Femmes dans les prisons communistes roumaines
Steliu Lambru, 04.04.2016, 14:41
L’Institut d’investigation des crimes du communisme et de la mémoire de l’exil roumain et l’ambassade du Royaume-Uni à Bucarest se sont proposé d’entreprendre des recherches pour identifier les personnalités féminines participantes à la lutte contre le communisme, ce régime illégitime, répressif et criminel. La confrontation avec d’autres sources et avec des ouvrages spécialisés fait des fiches pénales des détenues la preuve la plus révélatrice des situations traumatisantes qu’elles ont vécues et qui dans bien des cas ont conduit à leur mort.
Ecoutons Constantin Vasilescu, chercheur à l’Institut d’investigation des crimes du communisme : « La fiche pénale était une sorte de carnet de voyage accompagnant chaque détenu politique. Ce document comportait les informations basiques: nom et prénom de l’écroué, date et lieu de naissance, adresse, date de l’arrestation et de la condamnation, l’infraction, les autres établissements pénitentiaires où il aurait été incarcéré, d’autres éléments d’intérêt. Nous sommes partis de ces données pour obtenir une analyse quantitative valide et une perspective d’ensemble tout aussi solide. Ces documents ne sont pas exhaustifs. Il se peut qu’il aient des lacunes aussi. Autrement dit, un tel papier n’est pas infaillible, comme c’est les cas d’ailleurs de la plupart des documents délivrés avant 1989 par l’ancienne police politique, la Securitate. Je me réfère au fait qu’il peut comporter des données contradictoires, voire même erronées, parce que souvent rempli par des gens moins spécialisés dans l’art d’élaborer ce que l’on appelait la fiche pénale d’un ennemi du peuple ».
Les rapports dressés par l’Institut d’investigation des crimes du communisme et de la mémoire de l’exil roumain portent aussi sur l’origine sociale des femmes condamnées. La majorité étaient issues du milieu rural, ce qui reflète la société roumaine de ces temps – là. La plupart d’entre elles n’avaient fréquenté que l’école primaire. Il était très rare donc de rencontrer parmi ces détenues des femmes ayant suivi le lycée ou fait des études universitaires. Dans 2860 des 3802 cas investigués, les détenues n’avaient, au moment de l’arrestation, aucune affiliation politique, mais il y avait aussi un nombre assez restreint de femmes qui se réclamaient de la Légion de l’Archange Michel, des partis historiques ou du groupe ethnique allemand. En outre, des jugements définitifs avaient été rendus contre la majorité des femmes écrouées.
La plupart de ces femmes, emmenées d’abord à la prison de Jilava, purgeaient ensuite leur peine dans les prisons de Mislea, Miercurea Ciuc, Bucarest, Arad et Oradea. Constantin Vasilescu : « Sur les 76 mille détenus figurant dans la base de donnés de l’institut, 3802 sont des femmes. C’est un nombre assez bas par rapport à celui des hommes. Mais de notre point de vue, cela ne signifie en aucune mesure que les femmes auraient eu moins de courage que les hommes dans la contestation du totalitarisme ou qu’elles auraient été moins prêtes à faire des sacrifices. Ce taux reflète les réalités sociales de l’époque. Les hommes dominaient d’une manière quasi totale la prise des décisions et tous les aspects liés à la politique. D’ailleurs, ce taux ne signifie pas que les femmes auraient enduré moins de souffrances pendant cette période. Presque chaque homme emprisonné avait une grand-mère, une mère, une sœur qui avait tout fait pour l’aider. Dans le cas des personnes disparues de leur domicile, notamment dans celui des partisans, les femmes étaient celles qui affrontaient les descentes de la Securitate, la police politique communiste, celles qui encaissaient des violences arbitraires. Et je voudrais aussi souligner que ce nombre, 3802, n’est en aucun lieu définitif, c’est celui qui figure dans les documents de l’époque ».
A compter de 1965, de nombreuses arrestations de nature politique ont été camouflées dans de soi-disant infractions de droit commun ou dans des intégrations forcées dans des établissements d’observation et de traitement psychiatrique, ces dernières étant quelques-unes des formes les plus brutales de la répression communiste. Les 3802 cas de femmes détenues dans les prisons communistes pourraient se multiplier en fonction de la recherche que réalise l’Institut d’investigation des crimes du communisme et de la mémoire de l’exil roumain.
Constantin Vasilescu évoque le besoin de réaliser un rapport complexe : « Cette démarche s’achèvera sur un volume, un dictionnaire consacré aux femmes des prisons roumaines qui paraîtra cette année, espérons-nous. Cet album sera précédé par une étude introductive très consistante, qui pourrait être considérée elle-même un volume dans le volume, car le travail d’interprétation et de synthèse est au moins tout aussi important. L’étude introductive sera ainsi structurée pour couvrir la question délicate de l’espace carcéral féminin. Elle expliquera en détail la méthodologie, présentera et analysera de manière scientifique plusieurs aspects et statistiques de genre. Le cadre législatif de la répression, les centres de détention des femmes, les accusations et des trajectoires individuelles, ainsi que d’autres informations de ce type figureront également dans cette étude. » Plusieurs fiches pénales d’autres femmes victimes de la répression communiste se trouvent toujours dans les archives de la section consacrée aux détenus de droit commun de la prison de Jilava.