Perception publique de la révolution roumaine
Les « terroristes » de la Révolution roumaine de décembre 1989 ont hanté nos esprits, l’implication des services secrets étrangers dans ces événements nous a déçu. Beaucoup plus qu’une simple obsession, les terroristes — une sorte de francs tireurs de la révolution — ont été une véritable névrose qui a marqué profondément la perception publique du plus important moment de l’histoire récente de la Roumanie. Les victimes du soulèvement anticommuniste, les changements malaisés et les attentes trompées ont déterminé les gens à regarder la Révolution roumaine avec un certain regret et même avec dédain. Les sentiments négatifs vis-à-vis de la révolution se sont amplifié à mesure que le problème des terroristes et du rôle joué par les services secrets étrangers est devenu de plus en plus opaque, avec le temps.
Steliu Lambru, 23.12.2013, 14:57
Qui ont été les terroristes? Au micro de RRI pour répondre à cette question, l’historien Adrian Cioroianu, de la Faculté d’Histoire de l’Université de Bucarest : « C’est une idée que beaucoup d’entre nous ont acceptée, à l’époque. Ce que l’on désigne aujourd’hui par le terme de « terroriste » à propos des événements de décembre ’89, pouvait appartenir à des troupes de mercenaires venus de pays plus ou moins arabes, cela pouvaient être les fameux « touristes » soviétiques dont on a déjà parlé. Ce que nous savons avec un certain degré de certitude, dans l’histoire, c’est qu’une bonne partie de ceux qui ont tiré jusqu’au 25 décembre et, de manière sporadique, même après cette date pouvaient être des membres de la Securitate — donc de la police politique — restés fidèles à Ceauşescu. Certes, en acceptant la théorie de la conspiration, on peut spéculer et dire que tout a été une immense mise en scène dans le seul but de donner l’impression d’une révolution. C’est une interprétation dont j’ai peur et je ne voudrais pas la voir se vérifier après des années. Ce serait du cynisme pur, car ces tirs d’armes à feu ont fait des victimes. »
Les Roumains attendent des historiens une réponse claire au sujet des terroristes. Pourtant, leurs explications prudentes n’ont pas la même force de conviction que la théorie de la conspiration. Selon Adrian Cioroianu, ce sont là les difficultés auxquelles se heurte tout historien : « Nous ne disposons pas encore de témoignages véridiques de la part des personnes qui ont géré la situation à l’époque et le rôle de l’historien est ingrat. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de recueillir des témoignages, pourtant leur crédibilité est douteuse. Pendant ces journées de choc et de chaos, il est difficile de distinguer entre le vrai et le faux. L’historien est condamné à chercher la vérité, or, la vérité est pratiquement impossible à trouver dans le chaos d’une telle période si ceux qui ont géré la situation n’apportent pas leur part de vérité. Des vétérans des services de renseignement, ceux qui ont perdu la bataille en décembre ’89, parlent d’un complot qui aurait été préparé — selon certains — en Union Soviétique. Tant qu’on ne dispose pas d’une base documentaire minimale, on ne peut faire que des spéculations. »
Dans l’histoire des révolutions on a toujours parlé d’éléments contre-révolutionnaires qui se seraient opposé à la vague novatrice. La présence des terroristes dans la révolte de ‘89 a fait d’elle une révolution considérée comme atypique. Adrian Cioroianu : « Je ne pense pas que la Révolution roumaine ait été atypique. Elle est différente de ce qui s’est passé dans le reste de l’Europe de l’Est, si fait une comparaison avec la Tchécoslovaquie, la Hongrie ou l’ancienne RDA. Nous devons accepter que l’existence d’un régime communiste national — ce qui n’a pas été le cas en Hongrie, en Pologne ou en Tchécoslovaquie — nous condamnait d’avance à une telle division des forces : des gens qui complotent contre Ceauşescu et des gens qui le défendent. En posant aujourd’hui un regard beaucoup plus limpide sur ces événements, nous nous rendons compte que nous aurions dû nous attendre à cette polarisation, à cette séparation en deux camps en conflit. Je voudrais seulement faire un rapprochement avec l’ex-Yougoslavie, pays où régnait aussi un communisme national. Et nous savons tous combien la séparation d’avec le régime de Miloşvici a été longue. Le communisme national crée toujours de tels problèmes et mène à des conflits intérieurs. »
Y a-t-il des chances que les Roumains aboutissent à une perception juste de la révolution de décembre ’89 et de sa valeur ? Adrian Cioroianu pense que oui : « Je suis persuadé que de plus en plus de Roumains arriveront à la conclusion de bon sens que, du moins par ses conséquences, cette explosion de forces de décembre ’89 a été une révolution. Certes, nous l’avons appelée de différentes façons ; pour être neutres, nous préférons parler des « événements de décembre » justement pour éviter de trouver et d’utiliser un nom générique. Je pense que nous devrions l’appeler révolution, car ses conséquences sont celles d’une révolution, quelles qu’aient été les intentions de ceux à avoir conçu et préparé — ou non — le putsch contre Ceauşescu.
Nous pourrions discuter, à l’avenir, de l’implication de nos voisins. Normalement, dans toute histoire de ce genre, lorsque des événements d’une telle ampleurs ont lieu dans un pays, les services secrets des pays voisins sont en alerte. Et il ne faut pas s’imaginer que les services secrets soviétiques, ceux de la Yougoslavie ou de la Hongrie n’ont pas été attentifs à ce qui se passait en Roumanie. Evidemment, être attentif est une chose et s’impliquer en est une autre. Pourtant, il n’est pas encore très clair pour nous dans quelle mesure l’Union Soviétique a été impliquée dans la révolution roumaine. Pourtant, moi, je suis persuadé que le temps guérit tout, même dans l’histoire. »
La révolution roumaine de décembre ’89 a réinstauré la liberté et la démocratie après 45 ans de communisme. Or les mécontentements de chaque Roumain par rapport à ce qui s’ensuivit sont vraiment insignifiantes par rapport à la vie sous la tyrannie communiste. (trad. : Dominique)