La révolte paysanne de Horea, Closca et Crisan
Dirigés par les paysans Horea, Cloşca et Crişan, les révoltés ont mis le feu à des résidences nobiliaires et tué les nobles qui se sont opposés à eux. La révolte a pris fin le 30 janvier 1785, par la capture des trois chefs.
Steliu Lambru, 27.07.2015, 14:46
Nous avons discuté avec lacadémicien Ioan Aurel Pop, historien et professeur à lUniversité Babeş-Bolyai de Cluj, de la révolte dil y a 230 ans. Il a indiqué les idées constituant la toile de fond de la révolte : « Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle, le siècle des Lumières, marqué par dimportants ferments révolutionnaires. Noublions pas que la révolte a éclaté cinq ans avant la grande Révolution française, à une époque où les idées révolutionnaires se répandaient en Europe et dans les futurs Etats Unis dAmérique. Les idées des Lumières, de Jean-Jacques Rousseau à Voltaire, circulaient dun bout à lautre de lEurope, des idées de liberté, dégalité, de fraternité. Or, à ce moment-là, la Transylvanie était située dans un empire dEurope centrale. Et même si les leaders de la révolte, Horea, Cloşca et Crişan et dautres étaient avant toute chose des paysans, certains dentre eux étaient illettrés ou presque, ces idées étaient arrivées jusquà eux. Une atmosphère a été créée, censée conduire à éliminer certaines obédiences de type féodal, allant jusquu refus de payer certaines obligations qui pesaient sur les épaules des paysans. Il y avait un désir général de plus déquité, le désir de responsabiliser les facteurs politiques. Une idée très généreuse était que par lécole et léducation on peut arriver à la liberté. »
Les historiens considèrent que les Lumières ont été la période où lidée nationale est née. Ioan Aurel Pop partage cette idée à légard de la révolte paysanne de 1784-1785 : « Il y a eu une dimension nationale de la révolte parce que les paysans révoltés étaient, dans leur majorité écrasante, Roumains. Les maîtres des terres, les nobles, étaient, dans leur majorité écrasante, Hongrois. Dans les points culminants de la révolte, être paysan était synonyme dêtre Roumain, et être noble était synonyme dêtre Hongrois. Bien des fois, les slogans interféraient, les paysans ne criaient pas toujours : luttons contre les nobles, mais : luttons contre les Hongrois qui nous oppriment. Quant aux nobles hongrois, ils ne criaient pas : anéantissons les paysans, mais : anéantissons les Valaques. Dailleurs, pendant la révolte, les paysans, qui ont pris dassaut les résidences nobiliaires et ont en capturé les propriétaires, ne les ont pas tués tout simplement. Pour certains, ils ne les ont pas tués du tout, mais les ont fait jurer sur la croix roumaine, les ont obligés à endosser des vêtements roumains, les identifiant en quelque sorte avec leurs idéaux de gens opprimés. »
Les trois chefs ont été sévèrement punis, pour servir dexemple. Ils ont été condamnés au supplice de la roue, mais Crişan sest pendu en prison, alors que Horea et Cloşca ont été roués le 28 février 1785 dans une exécution publique mémorable. Quel a été le nombre de personnes tuées et quelles ont été les suites de la révolte ? Ioan Aurel Pop : « On estime que les nobles, par leurs unités armées, et par les organes de lordre de lEmpire des Habsbourg, ont tué 450 à 500 paysans. Les paysans nont pas tué plus de 150 nobles. Les paysans ont payé trois fois plus que les nobles ; bien entendu, ils étaient aussi plus nombreux. Il est très difficile dévaluer les dégâts matériels. Pendant des révoltes, des biens sont attaquées et des résidences – détruites. En dehors des dégâts proprement-dits, la révolte a créé un mouvement didées qui a conduit à une certaine émancipation de certains points de vue, et même les autorités de la Principauté de Transylvanie ont pris des mesures de modernisation de ladministration, ont supprimé certaines pratiques féodales. Un autre effet a été que plusieurs centaines de paysans des Monts Apuseni ont été mutés, pour apaiser les ferments de la lutte. »
Lidée que Horea, le chef des rebelles, aurait été franc-maçon a également été véhiculée. Lhistorien Ioan Aurel Pop est sceptique à légard de cette interprétation : « Vu le peu de sources dinformation et leur manque de précision, je nen suis pas convaincu. Il existe des indices à cet effet, mais il y a plus de contre-arguments. Beaucoup de choses ont été écrites sur Horea, sur sa famille. Dans la presse à scandale, qui avait commencé à exister, à Vienne et dans dautres capitales européennes, où le public était friand dinédit, des infos sont apparues comme quoi lépouse de Horea aurait porté des chapeaux comme à Paris et des chaussures à talons. Il reste une petite église travaillée par lui où il est écrit, paraît-il, « travaillé par Horea Ursu », en lettres cyrilliques, mais nous ne savons pas si lauteur en est bien Horea lui-même. Il était un paysan éclairé, né pour conduire les masses, mais il est très peu probable quil soit entré dans la franc-maçonnerie, qui avait une certaine structure et qui avait ses rigueurs pour accepter quelquun. Je ne connais pas de preuves claires à cet égard et je ne pense pas quune facette de la révolte soit indissolublement liée à la soi-disant appartenance à la franc-maçonnerie. »
Horea, Cloşca et Crişan ont lutté pour la dignité et légalité en un siècle qui promettait radieusement les idéaux les plus hauts. Ils ont élu la solution radicale qui, même si elle na pas été partagée par la plupart des paysans, a été lexpression dune conviction de son temps.
( trad Ligia Mihaescu)