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Réfugiés arméniens en Roumanie


Réfugiés arméniens en Roumanie
Réfugiés arméniens en Roumanie

, 07.09.2015, 13:30


On a retenu, pour le XXe siècle, une particularité choquante, celle des génocides perpétrés à cette époque. Le premier d’une longue série fut celui contre les Arméniens de l’Empire ottoman, lors duquel un million et demi de personnes allaient être tuées, soit près de la moitié de cette nation.



Les gouverneurs ottomans avaient alors argué de la fraternisation des Arméniens avec l’armée russe. En fait, les raisons étaient de nature politique (nationalisme et idéologie du pantouranisme), économique (les Arméniens et les Grecs détenaient le commerce et les banques de l’Etat ottoman) et religieuse (les leaders religieux musulmans déclarant la guerre sainte aux infidèles). Les hommes ont été forcés à travailler sur les chantiers de constructions de ponts et de chemins de fer. Beaucoup ont péri des suites de la faim et des maltraitances.



Le 24 avril 1915, Talaat Pacha, grand vizir et ministre des communications, donna l’ordre de déportation massive des Arméniens. Les plus chanceux de ces malheureux ont réussi à s’en sortir. Certains se sont réfugiés en Roumanie, affirme l’historien Eduard Antonian, qui nous en a raconté les péripéties: « Sur ordre du sultan Abdul Hamid II, surnommé le Sultan rouge, près de 350.000 Arméniens ont été massacrés ; une bonne partie de l’ethnie arménienne s’est réfugiée alors en Roumanie aussi. Aujourd’hui, environ 10% de la communauté arménienne de Roumanie est formée des descendants de ceux qui avaient fui le premier génocide. Les réfugiés de cette première vague, assez aisés, ont pu emporter de l’argent, ce qui leur a permis d’ouvrir un commerce en Roumanie. Ils ont gardé le contact avec la vieille communauté arménienne qui vivait ici, réussissant à s’intégrer parfaitement à la société roumaine. »



Par quels moyens ont-ils échappé à la persécution? « Les rescapés ont été aidés par la population civile turque et arabe ou ont tout simplement eu de la chance. Certains d’entre eux ont graissé la patte aux autorités ottomanes, d’autres ont bénéficié de l’aide des missionnaires étrangers. En tant que pays neutre, les Etats-Unis s’y étaient beaucoup investis. L’ambassade américaine était très bien organisée. Henry Morgenthau, ambassadeur à cette époque-là, qui a dénoncé, dans ses mémoires, les crimes contre les Arméniens, s’était activement impliqué dans l’aide fournie à cette population, aux côtés de missionnaires danois et de missionnaires protestants allemands. »



Quelque 20.000 Arméniens, dont près d’un quart orphelins, auraient trouvé refuge en Roumanie et bénéficié du soutien de la communauté arménienne du pays, affirment les historiens. Il y a eu des vagues successives de réfugiés, la plupart étant survenues au lendemain de la guerre. Eduard Antonian a reconstitué le périple de ceux qui, un siècle durant, avaient tenté de trouver leur place dans un monde ravagé par la destruction et la mort: « Partis d’Istanbul, comme ce fut aussi le cas de mon arrière-grand-père et des siens, ils sont montés, aux cotés de plusieurs milliers d’orphelins, à bord d’un bateau battant pavillon français, qui les a emmenés à Constanţa. La communauté arménienne de Roumanie était bien organisée et assez fortunée. Krikor Zambaccian, Grigore Trancu-Iaşi, les frères Manisarian, passaient pour les plus grands grossistes de céréales d’Europe du sud-est. En 1919, allait être fondée l’Union des Arméniens, afin de venir en aide aux réfugiés. Son premier président a été Grigore Trancu-Iaşi.


L’image des réfugiés descendus dans le port de Constanţa était terrifiante. Les correspondants de presse à Istanbul du journal Adevărul ayant relaté, en 1915, le génocide, l’opinion publique roumaine était au courant du malheur qui avait frappé les Arméniens de l’Empire ottoman. Armenad Manisarian, le deuxième président de l’Union des Arméniens, est allé voir le premier ministre roumain, Brătianu, pour lui demander ce qu’il était possible de faire pour aider ces réfugiés. A la question de Brătianu de savoir s’il se porterait garant, de tous les points de vue, pour ces malheureux, Manisarian aurait répondu affirmativement. Une fois donné le feu vert, les réfugiés s’y sont installés. Ils allaient recevoir plus tard la nationalité roumaine aussi. Ils n’avaient été munis que d’un passeport Nansen, pour les apatrides, leur autorisant un seul voyage.


La communauté arménienne a acheté plusieurs hectares de terrain dans la commune de Strunga, près de Iaşi et y a fait construire un orphelinat. Les enfants orphelins y ont grandi et appris des métiers. Bon nombre d’entre eux ont été adoptés par des familles arméniennes de Roumanie. Certains ont ouvert leur propre commerce. Mon arrière grand-père a ouvert un atelier de cordonnerie à Bucarest. »



Au fil du temps, les traumatismes de la guerre se sont estompés, sans pour autant sombrer dans l’oubli. Eduard Antonian affirme que les réfugiés arméniens de Roumanie ont continué à mener leur train de vie, oscillant entre souvenirs choquants et espoirs: « Les réfugiés arméniens de l’Empire ottoman se sont toujours considérés comme de bons citoyens. Ils payaient leurs taxes, s’engageaient dans l’armée, parlaient le turc. On dit que les parents qui avaient échappé au génocide discutaient en turc lorsqu’ils voulaient cacher certaines choses à leurs enfants. Même aujourd’hui, des anciens de la communauté arménienne de Roumanie continuent de parler le turc. Malheureusement, en 1945, une partie des membres de cette communauté, leurrée par la propagande soviétique, s’est rapatriée en Arménie, dont on leur avait dit qu’elle allait être leur pays. En 1991, quand l’Arménie a proclamé son indépendance, des descendants de ceux-ci allaient rentrer en Roumanie. »



Les Arméniens réfugiés en Roumanie ont témoigné des massacres commis dans le désert anatolien en 1915. Ces miraculés ont par la suite transformé l’inhumain en humain. (trad.: Mariana Tudose)





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