La guerre de Transnistrie
Les réformes lancées, vers la moitié des années 1980, par le leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev et connues sous le nom de perestroïka et de glasnost, n’ont pas du tout profité à l’URSS. Son démantèlement, survenu en 1991, a confirmé la faillite du système fondé en 1917 par la révolution bolchevique de Lénine. Pourtant, la dissolution de l’URSS allait ouvrir la porte à des conflits armés, car, même si le régime communiste semblait avoir écarté de force la possibilité de résoudre les dissensions par la voie militaire, en fait, ces dernières avaient été gelées.
Steliu Lambru, 10.08.2015, 14:00
L’effondrement du régime soviétique a également amené à repenser la manière dont la Russie, principale héritière de l’URSS, puisse maintenir son influence sur les anciennes républiques unionales. Un des moyens permettant d’atteindre ce but a été l’encouragement des mouvements séparatistes. Les premières sur la liste du Kremlin ont été la Géorgie et la Moldavie, l’Ukraine étant considérée comme un Etat fidèle à Moscou. En Géorgie, les républiques fantômes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie se sont autoproclamées indépendantes dès 1990, tandis qu’en Moldavie ont vu le jour la République nistréenne, ou la Transnistrie, et la Gagaouzie.
Tous ces territoires sont sujets du droit international de la Géorgie et de la Moldavie, car ils ne sont reconnus par aucun autre Etat. C’est la proclamation de la République moldave nistréenne, le 2 septembre 1990, survenue après la déclaration de souveraineté adoptée par la République de Moldova, le 23 juin de la même année, qui allait ouvrir la voie au séparatisme. Selon le recensement de 1989, les Moldaves représentaient à l’époque 39,9% de la population de la Transnistrie, avant les Ukrainiens (28,3%), les Russes (25,4%) et les Bulgares (1,9%). Bien que la République de Moldova ait reçu le statut de membre de l’ONU, le 2 mars 1992, son président Mircea Snegur allait autoriser l’intervention militaire contre les rebelles qui avaient investi des bureaux de la police, loyaux à Chişinău et situés sur la rive est du Dniestr et à Tiraspol.
Avec l’aide de la 14e armée russe, les rebelles ont renforcé leur contrôle sur la majeure partie de la zone disputée. Se trouvant dans une situation d’infériorité, l’armée moldave n’a pas réussi, jusqu’à ce jour, à reprendre le contrôle de la Transnistrie, en dépit des médiations menées ces 25 dernières années.
Mircea Druc a été le premier ministre de la République de Moldova du 25 mai 1990 au 28 mai 1991. Au moment du déclenchement du conflit, il comptait parmi les leaders du Front Populaire Chrétien-Démocrate, en opposition. A son avis, la guerre de Transnistrie était inévitable. « A mon sens, on ne pouvait pas éviter la guerre russo-moldave sur le Dniestr de 1992. La malchance des habitants de la Bessarabie et de ceux de la rive gauche du Dniestr a été une assez banale : la présence de l’arsenal et des dépôts d’armes que l’armée soviétique avait évacués des pays de l’ex-camp socialiste. C’est dans ces endroits qu’a été placé l’armement déployé auparavant en Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Bulgarie, bref dans les pays où l’armée rouge avait été stationnée. Selon les calculs les plus simples, la région accueillait de l’armement estimé à plus de 4 milliards de dollars. Ce fut en 1989 et 1990, au beau milieu de la Perestroïka de Gorbatchev, que le conflit entre Tiraspol et Chisinau s’est déclenché puisque les gérants du complexe militaire-industriel de Tiraspol ainsi que d’autres forces anti-Gorbatchev et anti-Perestroïka ne pouvaient pas admettre que l’URSS allait disparaître. Ces forces refusaient d’accepter une vérité simple : tous les empires disparaissent à un certain moment. Jusqu’en août 1991, ces forces ont milité pour sauver l’Union Soviétique, qui était pour eux une garantie du bien-être et du bonheur. Mais la tatie est décédée et la chute s’est produite en août 1991. L’Union Soviétique est disparue de jure le 8 décembre 1991, après la signature par les trois présidents – russe, biélorusse et ukrainien – de l’acte de dissolution.»
Mircea Druc estime que la guerre a eu aussi une forte motivation économique, tout aussi importante que celle géostratégique : «Quelque chose de banal s’est produit. Plusieurs clans au pouvoir à Chisinau avaient un seul problème : comment partager l’héritage soviétique, son complexe agricole et industriel. Il s’agissait donc de la richesse des kolkhozes et des sovkhozes et de tout le patrimoine constitué pendant 50 ans, avec la sueur du peuple habitant entre les rivières Prut et Dniestr. En Transnistrie, ils se disaient qu’ils n’allaient pas laisser les 4 milliards de dollars dans les mains des Moldaves imbéciles ni des Roumains fascistes. Ils n’aimaient ni Eltsine ni les responsables de Moscou qui avaient dit que tout ce qui se trouvait sur le territoire l’une ex-république soviétique devenait la propriété de la république en question. A Tiraspol, ils se sont demandés « On fait quoi ? ». « Nous n’allons pas permettre, disaient-ils, que cette richesse soit partagée. Et c’est ainsi que Tiraspol a commencé à s’opposer à Chisinau. Si ce trésor, cette source de d’enrichissement n’avait pas existé, la guerre entre Chisinau et Tiraspol n’aurait pas eu lieu, tout comme l’intervention de cette troisième force, dont moi je pressentais l’existence. Pourquoi les troupes soviétiques n’ont pas traité les Roumains de Bessarabie (République de Moldova – n.red.) comme ils ont traité les « aristocrates » baltes ? Parce qu’à mon avis, ils se sont rendu compte que les Roumains étaient beaucoup plus impulsifs et que le conflit était inévitable. Mais lorsque la possibilité est apparue de donner à Mircea Snegur, le premier président moldave, tout ce patrimoine de 4 milliards, ils ont dit Non. A Moscou, les démocrates de Eltsine eux-mêmes ont décidé d’intervenir, y compris par le biais de la 14e armée. Et à la fin on a appris que tout cet arsenal avait été vendu et que l’argent avait été géré par Alexandre Routskoï, vice-président russe, et Viktor Tchernomyrdine, premier ministre de la Fédération de Russie dans les années ‘90. Aujourd’hui, 23 ans plus tard, il n’y a plus rien à partager. »
Les combats entre l’armée moldave et les rebelles séparatistes de Transnistrie ont fait environ 600 morts des deux côtés. En 1992, suite à une convention relative au règlement pacifique du conflit armé signé par la République de Moldova et la Fédération de Russie, le statu quo sur le terrain a été maintenu, et la guerre s’est transformée en ce que les analystes appellent « un conflit gelé ». (trad. Mariana Tudose , Alex Diaconescu)