autres recevaient la balle mortelle dans le dos. Ce fut aussi le cas d’un vieillard de 74 ans, presque paralysé, qu’un agent de la Securitate avait invité à faire ensemble une promenade, justement pour le tuer. La raison? Il avait offert une grappe de raisin aux partisans de la Résistance. D’ailleurs, on a retrouvé leurs dépouilles et ils avaient des pépins de raisin dans leurs estomacs, un dernier repas avant de trouver la mort».
Chaque dépouille cache une histoire. Inspiré des faits réels, le documentaire «Quatre façons de trouver la mort» raconte le cas de 4 personnes dont la seule hérésie fut de s’opposer au communisme. Repassons le micro à Marius Oprea: «C’était de cette manière que la Sécuritate agissait, en semant la peur par des pratiques d’une violence extrême. La démarche en était des plus simples: en apprenant le sort de leurs voisins, les habitants du village natal des victimes renonçaient à lutter contre les pratiques du régime. Dans ce cas, contre la collectivisation. Selon nos estimations, dix milliers de personnes ont été assassinées par la Sécuritate. Parmi les victimes, des prisonniers condamnés à des différentes peines, mais qui, sous prétexte de se voir conduire à un autre centre de détention, étaient fusillés. On connaît le cas de 16 détenus assassinés pendant leur transfèrement d’une prison de Constanta à une autre de Timisoara. On a également trouvé les cadavres de 5 détenus transférés de la prison de Gherla à celle de Timisoara pour une soit – disant enquête. Ils ne sont jamais arrivés à destination».
Aux dires de Marius Oprea, il faudrait que la Roumanie mette sur pied un programme national censé lui permettre de rendre un dernier hommage à tous ces combattants inconnus qui se sont sacrifiés pour la liberté. (trad. : Ioana Stancescu, Valentina Beleavski)