Les débuts de la déportation des Juifs de Roumanie
Même sort, dans les camps nazis, pour 130.000 autres Juifs de la Transylvanie du nord, territoire entré dans la composition de la Hongrie en 1940.
Steliu Lambru, 24.10.2016, 13:30
Même sort, dans les camps nazis, pour 130.000 autres Juifs de la Transylvanie du nord, territoire entré dans la composition de la Hongrie en 1940.
La « chasse » aux Juifs commence en 1937, lorsque le gouvernement de l’époque adopta la loi raciale. Le 21 janvier 1938, le Décret 169 révise la nationalité roumaine et 225.222 personnes, c’est-à-dire 36,5% des Juifs roumains, la perdent. La persécution des Juifs continue à l’époque du gouvernement germanophile dirigé par Ion Gigurtu à partir de l’été 1940. Le 8 août 1940, suite à une proposition du premier ministre Gigurtu, le roi Carol II signe le Décret – loi portant sur l’état juridique des habitants juifs de la Roumanie. Le document introduit des mesures discriminatoires pour les Juifs roumains, dont l’inégalité devant la loi, les obligations fiscales ou le travail physique, l’interdiction d’acquérir des propriétés, leur élimination de l’appareil administratif, la ségrégation dans l’enseignement ou encore l’interdiction de porter des noms roumains. Un second décret interdit de manière explicite les mariages mixtes, sous peine de prison ferme de 2 à 5 ans.
Le 23 août 1939, l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique signent le célèbre pacte Ribbentrop-Molotov et se partagent les territoires des pays de l’Europe de l’Est. Par la suite, les 26 et 27 juin 1940, l’Union Soviétique adresse deux ultimatums à la Roumanie, lui demandant de lui céder la Bessarabie et la Bucovine du Nord. Au cours du retrait de l’armée et de l’administration roumaines et l’entrée des Soviétiques, une partie de la population juive des villes de Bessarabie a hué et attaqué l’armée roumaine et applaudi les troupes soviétiques. C’est une raison de plus de poursuivre les persécutions des Juifs sur l’ensemble du territoire roumain.
Au moment où la Roumanie reprend le contrôle sur la Bessarabie et la Bucovine du Nord, à l’été 1941, les politiques antisémites deviennent plus systématiques. Le calvaire des Juifs roumains commence le 9 octobre 1941.
L’historien Andrei Oişteanu explique pourquoi le 9 octobre est devenu la Journée de l’Holocauste en Roumanie: «Par la décision du Parlement de la Roumanie, le 9 octobre, est devenu la journée nationale de la commémoration de l’Holocauste en Roumanie. C’est une date importante non seulement pour les Juifs, mais pour tous les habitants de ce pays. J’ai fait moi-même partie du conseil qui a décidé de cette journée pour marquer le chapitre roumain sur l’Holocauste. Nous n’avons pas voulu que ce soit en janvier, lorsque l’on marque la Journée mondiale de l’Holocauste. Et pour cause. En Roumanie ce n’est pas l’Holocauste européen qui est nié, minimisé ou traité de trivial, mais le chapitre roumain. Par conséquent, nous avons préféré mettre en évidence le 9 octobre, une date qui figure dans les documents. Voici un fragment de l’ordre du préfet de Bucovine qui témoigne du fait que la déportation des Juifs de Bucovine et puis de Bessarabie dans les camps de Transnistrie a démarré le 9 octobre 1941 : «Ce 9 octobre 1941 part en train la population juive des communes de Iţcani et Burdujeni, ainsi que celle de la ville de Suceva». »
La route vers la Transnistrie est une route vers la mort. Mais les trains de la mort commencent à quitter les gares roumaines depuis déjà le mois de juin 1941, lorsque les autorités militaires et civiles roumaines ont organisé et dirigé le pogrom de Iaşi, chef-lieu de la province de Moldavie. Une action qui cause la mort de 13.000 Juifs. Sur les plaques commémoratives se trouvant dans les gares et les synagogues des villes de Rădăuţi, Vatra Dornei, Câmpulung Moldovenesc, Gura Humorului et Suceava on peut lire que l’automne 1941, 91.845 Juifs ont été déportés de Bucovine suite à l’ordre d’Ion Antonescu, le premier ministre de l’époque. De même, pendant ces déportations de Bucovine, le maire de la ville de Cernauti, Traian Popovici, se fait remarquer en sauvant de la déportation quelque 19.000 personnes.
L’historien Andrei Oişteanu évoque les débuts du génocide juif d’il y a 75 ans: «Ils sont partis de la gare de Burdujeni, dans des wagons de marchandises. Ceux qui boitaient ont été fusillés et laissés au bord de la route. C’est pourquoi Goebbels avait noté dans son journal que les Roumains ne savaient pas bien organiser un génocide, laissant les morts derrière, ce qui donnait naissance aux infections et aux maladies. Bien sûr, les Juifs ont été pillés, toute leur fortune a été prise, ils ont même dû remettre les clefs de leurs maisons, tout leur argent et leurs bijoux. D’ailleurs, ce même ordre disait que ceux qui cachaient les biens de valeur seraient fusillés. En fin de compte, les Juifs qui ne sont pas morts en route sont arrivés dans les camps où ils n’ont pas été envoyés dans des chambres à gaz, mais ils ont été fusillés ou ils sont morts à cause des maladies et de la famine qui régnaient dans les camps de concentration.»
Les Juifs de Bessarabie connaissent les mêmes persécutions. En octobre 1941 des ghettos et des camps de travaux forcés sont créés dans plus de 150 localités. Entre octobre 1941 et août 1942, 150.000 Juifs du nord de la Roumanie y sont déportés. Environ 50.000 survivent. Les Juifs de Bessarabie sont assignés aux travaux forcés, notamment à la construction de routes. C’est la situation des enfants qui est la plus impressionnante, la plupart perdant leurs parents et leurs proches. 22% des déportés sont des enfants. Environ 20.000 enfants perdent la vie à cause de la faim, du froid et des maladies. Le 9 octobre 1941, c’est le commencement de la fin pour les quelque 700.000 personnes de la minorité juive de la Grande Roumanie. (Trad. Valentina Beleavski)