La vente de personnes dans la Roumanie communiste
Avec une économie ruinée par la guerre, le paiement de dédommagements à l’URSS et le pillage systématique, l’Etat communiste avait du mal à assurer à sa population un niveau de vie minimum. L’inventivité de la Securitate, bras armé de la police politique qui s’est arrogé aussi des fonctions économiques en essayant de trouver des moyens pour alimenter les réserves en devises du pays, est devenue illimitée. Parmi ces moyens a aussi figuré la vente de personnes, à savoir celles qui souhaitaient quitter la Roumanie, dont notamment des membres des minorités juive et allemande. Toutefois, dans les années 1970 – 1980, la vente de personnes est devenue une condition importante pour fuir la Roumanie et même les ethniques roumains ont pu être achetés par leurs parents.
Steliu Lambru, 14.07.2014, 13:00
Avec une économie ruinée par la guerre, le paiement de dédommagements à l’URSS et le pillage systématique, l’Etat communiste avait du mal à assurer à sa population un niveau de vie minimum. L’inventivité de la Securitate, bras armé de la police politique qui s’est arrogé aussi des fonctions économiques en essayant de trouver des moyens pour alimenter les réserves en devises du pays, est devenue illimitée. Parmi ces moyens a aussi figuré la vente de personnes, à savoir celles qui souhaitaient quitter la Roumanie, dont notamment des membres des minorités juive et allemande. Toutefois, dans les années 1970 – 1980, la vente de personnes est devenue une condition importante pour fuir la Roumanie et même les ethniques roumains ont pu être achetés par leurs parents.
Germina Nagâţ est chercheuse au Conseil National d’Etude des Archives de la Securitate. Elle s’attarde sur les débuts de l’histoire de ceux ayant été vendus par les autorités communistes: « Un des dossiers (à savoir celui du Service de renseignements extérieurs, n° 2871) rapporte un épisode qui pourrait représenter le point de départ pour comprendre comment tout a commencé. En mai 1958, le bureau de la Securitate à Londres a fait passer à Bucarest l’information selon laquelle on avait mis au point la location d’un avion pour le transport de 11 cochons de grande taille, de race Landrace, achetés par le biais d’un commerçant britannique appelé Henry Jakober, dont le nom de code était Kraus. On peut le considérer comme le personnage central du début et du développement de « la combinaison opérationnelle » – le nom sous lequel la Securitate a extirpé du corps de la nation roumaine des centaines de milliers de personnes, la plupart appartenant aux communautés juive et allemande.
Né en 1900 en Moravie, sur le territoire de l’ancien Empire des Habsbourg, Jakober a émigré en Angleterre dans les années ’30. Homme d’affaires prospère et bon connaisseur de la Roumanie avant la guerre, il était en 1958 directeur de la société Oil Cakes & Doyle Seeds, siégeant à Londres. Il avait des échanges commerciaux avec le ministère de l’Agriculture, le ministère du Commerce et avec de nombreuses sociétés de la République Populaire Roumaine. Il parlait assez mal le roumain mais il le comprenait très bien. Lors de ses discussions libres avec ses partenaires à Bucarest, des officiers de la Securitate sous couverture pour la plupart, Jakober se disait antimonarchiste et grand admirateur des évolutions politiques de Roumanie. Au début, Jakober s’est engagé envers les Roumains de procurer non seulement des animaux vivants mais aussi du matériel génétique du Danemark. En mai 1958 a lieu une première acquisition de cochons Landrace sous couverture ».
Le chemin entre l’achat d’animaux et celui de personnes a été vite parcouru, l’inventivité de l’homme d’affaires allant de pair avec celle de la Securitate. Germina Nagâţ : « Une année après cette transaction réussie, soit en mai 1959, dans un rapport de la Direction I on note que le député anglais John Platz est intervenu auprès des autorités roumaines pour qu’elles permettent à une famille juive de quitter le pays. Dans un premier temps, on a répondu à Jakober, qui affirmait parler au nom du député anglais, que cette question ne relevait pas du ministère du Commerce mais que les noms des personnes en question seraient communiqués.
En septembre 1959, Beri Bernard (Marcu), citoyen roumain, envoie au ministère de l’Intérieur un mémoire dans lequel il demandait la libération de prison de son père, condamné en 1954 aux travaux forcés pour trafic de devises. Dans le mémoire, le requérant Bernard se dit prêt à payer à l’Etat roumain des dédommagements d’un montant de 10 mille dollars, en précisant que l’argent provenait des parents de l’étranger qui souhaitaient non seulement la libération de la personne mais aussi l’octroi de visa pour émigrer en Israël. La proposition de Bernard a été acceptée, on a indiqué la banque, le destinataire devant toucher la contre-valeur en lei. Il paraît que ce fut là le premier visa délivré contre une somme d’argent, approuvé à un très haut niveau et qui, détail important, a prévu non seulement la délivrance du passeport mais aussi la libération de prison. »
L’affaire avait un grand potentiel, et le régime de Bucarest n’a pas voulu laisser échapper une telle opportunité, précise Germina Nagâţ: « Après avoir opéré des transactions à succès avec différentes importations de cochons, de poules, de bovidés et autres marchandises, en avril 1960, la Securitate note concernant M. Jakober que suite aux discussions qui ont eu lieu à Londres, il avait été décidé de ce qui suit : à l’arrivée du premier transport de bovidés ou de moutons au pays, que le visa de sortie soit accordé à Menţer Marcu, père de Beri, parce que Jakober ne toucherait aucun centime jusqu’au départ de Menţer. Les personnes de la famille de Beri Marcu devaient se voir permettre de partir après l’arrivée des moutons Corriedale, tandis que Beri allait être libéré après l’arrivée des taureaux zébu. Les documents dont j’ai cité surprennent le moment où le marchandage par tête d’homme a commencé, comme entre de véritables hommes d’affaires, en même temps que celui par tête de bovin. Les négociations commerciales pour les bovins, les ovins et les cochons ont eu lieu au début en même temps que celles pour la libération des gens et elles figurent dans les mêmes documents.
Après les animaux, parmi lesquels des chiots Collie, la Securitate a demandé à Jakober des fourrages, des équipements pour traire, des machines pour fabriquer des médicaments et autres. En novembre 1961, la règle fondamentale était que les arrangements se faisaient en espèces, de préférence. Intéressées par des marchandises spéciales et par de l’argent en égale mesure, les autorités roumaines ont accordé sans hésitation les visas demandés pour « rétablir les relations normales avec Jakober, mais aussi pour de nouveaux arrangements ».
Bien qu’à un moment donné le pouvoir de Bucarest ait essayé de se tirer de cette affaire, cette dernière était trop alléchante pour lui mettre un terme. Dans les années 1980, 11 mille Deutsche Marks était le prix que devait payer un ethnique allemand avec des études supérieures qui souhaitait sinstaller en République Fédérale d’Allemagne. Le montant total obtenu suite au départ de tous ceux ayant payé leur visas est encore difficile à estimer. Dans le seul cas des Saxons, les chiffres varient entre 250.000 et 40.000 personnes. (trad. : Alexandra Pop, Ligia Mihaiescu)