Corneliu Coposu, le Senior de la nouvelle démocratie roumaine
On dit que l’une des choses les plus importantes dans la vie, c’est l’héritage légué aux générations futures. Il s’agit non seulement de biens matériels, mais aussi et surtout de biens immatériels, à valeur symbolique, à savoir la conduite, les conseils pour la vie, une certaine manière de vivre. Corneliu Coposu est mort le 11 novembre 1995. A présent, les Roumains se souviennent de lui comme d’un martyr de la démocratie et d’un modèle de la renaissance de celle-ci après 1989, au bout de près d’un demi-siècle de communisme. Il nous a laissé en héritage un immense capital de convictions politiques et de foi, d’intégrité, d’austérité, d’endurance dans le combat inégal qui l’a opposé aux communistes, devant lesquels trop nombreux ont été les Roumains à fléchir ou à finir par collaborer. Le régime de la terreur, que le philosophe polonais Leszek Kolakowski allait appeler « le diable de l’histoire », n’a pas cessé de tracasser Corneliu Coposu jusqu’en 1989. Il a cherché à le tenter, à en corrompre l’âme et les convictions, à le compromettre. Selon ses propres témoignages, confirmés par les documents découverts dans les archives de la Securitate, l’ancienne police politique du régime communiste, après sa sortie de prison, Coposu a été arrêté 27 fois pour de brèves périodes de temps. En plus, sa maison a été fouillée à plusieurs reprises et plus de 3000 documents personnels lui ont été confisqués.
Steliu Lambru, 16.11.2015, 13:29
On dit que l’une des choses les plus importantes dans la vie, c’est l’héritage légué aux générations futures. Il s’agit non seulement de biens matériels, mais aussi et surtout de biens immatériels, à valeur symbolique, à savoir la conduite, les conseils pour la vie, une certaine manière de vivre. Corneliu Coposu est mort le 11 novembre 1995. A présent, les Roumains se souviennent de lui comme d’un martyr de la démocratie et d’un modèle de la renaissance de celle-ci après 1989, au bout de près d’un demi-siècle de communisme. Il nous a laissé en héritage un immense capital de convictions politiques et de foi, d’intégrité, d’austérité, d’endurance dans le combat inégal qui l’a opposé aux communistes, devant lesquels trop nombreux ont été les Roumains à fléchir ou à finir par collaborer. Le régime de la terreur, que le philosophe polonais Leszek Kolakowski allait appeler « le diable de l’histoire », n’a pas cessé de tracasser Corneliu Coposu jusqu’en 1989. Il a cherché à le tenter, à en corrompre l’âme et les convictions, à le compromettre. Selon ses propres témoignages, confirmés par les documents découverts dans les archives de la Securitate, l’ancienne police politique du régime communiste, après sa sortie de prison, Coposu a été arrêté 27 fois pour de brèves périodes de temps. En plus, sa maison a été fouillée à plusieurs reprises et plus de 3000 documents personnels lui ont été confisqués.
C’est autour de Corneliu Coposu qu’en 1989 les gens se sont réunis dans une tentative de refaire le tissu politique, social, culturel et mental de la Roumanie, gravement endommagé par les pratiques de la tyrannie communiste. Si début 1990 Corneliu Coposu semblait seul et refusé par la majorité, quelques années plus tard, en 1995, l’année de sa disparition, il avait réussi à attirer une bonne partie de la population désireuse de changer quelque chose. Ce qui a pesé le plus lourd dans le changement d’attitude de Roumains face à Corneliu Coposu entre 1990 et 1995, ce fut sa terrible souffrance. Après avoir passé 17 années et demie dans une prison d’extermination, soit de 1947 à 1965, le Senior, comme il allait être surnommé avec respect et affection, a confirmé un proverbe que tout le monde connaît: celui de la vérité qui triomphe à chaque fois, car la vérité, c’est comme de l’huile dans l’eau : elle finit toujours par remonter à la surface. Toutefois, Corneliu Coposu ne s’est jamais présenté comme un exemple singulier à suivre. Il a toujours affirmé que son modèle était celui d’une génération entière de Roumains qui n’ont pas survécu pour raconter toutes les horreurs qu’ils ont vues ou souffertes.
Né le 20 mai 1914 au département de Salaj, dans le nord-ouest de la Roumanie, dans la famille d’un prêtre grec-catholique, Corneliu Coposu a poursuivi une carrière d’avocat, devenant docteur ès sciences juridiques de l’Université de Cluj. Il a été proche du président du Parti National Paysan, Iuliu Maniu, dont il a été le secrétaire personnel. Le 14 juillet 1947, Corneliu Coposu a été arrêté aux côtés de toute la direction du Parti, suite à un coup monté par le gouvernement communiste. Il a été condamné aux travaux forcés à vie et libéré en 1964. Il a passé 9 ans dans l’isolement total, si bien qu’au moment où il en était sorti, il avait presque oublié de parler.
La rencontre avec une personne de la grandeur morale du Senior est un privilège, et l’expérience existentielle maximale qu’il a pu partager a été celle de la prison comme univers fermé, sombre et répressif au plus haut degré.
Pour Corneliu Coposu, cet univers-là a été la prison de Râmnicu Sărat : « La prison de Râmnicu Sărat avait 34 cellules dont 16 alignées au rez-de-chaussée et au premier étage, que séparait un filet métallique. Il existait encore 2 cellules de côté et 4 cellules de punition au sous-sol. Chaque cellule avait une dimension de 3 mètres sur 2. Elles étaient placées en rayon, l’une à côté de l’autre, à une hauteur de 3 mètres il y avait une petite fenêtre inaccessible, 45 cm sur 30, avec des volets à l’extérieur, qui ne laissait pas filtrer la lumière extérieure. Il y avait une ampoule de 15 W allumée en permanence et qui donnait à l’intérieur une lumière de caveau. Il n’y avait pas de chauffage, la prison datait du début du siècle, faite vers 1900, avec des murs épais. Et ceinte de deux rangées de murs très hauts de 5-6 mètres, avec un couloir de contrôle au milieu. Sur la deuxième rangée de murs, il y avait les miradors avec les soldats armés qui gardaient la prison. »
Le régime totalitaire se rapportait aux gens non pas comme à des êtres avec des noms et des prénoms, mais comme à des nombres. En 1993, Corneliu Coposu se souvenait de sa vie et de celle des autres en prison : «Chaque détenu portait un nombre qui représentait celui de sa cellule. On n’avait plus de noms, juste un nombre qui servait à l’identification. Comme chacun d’entre nous était seul dans sa cellule, la conversation était exclue et pour communiquer avec les autres détenus, on se servait de l’alphabet Morse, en tapant dans les murs. Mais finalement le système a été découvert et sévèrement sanctionné. Pour continuer à parler entre nous, on s’est mis à tousser selon le code Morse, un processus extrêmement fatiguant surtout pour des personnes comme nous, dans un état de faiblesse extrême. Moi, j’avais la cellule n° 1 et juste au-dessus de moi, il y a avait la cellule n° 32 de Ion Mihalache avec lequel j’ai pu communiquer à travers le code Morse 4 ou 5 ans durant. Après quoi, il a commencé à perdre son ouïe et il ne réagissait donc plus. »
Il est arrivé bien souvent à Coposu de se voir interroger s’il aimerait bien changer de destin s’il pouvait remonter le temps. Non, a-t-il répondu à chaque fois qu’on lui avait posé cette question. En 1993, il disait « j’ai fait un examen de conscience, j’ai passé en revue toutes les souffrances et les misères que j’ai subies durant les années de prison, durant les années de persécutions après ma remise en liberté et je ne pense pas pouvoir vraiment choisir différemment. J’embrasserais volontiers, les yeux fermés, le même destin. D’ailleurs, il se peut que nos destinées soient écrites d’avance. Sans jouer les fatalistes, je crois que j’opterais pour le même passé que j’ai déjà vécu et que je répéterais volontiers. » (Trad. Mariana Tudose, Valentina Beleavski, Ligia Mihaiescu, Ioana Stancescu)