Un siècle depuis la bataille de Turtucaia
Le 27 août 1916, la Roumanie déclarait la guerre à l’Autriche-Hongrie et entrait dans la première Guerre mondiale. Alliée de l’Allemagne, la Bulgarie, en guerre depuis 1915, envoyait déployait immédiatement son armée contre la ville de Turtucaia, une ville sise sur la rive sud du Danube, opposée à la ville d’Oltenita, située à 70 km SE de Bucarest. Turtucaia était la principale base d’opérations de l’armée roumaine dans le sud du Danube. Ce territoire est devenu partie du Royaume de Roumanie après la Paix de Bucarest de 1913 qui a mis fin à la seconde guerre balkanique.
Steliu Lambru, 10.10.2016, 14:31
Le 27 août 1916, la Roumanie déclarait la guerre à l’Autriche-Hongrie et entrait dans la première Guerre mondiale. Alliée de l’Allemagne, la Bulgarie, en guerre depuis 1915, envoyait déployait immédiatement son armée contre la ville de Turtucaia, une ville sise sur la rive sud du Danube, opposée à la ville d’Oltenita, située à 70 km SE de Bucarest. Turtucaia était la principale base d’opérations de l’armée roumaine dans le sud du Danube. Ce territoire est devenu partie du Royaume de Roumanie après la Paix de Bucarest de 1913 qui a mis fin à la seconde guerre balkanique.
La bataille de Turtucaia s’est déroulée du 1er au 6 septembre 1916 et s’est terminée par la première grande défaite de l’histoire de l’armée roumaine. Jugée comme une véritable débâcle, la défaite de Turtucaia a engendré l’écroulement de tout le plan d’opérations mis au point par l’Etat major de l’armée roumaine. Les effectifs de l’armée roumaine, dont la mission était principalement défensive, s’élevaient à 39 mille soldats, alors que ceux des armées bulgare et allemande arrivaient au total à 55 mille hommes. 6 mille militaires roumains ont été tués et blessés, tandis que les pertes des armées allemande et bulgare se sont élevées à 7700 hommes. Mais 28 mille soldats et officiers roumains sont devenus prisonniers.
La bataille de Turtucaia a fait couler beaucoup d’encre et elle a fait l’objet de nombreuses analyses. L’historien Sorin Cristescu de l’Université « Spiru Haret » de Bucarest pense que deux aspects sont essentiels pour l’armée roumaine: les préparatifs faits par l’armée roumaine et ses conséquences sur le moral des Roumains : « La bataille de Turtucaia illustre deux aspects importants. D’un côté, elle a montré les carences de l’armée roumaine. Certes, le pays a mobilisé 800 mille hommes, mais l’armée ne disposait que de 500 mille fusils. Entre 1914 et 1916, quelque 120 mille fusils Lebel ont été importés de France. Mais sur le demi-million de fusils disponibles, 100 mille dataient depuis la guerre de 1877. Durant la guerre de 1913, sur 460 mille soldats roumains à avoir traversé le Danube, seuls 300 mille avaient des fusils. Même cas de figure à Turtucaia. L’armée manquait de munitions, manquait d’armes et ses canons avaient été placés incorrectement, donc leur tir n’a eu aucun effet sur l’ennemi ».
La formation du personnel et la dotation mises à part, la force morale d’une armée peut gagner une guerre. Sorin Cristescu affirme que le moral a joué un rôle décisif dans la défaite de Turtucaia et surtout pour la suite de la guerre : « Le désastre militaire a été doublé par un désastre moral. Le 6 septembre 1916, Bucarest était déjà dépassé par l’immense nombre de blessés de guerre. A cela est venu s’ajouter la rumeur que depuis Turtucaia, les troupes allemandes et bulgares allaient se diriger directement vers la Capitale. La panique s’est installée et elle s’est reflétée aussi au niveau du commandement de l’armée. Les opérations en Transylvanie, qui allaient bon train ont été arrêtées et un repli a été organisé à Flamanda, dans la plaine roumaine. Certains Roumains ont refusé de tomber en proie à la frayeur générale. Le célèbre journaliste et rédacteur en chef du journal Adevarul, Constantin Mille, a publié un éditorial dans lequel il disait que dans une guerre il y a avait des hauts et des bas. Qu’après une belle victoire dans le nord, où l’offensive roumaine avait gagné du terrain, la Roumanie a perdu une bataille dans le sud. Que l’une compensait l’autre. Il ne fallait pas penser sous l’empire de la panique, puisque les Bulgares et les Allemands ne pouvaient pas arriver du coup à Bucarest. Mille disait qu’il fallait rester calmes et ne pas paniquer après la première défaite. Et pourtant, les conséquences psychologiques du désastre de Turtucaia ont été immenses. »
Turtucaia a produit d’immenses traumas dans la conscience publique des Roumains. Sorin Cristescu a identifié la mauvaise organisation de l’armée roumaine comme principal coupable de cet échec retentissant. La légèreté avec laquelle la Roumanie est entrée en guerre mais aussi le niveau social et économique de sa population, formée surtout de paysans, ont joué des rôles cruciaux dans les événements d’il y a un siècle : « Turtucaia a été décrite par le poète George Topîrceanu, l’homme politique Gheorghe Bratianu et d’autres. Ce fut un moment tragique qui a montré que l’armée roumaine n’était pas préparée. Pourquoi ? Parce que c’était l’armée d’un pays de paysans, qui étaient en 1908 les plus pauvres d’Europe, selon l’historien Nicolae Iorga. Parmi les principales causes du désastre, le manque de munitions a été décisif. Chaque soldat disposait d’une ration de 100 cartouches et les usines de munitions produisaient tout au plus une cartouche par jour pour chaque soldat. Cela signifie que la ration suivante de cartouches arrivait au soldat après une centaine de jours. Et nous savons déjà que le 100e jour de la guerre, Bucarest est tombé sans aucun combat, car abandonné le 6 décembre 1916. Il était impossible de ravitailler les troupes de Turtucaia. Puis les canons et les mitrailleuses n’arrivaient pas à frapper l’ennemi qui a réussi à se mettre à l’abri du tir roumain. Il était clair que l’armée roumaine a subi une défaite rapide et désastreuse. »
Après avoir perdu la bataille, les 28 mille prisonniers roumains ont vécu deux années de cauchemar dans les camps bulgares. Leurs mémoires, et notamment celles du poète George Topîrceanu, récemment republiées, sont autant de pages émouvantes pleines d’exemples de dignité, de désespoir et d’humiliation qui s’achèvent sur la joie de la libération et de la victoire de 1918, l’année de la paix en Europe. (trad. : Alex Diaconescu, Ileana Taroi)