Des stratégies pour légitimer le pouvoir de Nicolae Ceauşescu.
Nicolae Ceauşescu est arrivé à la tête du Parti Communiste Roumain en 1965, lors du fameux 9e Congrès. Son image de « jeune loup », ouvert au changement et prêt à réparer les erreurs du passé, lui a valu le soutien de militants et de responsables plus anciens. Son attitude lors de l’écrasement du Printemps de Prague a connu un succès colossal. Nicolae Ceauşescu introduit un nouveau style de direction des affaires, avec plus de transparence dans la prise des décisions et une apparente réceptivité pour les demandes et les opinions de la population. En adoptant cette approche, Ceauşescu voulait créer la différence par rapport à son prédécesseur Gheorghe Gheorghiu-Dej, le « Staline » roumain. Malgré la dose d’authentique du début, ce ne fut qu’une stratégie censée légitimer son propre despotisme, mais c’est justement cette apparence qui lui a attiré l’adhésion des gens ordinaires.
Steliu Lambru, 14.04.2014, 13:23
L’historienne Mioara Anton, de l’Institut d’histoire « Nicolae Iorga » de Bucarest, croit que cette stratégie de début a servi à la création d’une identité qui porte la dissociation d’un passé compromettant. Mioara Anton a étudié la relation du régime Ceauşescu avec les citoyens, telle qu’elle ressort de leurs pétitions et de leurs lettres, des documents divisés en 3 catégories : les lettres — invitations, les requêtes et les demandes d’adhésion au parti.
Mioara Anton: « La première catégorie a été la conséquence directe du décret sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse) d’octobre 1966 et de celui de janvier 1967 qui établissait une indemnité mensuelle de 1000 lei pour les mères qui allaient avoir un troisième enfant. La même somme était aussi versée pour tous les autres enfants au-delà de 3, et même accrue dans le cas des familles nombreuses. Le plan qui prévoyait 4 enfants par famille et surtout cette indemnité produisent une quantité impressionnante de lettres. La propagande est repensée, sur fond de politique pro natalité et dinterdiction de se faire avorter. Les lettres dinvitation parlent de limmense joie de la naissance dun nouvel enfant, mais aussi de la précarité qui frappe la plupart des solliciteurs. Tous ces documents cachent autant de drames familiaux et limplication médiatisée du chef crée de la solidarité, ainsi quune nouvelle image du secrétaire général du parti – celle dun frère, dun père affectionné, dun parent protecteur. Nicolae Ceauşescu est invité à des événements importants de la vie des citoyens – mariages, baptêmes. Ceux qui souhaitent lui toucher le cœur donnent à leurs fils le prénom de Nicolae ou sarrangent pour fêter le baptême autour du 26 janvier, sa date danniversaire. »
Réhabiliter ceux qui avaient souffert les affres du régime Gheorghiu-Dej fut un autre point fort de la nouvelle politique de légitimation de Ceauşescu.
Lhistorienne Mioara Anton: « La réunion plénière du Comité central du PCR, davril 1968, a déclenché une vague de requêtes et de mémoires sollicitant la révision et la correction dabus contre danciens adhérents du parti, de simples citoyens ou danciens agents des services de sécurité et de défense. Les commissions de révision examinent les accusations aussi bien politiques que pénales. La plupart des requêtes placent les abus des Services de sécurité dans les années 1958-1959, sur la toile de fond du dégel idéologique. Suite à la plénière mentionnée, une autre génération de militants et dadhérents se construit des biographies irréprochables. Lhistoire du parti est réécrite dans un contexte nouveau et dans la perspective de ces lettres daprès 1956. Les requérants demandent la reconnaissance des stages de formation politique organisés par le parti, des pensions de retraite, la réinsertion dans les structures du parti et de lEtat, la reconnaissance de leur ancienneté professionnelle et des bénéfices explicites : retraites, logements, montée en grade pour les gens de larmée ou des services de sécurité. Le processus de réhabilitation a cependant des limites auxquelles se heurte lévêque grec-catholique Alexandru Todea; dans une lettre à Ceauşescu datée du 7 avril 1968, le haut prélat constate amèrement, avec douleur et dégoût, que ce processus navait changé en rien lattitude des autorités envers son cas. Lévêque ne savait pas que la direction du parti ne sétait pas proposé de revoir la série de procès politiques organisés en Roumanie après 1947. »
Cest en 1968 que Ceauşescu commence à flatter, quil transforme en principe essentiel de sa conduite politique jusquà sa chute, en 1989.
L’historienne Mioara Anton, de l’Institut d’histoire « Nicolae Iorga » de Bucarest: « En août 1968, lémotion générale a produit une forte réaction anti-soviétique parmi les gens de la rue, qui ont interprété lintervention en Tchécoslovaquie comme une agression potentielle contre la Roumanie. Rusu Mihai, contrôleur technique, suggérait dorganiser une souscription publique pour acheter des avions de combat et des chars dassaut, afin de mieux défendre le pays. Un anonyme se disait abasourdi par linvasion de la Tchécoslovaquie et assurait le secrétaire général du PCR que tous les ouvriers de la République Socialiste de Roumanie étaient étroitement unis autour du parti, tel un mur en granite dressé devant tout ennemi qui aurait essayé de violer la souveraineté de notre patrie, la RSR. La grande majorité des lettres, envoyées par des gens quelconques, anonymes ou non, de milieux sociaux des plus divers, place Ceauşescu dans la galerie des héros de la nation, qui ont écrit des pages dhistoire exceptionnelle par leur résistance devant les menaces de létranger. »
A commencer par 1974, le régime personnel de Nicolae Ceauşescu devient tout le contraire des apparences des années 1965-1971, un régime de plus en plus despotique, ressemblant de plus en plus au régime stalinien dont il avait tellement voulu se détacher. (trad. : Ileana Taroi)