Les victimes de la révolution anticommuniste de Timişoara
La Révolution de décembre ’89 demeure un des plus tragiques événements de l’histoire récente de la Roumanie et les sacrifices humains qui ont rendu possible la chute de la dictature communiste ont laissé des traces profondes dans la conscience collective.
Monica Chiorpec, 12.01.2015, 13:26
Le 16 décembre 1989, à Timişoara, la protestation pacifique contre la violation de la liberté religieuse se transforma le lendemain en une manifestation contre la violation flagrante des libertés fondamentale et des droits de l’homme. Les 17 et 18 décembre, l’appareil de répression constitué des forces de l’armée et du ministère de l’intérieur, y compris de la Securitate, ouvrait le feu contre le manifestants.
Alexandra Enache, directrice de l’Institut médico-légal de Timişoara, se rappelle les jours où il a fallu autopsier les victimes. Une première analyse visait la nature des blessures: «L’orifice d’entrée et de sortie de la balle nous permet de déterminer la direction du tir. Dans la plupart des cas, ces orifices se trouvaient à la même hauteur, pourtant les balles sont arrivées de plusieurs directions. Les lésions d’entrée et de sortie des balles se trouvaient aussi bien sur la partie antérieure du corps que sur la partie postérieure. On a donc tiré de face et de dos. Le tir de bas en haut a été moins fréquent, pourtant, parfois, les projectiles ont ricoché. Une synthèse sur la direction du tir se retrouve dans les documents du Parquet militaire. Dans la plupart des cas, les personnes tuées s’étaient tenues debout, car leur blessures se trouvaient notamment au niveau de la tête. Une partie des victimes étaient en mouvement quand les balles les ont touchées. Nous n’avons pas trouvé de lésions provoquées par des objets contondants, la totalité des blessures étaient des plaies par armes à feu. D’ailleurs on ne peut pas se défendre d’un fusil en jetant des pierres, par exemple, et les tireurs se trouvaient à une certaine distance des victimes. Même si elles avaient voulu se défendre, elles n’auraient pas réussi. Il n’y a pas eu de personnes mortes poignardées. Par contre, je me souviens d’un décès survenu dans la rue et classé « accident de la route », mais qui avait été, en fait, le résultat d’une altercation entre des personnes armées et des manifestants. Les blessés qui ont survécu un certain temps n’ont pas été abandonnés, ils ont été transportés par les manifestants à la clinique ou à l’hôpital les plus proches. Nous avons examiné à l’époque des corps d’enfants tués tous par balles. Ils avaient entre 2 ans et demi et 16 ans. Toutes les victimes avaient la nationalité roumaine ».
Alexandra Enache s’est rapportée aux procédures d’identification des cadavres et à l’atmosphère tendue qui régnait dans d’institution qu’elle dirigeait : « Parmi les victimes du 17 décembre examinées le lendemain, 6 cadavres sont restés non-identifiés. Durant les premiers jours, il y a eu beaucoup de victimes non-identifiées. Pourtant, à partir des examens et des notes que nous avons prises, les familles ont réussi à identifier les victimes en décembre 1989, en janvier 1990 et même après. Elles ont pu les reconnaître grâce aux rapports médico-légaux : signes particuliers, vêtements des victimes etc. Les familles ont également parlé aux médecins légistes et ont pu ainsi identifier leurs proches. Dans un premier temps, les cartes d’identité et les objets personnels ont été gardés au département judiciaire, dont les employés ont également photographié les corps. A ce que je sache, les papiers d’identité n’existent plus, ils ont été brûlés en même temps que les pellicules photos et d’autres documents rédigés par les employés de la milice judiciaire. Les rapports que nous avons rédigés sont les seuls documents conservés. Le 18 décembre, nous avons travaillé jusque tard, le soir, pour rédiger ces documents pour tous les cadavres examinés. A l’époque j’étais médecin interne. La pression exercée sur nous pendant cette période a été très forte et impersonnelle, si je puis dire. On nous a permis de quitter l’Hôpital départemental de Timişoara, où se trouvait la morgue, empruntant un trajet bien défini. Après avoir terminé l’examen des corps, nous devions retourner dans notre bureau, qui se trouvait dans un autre bâtiment. Un cordon de policiers nous a interdit de quitter l’hôpital par l’entrée principale, nous avons dû utiliser une sortie de secours. »
En janvier 1990, on a procédé à l’archivage des documents délivrés entre le 16 et le 18 décembre 1989 par l’Institut de médecine légale de Timişoara, y compris ceux de l’autopsie des cadavres disparus de la morgue de l’hôpital. Des personnes décédées avaient été transportées en secret à Bucarest pour y être incinérées — dernière tentative de l’appareil répressif communiste de cacher les preuves du massacre de civils non armés. Un quart de siècle plus tard, les interrogations liées au fil des événements qui ont secoué Timişoara pendant ces journées de décembre ’89 n’ont toujours pas trouvé de réponse. (Trad.: Dominique)