Présence féminines dans la révolution de 1848
Dans l’histoire moderne, les révolutions ont toujours été des moments exceptionnels. Parmi eux, la révolution de 1848 fut une étape décisive dans le destin du vieux continent. Inspirées par la Révolution française de 1789, les révolutions modernes du XIXème siècle se sont caractérisées pour la plupart, par un seul mot « émancipation ». En ce siècle marqué par la fondation de l’Etat national, l’Europe commence à se moderniser. Les Principautés roumaines n’y font pas exception.
Steliu Lambru, 25.07.2016, 13:49
Tributaires depuis presque 400 ans à l’Empire ottoman, elles ont un premier moment de rébellion en 1821 quand elles espèrent échapper à ce joug. Une vingtaine d’années plus tard, en 1848, on assiste sans surprise au déclenchement de la révolution, à l’initiative des fils européanisés des élites roumaines. En cette année-là, l’histoire a propulsé sur le devant de la scène politique roumaine quelques figures féminines qui ont contribué généreusement à la modernisation du pays et à la formation de la conscience nationale. Parmi elles – Ana Ipatescu, figure légendaire de l’histoire roumaine.
L’historienne Georgeta Penelea-Filitti présente son rôle dans la révolution roumaine de 1848 : « Ana Ipatescu fut une des femmes qui décidèrent de descendre dans la rue pour exhorter la population à agir. La révolution roumaine a eu des hauts et des bas. N’oublions pas qu’à un moment donné, le gouvernement provisoire fut arrêté sur ordre de quelques colonels qui ont fini à leur tour en prison. Or, face à tous ces événements assez compliqués, la population avait besoin d’un leader qui lui expliquât ce qui se passait. Ana Ipatescu, épouse de Grigore Ipatescu, fut justement une telle figure.»
Pourtant, plus qu’Ana Ipatescu, ce fut Mary Grant la femme qui marqua vraiment l’esprit révolutionnaire roumain. Originaire d’Ecosse, celle-ci allait épouser l’homme politique et le journaliste, Constantin A. Rosetti. Mais comment se sont connus les deux et pourquoi Mary Grant est-elle venue en Roumanie ? Georgeta Penelea-Filitti : « Maria Rosetti vient à Bucarest pour travailler comme gouvernante dans la famille Odobescu, avant d’épouser C.A Rosetti. Il faut dire que les deux époux étaient adeptes du courant de pensée issu des idées politiques de l’homme politique et philosophe italien Giuseppe Mazzini. Leur correspondance est charmante. Au delà des mots pleins de tendresse, on y trouve pas mal de questions d’ordre politique. Ils s’adressaient l’un à l’autre par l’appellatif « camarade ». Ils voyageaient beaucoup à l’étranger au point où l’un de leurs enfants fut baptisé à Nice en présence d’un cordonnier qu’ils avaient pris pour témoin. L’enfant s’est vu donner un prénom d’origine roumaine, Mircea, et un deuxième français. Et comme le cordonnier s’appelait Charlemagne, l’enfant portera ce prénom aussi. »
L’effervescence de l’esprit public européen avait gagné les Principautés roumaines aussi, la libération étant ardemment désirée par toutes les classes sociales. A l’instar d’autres résidents étrangers, Maria Rosetti soutient fermement les idées des quarante-huitards et, en dépit de la défaite de la révolution, elle ne renonce pas à ses convictions. Elle devient le symbole de la révolution roumaine, du pays même. Le peintre Constantin Daniel Rosenthal signe deux toiles très connues ayant Maria Rosetti pour modèle: « Allégorie de la Roumanie révolutionnaire » et « La Roumanie brise ses chaînes sur le champ de la Liberté ».
Georgeta Penelea-Filitti: « Ce n’est pas la seule expatriée qui, une fois arrivée dans les Principautés roumaines, s’identifie avec les idéaux du peuple qu’elle défend auprès de ses relations à l’étranger, par le biais des plaidoyers ou en aidant effectivement les révolutionnaires. Petit à petit, Maria Rosetti est devenue un véritable symbole de la révolution. Constantin Daniel Rosenthal, son ami, a réalisé un tableau où elle représente la Roumanie tenant entre ses mains le drapeau tricolore, symbole de la liberté et de la révolution roumaine. »
Maria Rosetti se met au service des idées modernisatrices, car l’émancipation nationale avait grand besoin de son énergie. Georgeta Penelea-Filitti: « Elle a continué ses activités même après la révolution. Les révolutionnaires exilés en Europe ont mené une campagne d’information sur les réalités roumaines, unique dans l’histoire des Roumains. Son mari, C. A. Rosetti, allait lui aussi vivre en exil jusqu’en 1858. Pendant tout ce temps, Maria Rosetti n’est pas restée les bras croisés. En plus, lorsque son mari regagne le pays, elle l’aide à fonder le journal intitulé « Românul », « Le Roumain », une des publications les plus importantes pour l’esprit public roumain. Elle sort aussi son propre journal, baptisé La mère et l’enfant. Un demi-siècle durant, cette femme a fait de l’éducation. Elle a donné des conseils aux mères liés à l’éducation des enfants, à l’hygiène, aux rapports parents-enfants. Elle leur conseillait, par exemple, de ne jamais se disputer avec leurs maris en présence des enfants, d’être tendres avec les petits, de répondre patiemment à toutes leurs questions. Les conseils en matière d’hygiène passaient très bien en milieu urbain. Par contre, à la campagne, la situation n’était pas du tout bonne, à cause de la pauvreté, de l’ignorance et des superstitions. Maria Rosetti a également sillonné le pays pour parler de ces idées, persuadée de leur rôle clé dans l’édification de la société future. A ses détracteurs, qui pourraient affirmer que les fruits de ses efforts n’avaient pas été très visibles, on peut très bien rétorquer que si Maria Rosetti n’avait pas existé, les choses auraient été encore pires. Certes, elle n’a pas été la seule femme à s’être fait remarquer en ces temps-là. »
Des femmes comme Maria Rosetti se sont montrées à la hauteur de leur époque. (trad. Ioana Stancescu/ Mariana Tudose)