L’économie planifiée et les banques
Après l’installation du premier gouvernement communiste de Roumanie le 6 mars 1945, le Parti communiste roumain a commence à bâtir l’économie planifiée. Durant le passage du capitalisme au communisme, le PCR a compté sur les institutions de l’Etat qu’il avait accaparés avec l’aide de l’armée soviétique, sur ses propres apparatchiks, sur le travail idéologique, sur les pressions et les intérêts communs. Le passage d’une économie libérale de marché à une économie centralisée et planifiée a duré plusieurs années, et il s’est réalisé conformément à une feuille de route prévoyant des objectifs bien définis à accomplir. La méthode utilisée a été la nationalisation ou la confiscation des moyens de production, les banques figurant parmi les premières sociétés à être incluses au patrimoine de l’Etat. Symboles du capitalisme, les banques ont été dépourvues de leurs prérogatives et actifs, de leur droit d’octroyer des crédits et de proposer des taux d’intérêt, de leurs dépôts et créances.
Steliu Lambru, 14.09.2015, 13:30
La loi no. 119 du 11 juin 1948 nationalisait les entreprises industrielles, les banques, les sociétés d’assurances, les mines et les sociétés de transports, qui devenaient propriété de l’Etat. Celui-ci possédait dorénavant tout moyen de production générateur de profits. Nicolae Magherescu, membre de la jeunesse libérale et chef de cabinet du ministre des finances Mihail Romniceanu se souvenait en 1996 lorsqu’il avait été interviewé par le Centre d’histoire orale de la radiodiffusion roumaine, des moments qui avaient suivi la nationalisation.
Nicolae Magherescu : « Tous les salariés des autres banques ont été absorbés par la Banque nationale, qui est devenue ainsi banque commerciale d’Etat. C’était uniquement par le biais de cette institution que se déroulaient toutes les opérations bancaires : opérations de caisse, crédits, décomptes, tout. La centralisation de l’économie a commencé par le système bancaire puisque c’était lui qui détenait les leviers économiques. La fermeture du système bancaire privé et la concentration de toutes les opérations dans les mains d’une seule banque a donné naissance au système de l’économie centralisée. »
La nationalisation des banques a provoqué l’écroulement de l’économie de marché et du système des prêts, de la circulation de la masse monétaire, le moteur d’une économie saine.
Mihai Magherescu évoque les nouvelles conditions de travail dans lesquelles les salariés des banques se sont retrouvés : « J’étais débutant et je touchais le salaire le plus bas, environ 45 millions de lei, alors qu’un pain coûtait 200 mille lei, parfois même 400 mille ou plus. Afin de détruire ou de confisquer tous les moyens de production dont disposait la classe moyenne ou la bourgeoisie, le gouvernement a introduit une réformé monétaire. Ce n’était pas une réforme monétaire dans le vrai sens du mot, mais une véritable liquidation de toutes les sommes d’argent. Leurs possesseurs ne recevaient rien en échange. Nous, qui étions employés, nous étions le seuls privilégiés. Certes, nos salaires étaient maigres, mais ils constituaient des rentrées mensuelles. Je me souviens qu’à l’époque, en 1947, je touchais 30 lei, mais avec ces 30 lei on pouvait faire quelque chose. Les autres, qui n’étaient pas inclus dans ce que les communistes appelaient « le champ du travail », ne touchaient rien. Et cette réforme a constitué le coup le plus dur infligé à la bourgeoisie, qui fut pratiquement dépourvue d’argent. Une année plus tard, le gouvernement a commencé la nationalisation de toute les entreprises privées. Ce fut le deuxième coup dur. En 1952, une deuxième réforme monétaire fut effectuée. La parité n’était plus de 1 à 1, mais de 1 à 20 et les possesseurs de comptes en banque n’ont pas pu convertir l’intégralité de leurs sommes d’argent, mais jusqu’à un certain seuil. Voilà donc quels ont été les moyens par lesquels le Parti communiste a cherché à annihiler la bourgeoisie et à s’emparer de tout l’argent du pays. »
Les conseillers soviétiques ont constitué un élément essentiel au sein du nouveau type d’économie que le pouvoir communiste de Bucarest avait mis en place.
Mihail Magherescu : De tels conseillers, on les avait implantés même au sein de la Banque centrale de Roumanie que j’ai intégrée après mon départ de la Banque roumaine. Comme à l’époque j’étais jeune et célibataire, on m’a muté à la succursale de Ploiesti où j’ai passé deux ans avant de réintégrer le siège central, dans la capitale. Vers 1949-1950 j’étais donc de retour à Bucarest. A l’époque, il y avait à la banque un conseiller soviétique qui s’appelait Romashov ou quelque chose comme ça, je m’en souviens plus parfaitement. Il s’habillait négligemment et ses pantalons étaient toujours froissés. Or, ce Romashov a débarqué avec des instructions précises de la banque russe Gostbank en nous obligeant à dérouler toutes les opérations bancaires selon le modèle moscovite.
Mihail Magherescu a précisé que pour atteindre à ses objectifs, le régime s’est remis aussi aux anciens cadres-dirigeants: Le passage à ce processus tellement bien mis au point n’aurait jamais été possible sans l’appui des anciens cadres- dirigeants. Si vous étiez sans faute, un salarié loyal, sans propriété aucune, sans aucune entreprise privée, alors là, on vous laissait travailler dans la banque. C’était tout un appareil bureaucratique qui a assumé ce rôle durant 8 ou 9 ans. Comme quoi, les communistes préféraient collaborer toujours avec les anciens dirigeants. Personnellement, je peux vous fournir plus de détails sur la situation de la Banque centrale puisque j’y ai travaillé jusqu’à ma retraite. Petit à petit, tous les anciens directeurs âgés, à l’époque, de 45 ou 50 ans, se sont vus remplacer par des anciens cadres du parti communiste ou même des travailleurs qui, en l’absence de toute formation bancaire, comptaient beaucoup sur l’appui des technocrates gardés sur place sans se voir pourtant attribuer de fonction importante.
Suite à la nationalisation, les banques roumaines ont fini par se voir intégrer au sein d’un type d’économie complètement inconnu à l’Occident. A regarder les documents, l’économie semblait bien supérieure aux chiffres véhiculés sur le marché. En réalité, la situation n’était pas du tout rose et le système bancaire roumain risquait la faillite. (Trad. Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)